Le jour où Neil Armstrong l’a échappé belle

Première version du LLRV à Edwards – 1964 – Crédit photo : NASA S64-31442
Neil Armstrong et le LLRV A1 – Crédit Photo : NASA S67-26657 002

Le lundi 6 mai 1968, Neil Armstrong (5 août 1930 – 25 août 2012) qui était commandant suppléant de la première mission circumlunaire (Apollo 9 qui deviendra Apollo 8), décolle à bord du LLRV-A1(1) pour sa vingt-et-unième session d’entrainement à bord de cette drôle de machine volante, surnommée le lit-cage ou châlit volant (flying bedstead), absolument indispensable pour simuler avec le plus grand réalisme les atterrissages sur la Lune, où la gravité est six fois moindre que sur Terre. L’engin est équipé en son centre d’un turboréacteur à double flux (General Electric CF-700-2V) de 1,9 tonnes de poussée, dont on peut, une fois l’altitude choisie atteinte, réduire la puissance pour qu’il compense les 5/6 de la masse de l’aéronef (Lunar-Simulation Mode).

Neil Armstrong est en l’air depuis 5 minutes et entame à nouveau une trajectoire de descente type (une session d’entraînement dure entre 7 et 8 minutes en moyenne, l’autonomie de l’engin étant d’une dizaine de minutes), lorsque l’appareil ne répond plus correctement aux commandes du pilote, il reprend un peu d’altitude mais rien n’y fait, à quelque 55 mètres du sol, une fraction de seconde avant que l’engin ne bascule au-delà des 30 degrés fatidiques, Armstrong s’éjecte, s’il avait attendu une demi-seconde de plus il aurait été projeté parallèlement au sol et le parachute ne se serait pas ouvert correctement.

L’engin de plus deux millions de dollars (16,4 millions en monnaie constante) s’écrase et explose à 13:28 heure locale, Neil Armstrong s’en sort indemne, il s’est mordu la langue en raison de l’accélération (14 g pendant une seconde et demie), lors de la mise à feu du moteur-fusée du siège éjectable zéro-zéro (altitude zéro – vélocité zéro) ultra léger (45 kg), développé par la société Weber Aircraft. Sa dernière expérience en la matière remontait il y a 17 ans, pendant la guerre de Corée, lorsqu’il s’est éjecté de son Grumman F9F Panther…

En raison d’un vent d’une vingtaine de nœuds (37 km/h) il a été traîné au sol sur plusieurs de mètres par son parachute, lui occasionnant quelques écorchures. A l’origine, les mesures de sécurité (Base aérienne d’Edwards où l’engin a été testé) imposaient un vent inférieur à 15 nœuds (28 km/h) pour pouvoir utiliser l’aéronef, qui fut porté à 30 nœuds (55 km/h) par la NASA afin de pouvoir l’exploiter plus souvent (Base aérienne d’Ellington).

Le vent a par ailleurs obligé Neil Armstrong à utiliser plus de carburant pour stabiliser l’engin, et solliciter beaucoup plus les moteurs d’attitude.

Après l’accident, comme si de rien n’était, Neil Armstrong retourne à son bureau, au Centre des Vaisseaux Spatiaux Habités (Manned Spacecraft Center, actuel Centre Spatial Johnson), pour rédiger son rapport. La base aérienne d’Ellington se trouve à une douzaine de kilomètres du centre spatial.

L’astronaute Alan Bean, (15 mars 1932 – 26 mai 2018) de retour à l’Astronaut Office en milieu d’après-midi après un déjeuner tardif, aperçoit Armstrong dans le bureau qu’ils partagent, ils échangent quelques mots. Peu après Bean sort, et surprend dans le couloir une conversation qui fait état d’un astronaute dont le LLRV s’est écrasé. Il s’approche et leur demande : « Que s’est-il passé ? »

̶  « Il y avait beaucoup de vent, Neil a eu un problème et s’est éjecté au dernier moment, le siège a parfaitement fonctionné, il s’en est sorti.

̶  Cela s’est passé quand ?

