Le 3 janvier 1920, un éditorial pour le moins incongru parait dans le New York Times [« Topic of the Times »]. Il s’agit d’un pamphlet très critique à l’encontre du travail révolutionnaire de Robert Goddard et de son célèbre traité intitulé « A Method of Reaching Extreme Altitudes. »
« …Après qu’ une fusée ait quitté notre atmosphère et entame véritablement son long voyage (vers la Lune), son vol ne sera ni accéléré, ni maintenu (contrairement aux travaux de Robert Goddard sur les fusées à propulsion solide) par l’éjection des gaz …
Affirmer cela, serait en parfaite contradiction avec une loi fondamentale de la dynamique… Le professeur Goddard, qui occupe une chaire à l’Université Clark et qui est membre de la « Smithsonian Institution », ne connaît pas la relation entre action et réaction et la nécessité d’avoir quelque chose de plus consistant que du vide contre lequel s’appuyer.
Il semble ignorer les connaissances de base enseignées quotidiennement dans les lycées.… Jules Verne, qui avait également quelques connaissances scientifiques, a fait la même erreur que le professeur Goddard…
C’est un des rares dérapages scientifiques de Verne, pardonnable pour un romancier mais inexcusable pour un savant qui n’écrit pas un roman d’aventure… »
49 ans plus tard, le 17 juillet 1969, alors que les astronautes d’Apollo 11 sont en route vers la Lune, le New York Times publie enfin un rectificatif :
« Une mise au point. Le 13 janvier 1920 la page éditoriale du New York Times a rejeté le fait qu’ une fusée pouvait fonctionner dans le vide et à fait les commentaires suivants sur les idées du pionnier des fusées Robert Goddard : Le professeur Goddard, qui occupe une chaire à l’Université Clark et qui est membre de la « Smithsonian Institution », ne connaît pas la relation entre action et réaction et la nécessité d’avoir quelque chose de plus consistant que du vide contre lequel s’appuyer. Il semble ignorer les connaissances de base enseignées quotidiennement dans les lycées. »
Des études plus poussées et des expériences ont confirmé les découvertes de Isaac Newton au XVIIe siècle [ NdT : « A chaque action correspond une réaction équivalente et de sens contraire »] et il est désormais définitivement avéré qu’une fusée fonctionne aussi bien dans le vide qu’en présence d’atmosphère. Le Times regrette cette erreur. »
Ce laconique rectificatif est tout à l’honneur du journal mais demeure tout de même un peu ambigu, il laisse en effet supposer que le fait qu’une fusée puisse fonctionner dans le vide a été définitivement établi longtemps après l’attaque du Times contre Goddard.
Qui plus est, dans ce mea culpa quelque peu tardif, à aucun moment le Times ne demande pardon pour le mal que le journal a pu faire à Robert Goddard, en remettant en question, rien moins que son intégrité et son professionnalisme.
L’intégralité du texte dénigrant Goddard n’est même pas retranscrit ! Après la publication de l’article, Goddard est resté encore plus reclus et secret sur ses travaux, évitant toute publicité et tout contact avec les médias !
Le New York Times a t-il atteint le comble du ridicule en publiant cet éditorial en 1920 ?
Eh bien pas tant que ça, en effet, ce n’est qu’au XXe siècle que les principes fondamentaux de la propulsion des moteurs fusée dans le vide sont compris, jusqu’alors on pensait qu’il fallait de l’air contre lequel « s’appuyer » …
Ainsi par exemple le mathématicien britannique William Moore affirme en 1813 dans son « Treatise on the Motion of Rockets » qu’une fusée se déplacera plus rapidement dans l’air que dans le vide.
En 1883, un manuel d’artillerie pour les cadets de l’académie militaire de West Point affirme la même chose.
L’immense Konstantin Tsiolkovski lui-même, en 1913, s’interroge sur le degré d’efficacité du moteur fusée dans l’air ambiant et dans le vide.
Il émet plusieurs hypothèses dont la bonne : c’est dans le vide qu’une fusée opère dans les meilleures conditions ! Mais sans en être tout à fait certain !