Le soir du premier vol réussi d’une fusée A4, le 3 octobre 1942 qui a atteint l’altitude de 80 km, Walter Dornberger, très ému, déclara à ses collaborateurs lors d’une petite réception :
« Cette journée marquera une date dans l’histoire de la science. Pour la première, un engin volant de cinq tonnes et demie, (hors carburant) construit par l’homme, a franchi une distance de cent quatre-vingt-douze kilomètres avec une dérive latérale de quatre kilomètres seulement. Vos noms, mes chers amis et collaborateurs, sont liés à cet exploit. Ce résultat a été obtenu au moyen d’un système de commande automatique. Dorénavant, du point de vue de l’artillerie, avec notre fusée considérée en tant que projectile, le poids du canon n’entrera plus en ligne de compte. Ce premier engin construit d’après les principes de l’aérodynamique et de la réaction appliquée à la fusée a atteint une vitesse de 1500 m-s. Durant la phase propulsive l’accélération, partant de l’accélération terrestre simple, n’a jamais dépassé le quintuple de celle-ci, restant ainsi dans les limites normales expérimentées en aéronautique. Par conséquent, nous avons prouvé qu’il est possible de construire des engins volants à une vitesse supersonique et emportant un équipage, à condition de leur donner une forme et un moyen de propulsion appropriés. Notre fusée à commande automatique a réussi à atteindre une altitude qu’aucun engin réalisé par l’homme n’avait jamais approchée. Cependant, étant donné que le changement de cap n’a pas été entièrement satisfaisant, la fusée n’a pu monter qu’à un peu moins de quatre-vingt-dix kilomètres. Nous avons néanmoins battu le record mondial d’altitude, qui jusqu’à présent appartenait avec quarante kilomètres, à la Grosse Bertha, le canon qui avait bombardé Paris en 1918…
« Cette journée constituera, sans doute, un tournant décisif dans l’évolution de la technique. Non seulement notre fusée a pénétré dans l’espace, mais, pour la première fois, nous nous sommes servis de celui-ci pour relier deux points terrestres. La preuve est faite que la fusée à réaction est un moyen de navigation dans l’espace. De même que l’eau, la terre et l’air, l’espace infini deviendra le théâtre de liaisons intercontinentales et, en tant que tel, acquerra une importance politique. Le 3 octobre 1942 est le début d’une ère nouvelle dans les transports : celle de la navigation spatiale ! …
« Tant que durera la guerre, le devoir nous commande d’accélérer la mise au point de la fusée en tant qu’arme de combat. Le développement des possibilités d’application futures, encore imprévisibles, sera notre tâche en temps de paix, et alors il s’agira de trouver, avant tout, un moyen d’atterrissage normal et sûr pour les engins interplanétaires… »