̶  Il y a environ une heure

̶  Une heure ? N’importe quoi ! Je viens de voir Neil à son bureau. Il est bien en combinaison de vol, mais il classe des papiers.

̶  Non, il s’agit bien de Neil.

̶  Attendez, je vais tirer ça au clair. »

Alan Bean retourne au bureau, Neil Armstrong lève la tête.

̶  « Je viens d’entendre la plus drôle des histoires.

̶  Ah oui ?

̶   On vient de me dire que tu t’es éjecté du LLRV il y a une heure. »

Neil Armstrong reste un moment silencieux, puis répond :

̶   « Oui c’est vrai.

̶   Mais que s’est-il passé ?

̶  J’ai perdu le contrôle, et j’ai dû m’éjecter de cette foutue machine. »

Alan Bean n’en revient pas, Neil vient d’échapper à la mort, et tout ce qu’il trouve à faire est de retourner immédiatement au bureau, comme si de rien n’était, sans même en parler à ses collègues ; « S’il était arrivé la même mésaventure à Pete Conrad, il nous aurait raconté ça avec moult détails. »

Neil Armstrong est le premier astronaute à essayer cet engin, et le seul astronaute à s’être éjecté de cet aéronef. Il faut dire que c’est lui qui a effectué le plus grand nombre de vols ; 27 (21 sur le LLRV, 6 sur le LLTV). Charles Conrad (2 juin 1930 – 8 juillet 1999) arrive en deuxième position avec 23 vols (13 sur LLRV et 10 sur LLTV). Au fil des accidents et incidents, des modifications et des correctifs ont bien évidemment été apportés à l’appareil.

Neil Armstrong dans le LLTV-B2

Deux autres accidents seront à déplorer, heureusement là encore sans dommages pour les pilotes. Sept mois plus tard, le 8 décembre 1968 le LLTV B1 (NASA 950), dont c’est le quinzième vol, est détruit lorsque Joseph Algranti (8 février 1925 – 29 avril 2009), pilote d’essai de la NASA, doit s’éjecter ; puis le 29 janvier 1971 c’est au tour de Stuart Present (2) (26 juin 1930 – 20 janvier 1972), également pilote d’essai à la NASA, qui pilotait le LLTV B2 (NASA 951).

Dans les trois cas il s’agit d’une défaillance technique, les pilotes, ne sont pas en cause.

Pour Armstrong c’est un défaut de pressurisation des réservoirs de carburant qui a provoqué la perte de contrôle ; pour Algranti c’est l’axe vertical du moteur qui permet de simuler la gravité lunaire qui s’est démis, entraînant des oscillations incontrôlables ; pour Present il s’agit d’une panne du système électrique.

Lorsque son biographe officiel, James R. Hansen, lui rappelle l’histoire avec Alan Bean, Armstrong commente : « C’est vrai, je suis retourné à mon bureau. Que voulez-vous faire d’autre ? C’est l’un de ces mauvais jours où vous perdez un appareil. »

(1) LLRV : Lunar Landing Research Vehicle – LLTV : Lunar Landing Training. Le LLTV était la version opérationnelle du LLRV qui était un prototype. La NASA a disposé de deux LLRV et de trois LLTV. (Sachant que le LLRV A2 n’a été utilisé que pour cannibaliser ses pièces détachées). Ces aéronefs furent absolument essentiels pour préparer les astronautes à atterrir sur la Lune. Cet engin était considéré comme si dangereux que les responsables de la NASA, notamment Robert Gilruth (8 octobre 1913 – 17 août 2000), directeur du Manned Spacecraft Center près de Houston, ont voulu l’interdire à plusieurs reprises, mais les astronautes s’y sont toujours opposé.

(2) Stuart M. Present se tuera avec Mark C. Heath (1 mars 1934 – 20 janvier 1972) à bord d’un Northtrop T-38 Talon, lors de leur troisième tentative d’atterrissage aux instruments dans un épais brouillard, sur la base aérienne de l’île Matagorda au Texas. Base fermée en 1975.

