Le 7 juillet 1943 à 11:30 le ministre du Reich, Albert Speer téléphone à Walter Dornberger, le directeur du programme des fusées de Peenemünde, pour lui annoncer que Hitler va enfin le recevoir, un rendez-vous qu’il attend depuis plus de 7 mois.
Speer lui enjoint d’apporter le film du premier vol réussi de la A4 survenu le 3 octobre 1942 ainsi que tout matériel pertinent (Maquette, photos…). Il souhaite que Walter Dornberger vienne avec le Dr Wernher von Braun, Directeur technique du centre et le Dr Ernst Steinhoff, responsable de la division « contrôle, guidage et télémétrie ». L’entrevue est prévue pour 14:00.
Le trio rassemble rapidement de quoi faire un exposé et embarque à bord d’un avion Henkel He 111 que Ernst Steinhoff pilote lui-même. Une demi-heure plus tard ils atterrissent à la « Wolfsschanze », (La Tanière du Loup) le quartier général d’Hitler, près de Rastenburg, en Prusse orientale d’où il dirige la campagne contre la Russie. Ils sont conduits au « Repère du Chasseur », un bâtiment de l’armée, destiné aux visiteurs. Là, ils apprennent que l’entrevue est retardée à 17:00 heures. Vers 16 heures on leur distribue des laissez-passer et ils sont emmenés dans une salle de projection où ils installent leur matériel.
Ce n’est qu’à 19 heures que des pas se font entendre et qu’en ouvrant la porte quelqu’un annonce : « Le Führer ! ».
C’est un Hitler amaigri, fatigué et pâle qui entre dans la pièce, loin de l’image qu’ils avaient gardé de lui lorsqu’ils étaient venus le 20 août 1941. Hitler est accompagné du Maréchal Wilhem Keitel, du général Alfred Jodl, du général Walter Buhle et du Reichsminister Albert Speer. Hitler souhaite brièvement la bienvenue à ses hôtes et s’assoit entre Speer et Keitel sur un siège du premier rang. Walter Dornberger rompu à ce genre d’exercice, il a tellement fait de discours devant le gratin de l’armée allemande, fait une brève introduction avant la projection du film intitulé « Langstrecken-Raketen » (Missiles à longue portée).
Le film est commenté par Wernher von Braun, alors âgé de 31 ans.
Les images sont époustouflantes, elles montrent l’ouverture des portes coulissantes hautes de 30 mètres du hall d’assemblage du complexe de tir et d’essai numéro 7 et la sortie de la tour mobile qui permet de préparer les fusées pour les tirs d’essais.
On y voit également des moteurs sur les bancs d’essais statiques, à pleine puissance, avec de nombreux gros plans. On assiste ensuite au chargement d’un missile sur le « Meillerwagen » une sorte de long camion, muni de huit roues, et de bras érecteurs hydrauliques, destiné à emmener l’engin en position horizontale jusqu’au pas de tir et à la redresser verticalement pour le lancement (sur le front).
Le film montre ensuite le premier lancement réussi de la fusée suivi d’un petit dessin animé qui permet de visualiser la trajectoire, la vitesse, l’apogée et la distance couverte par le premier missile balistique de l’Histoire. Le film se termine par une petite phrase : « Nous avons fini par y arriver ! » (Wir haben es doch geschafft)
Lorsque la lumière revient, la salle reste silencieuse, Hitler se redresse dans son siège, il semble manifestement très impressionné. Walter Dornberger continue l’exposé en montrant des maquettes de bunkers, il explique que le toit de ces structures doit avoir une épaisseur de plus de 7 mètres afin de protéger efficacement les fusées avant leur lancement… Hitler est fasciné, il se lève pour voir ça de plus près…
A la fin de l’exposé, Hitler serre chaleureusement la main de Dornberger et murmure : « Je ne sais pas comment vous remercier, j’aurais dû vous écouter il y a quelques années, mais je ne croyais pas en vos travaux. Nous n’aurions jamais eu à faire cette guerre si nous avions eu ces fusées dès le départ. L’Europe, ni même le monde est assez vaste pour une telle arme… ».
En serrant la main de Wernher von Braun Hitler lui dit : « Professeur von Braun, je voudrais vous féliciter pour votre remarquable succès ! » Professeur von Braun ? Wernher von Braun a l’air surpris, Speer et Dornberger sourient.
Quelques mois plus tôt, Speer avait suggéré à Hitler de donner le titre de Professeur à von Braun. (En Allemagne le titre de professeur figure parmi les distinctions civiles les plus importantes, une distinction que seul le chef de l’état peut décerner, une prérogative qui remonte aux « Kaiser » !)
Alors que Hitler prend congé et se dirige vers la porte il se retourne, revient vers Walter Dornberger et lui dit : « Jusqu’à présent, dans ma vie, je ne dois des excuses qu’à deux personnes, la première c’est le Maréchal Von Brauchitsch. Je ne l’ai pas écouté lorsqu’il me répétait combien vos recherches étaient importantes. La deuxième, c’est vous, je n’ai jamais cru que vos travaux aboutiraient ! »
A compter de ce jour la production en série de la A4 redevient une priorité absolue ! Deux semaines plus tard, Wernher von Braun recevra son diplôme de Professeur, signé par Hitler.