Buzz Aldrin et Tommy Manison

Thomas « Tom »  Arthur Manison (1927-2000) et Marjorie « Robin » Juanita Manison (1929-2010) comptaient parmi les amis les plus proches de Buzz Aldrin et son épouse.

Ils fréquentaient la même église, la Webster Presbyterian Church près de Houston. Buzz Aldrin et Thomas Manison sont devenus des anciens de l’Eglise en même temps, et ont travaillé ensemble sur de nombreux projets en faveur de la jeunesse. (« Uncle Tom » et « Robin » ont fondé en 1947 un formidable camp d’été pour les jeunes de 6 à 16 ans : « Camp Manison ». Ils y créeront avec l’aide de Buzz Aldrin un atelier « Space Training », avec des visites au centre spatial texan situé à une vingtaine de kilomètres du camp…)

Les Manison font partie des sept personnes présentes, lors de la dernière messe célébrée en présence de Buzz Aldrin à l’église presbytérienne de la ville de Webster, avant qu’il ne devienne le deuxième membre du club très fermé des marcheurs lunaires. C’était le dimanche 13 juillet 1969, trois jours avant le décollage de la mission Apollo 11.

Le 30 mai 1968, Thomas et Marjorie Manison apprennent que leur petit garçon de deux ans et demi, Thomas Jr., est atteint d’une leucémie aiguë.

Buzz Aldrin qui s’est pris d’affection pour l’enfant, appelle souvent Tommy qui adore les avions et les fusées, mais ce qui le fascine le plus, ce sont les hélicoptères. Par ailleurs avoir un astronaute parmi ses amis, est un rêve pour le garçonnet.

Il se trouve justement que Buzz Aldrin, comme tous les astronautes Apollo, doit voler au moins une fois par semaine sur hélicoptère, pour garder sa qualification sur ce type d’aéronef.

Les astronautes Apollo sont formés au pilotage d’hélicoptère à la Naval School of Pre- FlightNaval Air Station à Pensacola en Floride. Normalement la formation s’effectue sur 12 mois, pour les astronautes il s’agit d’une « initiation » qui ne dure que 4 semaines. Avant, pour certains, de s’entraîner sur le LLRV puis le LLTV.

Aldrin s’arrange pour voler à proximité de la maison des Manison, tout le monde sort alors dans le jardin pour le saluer. Tommy adore ça. Lorsqu’il est admis à l’hôpital John Sealy de Galveston, Tommy a la chance d’avoir une chambre à l’étage supérieur de l’unité pédiatrique, d’où il peut voir passer tous les jours les hélicoptères (Sikorsky S-62) des Garde-Côtes, dont la base se situe à moins de 3 km de là. Chaque fois qu’il en voit un il s’exclame : « C’est Buzz, il vient me voir ! »

Lorsque Buzz Aldrin vient effectivement lui rendre visite à l’hôpital, Tommy s’exclame : « Tu sais Buzz, je t’ai vu dans ton hélicoptère ». Aldrin ne comprend pas, Tom Manison doit lui expliquer.

Les semaines passent et l’état du petit Tommy s’aggrave, un jour Buzz Aldrin appelle son ami : « Tom tu vas me prendre pour un fou mais j’ai pu prendre des dispositions pour emmener Tommy faire un petit tour en hélicoptère, si tu es d’accord bien évidemment. »

Voler en hélicoptère est le rêve de son fils mourant, bien sûr qu’il est d’accord !

Ce jour-là Buzz Aldrin demande à un ami de venir avec lui, c’est ce dernier qui pilotera l’appareil, pendant qu’il prendra Tommy sur ses genoux.

Les parents de Tommy, et Joan Aldrin, lui font coucou, alors que l’hélicoptère s’élève lentement dans les airs.

Tommy observe les vaches et les chevaux, les maisons, tout ce que l’on peut voir de ce point de vue unique. Ils passeront au-dessus du centre de la NASA, de la baie de Galveston pour voir l’océan et les bateaux de pêche. Ils virent même un train passer le long de l’autoroute 3. Pendant le trajet retour, Tommy s’endort dans les bras de Buzz Aldrin. En atterrissant ce dernier fait signe aux parents que leur fils s’est assoupi. Alors qu’il récupère son fils, Tom Manison dit à Buzz Aldrin : « Même si je vis cent ans, je n’oublierai jamais ce que tu viens de faire ».

_ « Tu sais Tom, c’est la première fois depuis que je suis astronaute que j’ai une telle relation avec quelqu’un, aussi authentique. »

Tommy suivra la mission Apollo 11, et verra son idole marcher sur la Lune.

A l’automne 1969, juste avant le départ des astronautes pour un tour du monde, du 29 septembre au 5 novembre, les nouvelles sont des plus sombres. Buzz Aldrin est très inquiet : « Je ne sais pas comment on va faire, mais nous allons aller voir Tommy avant de partir. »

Pendant deux heures Buzz Aldrin et son épouse restent avec Tommy, Buzz lui raconte à nouveau comment c’est sur la Lune, et dessine des hélicoptères avec lui…  Au moment de partir, il a beaucoup de mal à retenir ses larmes… Le reverra-t-il jamais vivant ?

Le tour du monde, les incessantes sollicitations, font que l’église de Webster reste pour un temps l’unique lien entre les Aldrin, les Manison et le petit Tommy. Buzz Aldrin lui ramène des cadeaux des pays qu’il a visité, il vient le voir aussi souvent qu’il le peut…

A l’approche de Thanksgiving, la santé de Tommy est au plus mal, le temps est venu d’arrêter les transfusions sanguines, qui ne servent plus à rien… La lourde décision est prise par les parents, avec l’aval du révérend Woodruff et son épouse Floy, ainsi que de Buzz Aldrin et sa femme Joan.

Tommy s’en est allé le matin du jeudi 27 novembre, jour de Thanksgiving.

Le jour de l’enterrement, le 29 novembre, Aldrin devait assister au match de football américain tant attendu chaque année, entre les Army Black Knights de l’Académie Militaire de West Point (dont il est issu), et les Navy Midshipmen de l’Académie Navale d’Annapolis, et recevoir une distinction pendant la mi-temps. West Point remportera le match 27 à 0.

Aldrin annulera sa venue.

Car le jour du match, il a quelque chose de tellement plus important à faire, porter le cercueil d’un petit garçon qui aurait eu 4 ans dans 16 jours.

Apollo 11 dans les Couloirs Brumidi du Capitole

Dans les somptueux Couloirs Brumidi du premier étage de l’aile du Sénat au Capitole des Etats-Unis, le siège du Congrès, figure une représentation pour commémorer la fabuleuse mission Apollo 11.

Cette peinture à l’huile sur toile, de forme ovale, mesurant 86,4 cm de haut et 45,7 cm de large (34 x 18 pouces) a été peinte par le Michel-Ange américain, Allyn Cox (1896-1982).

Credit photo : U.S. Senate Collection

Le tableau se divise en trois parties, en bas, la fusée Saturne V qui a propulsé les trois astronautes vers la Lune ; au centre, Neil Armstrong et Buzz Aldrin plantant le drapeau américain sur la Lune, avec le module lunaire Eagle à l’arrière-plan, sans oublier le module de commande et de service, Columbia, dans lequel se trouve Michael Collins, en orbite autour de la Lune ; dans la partie supérieure, la Terre vue depuis la Lune.

En 1972, la Commission sur l’Art du Sénat a décrété qu’une peinture commémorant l’atterrissage sur la Lune soit réalisée et placée dans les Couloirs Brumidi du Capitole, qui furent décorés à l’origine entre 1857 et 1878 par le peintre d’origine italienne Constantino Brumidi (1805-1880).

Ces œuvres retracent les moments clefs, les figures, de l’Histoire des Etats-Unis ; il a laissé des emplacements vides pour que l’on puisse commémorer les événements et les personnages illustres à venir. En 1974, Allyn Cox a soumis sa proposition, pour laquelle il a été aidé notamment par la NASA, le Musée de l’Air et de l’Espace de Washington D.C. . Cox a réalisé le tableau dans son studio, et en avril 1975 son œuvre fut installée à sa place définitive.  

Allyn Cox (circa 1930)