En 1962, la Direction des Opérations de Lancements (Launch Operations Directorate), rattaché au Centre Spatial Marshall, devient indépendant, Kurt Debus est nommé directeur du nouveau Centre des Opérations de Lancement (Launch Operations Center) qui deviendra le Centre Spatial Kennedy, une semaine après l’assassinat du 35ème Président des Etats-Unis.
Bien évidemment, différentes corporations et cultures d’entreprises se mêlent au Cap Canaveral, chacune est jalouse de ses prérogatives et fière de son appartenance à un groupe, ce qui, bien évidemment, crée inévitablement des tensions.
Ainsi par exemple les techniciens qui s’occupent du vaisseau spatial (Spacecraft Technicians) et dépendent administrativement du Centre des Vaisseaux Spatiaux Habités*, le font ostensiblement savoir en portant des casques de couleur jaune frappés des lettres MSC (Manned Spacecraft Center) et non des casques blancs.
On y trouve également les personnels des sociétés ayant remporté les appels d’offres lancés par la NASA (les contractants). Le personnel de chez Grumann, une entreprise de la Côte Est, est plutôt extraverti, alors que celui de North American, de la Côte Ouest est majoritairement réservé. Si les premiers ont un problème ils se réunissent et discutent bruyamment, en faisant de grands gestes, en revanche les techniciens de North American penchés les uns vers les autres parlent à voix basse, presque en chuchotant. L’ingénieur en chef de la NASA, en charge du vaisseau spatial, Ted Sasseen, se souvient : « Nous devions courir après Grumman et pousser North American ». Le personnel de Mc Donnell était considéré comme une équipe sérieuse et très efficace. Quant aux personnels de General Electric, ils avaient été imposés par le quartier général de la NASA pour s’assurer, et le cas échéant assurer, la compatibilité électrique entre les nombreuses interfaces fabriquées par des sociétés différentes. Leur rôle, très controversé par les centres de la Nasa et les contractants, fera l’objet d’incessantes modifications. Plutôt mal vus par les autres corporations, on les appelait les « espions ».
D’autres corps de métiers se sont vus affubler de surnoms plus ou moins croustillants.
Ainsi les Inspecteurs Qualité de la NASA sont appelés les grenouilles, car « ils ne servent strictement à rien, ils ne font que manger et (faire) ch… déféquer ». Les techniciens, sont les « mulets » (poisson), car les ingénieurs opération, les « requins », n’en font qu’une bouchée s’ils commettent une erreur.
Les inspecteurs des firmes contractantes sont les « pélicans » car les sceaux de cire rouge qu’ils utilisent ressemblent aux déjections de ces oiseaux piscivores.
Les « Tiger Teams » sont composés de spécialistes du centre spatial et des contractants, dont le rôle est de vérifier tous les systèmes d’un vaisseau spatial afin de traquer toute source potentielle de problème et le résoudre.
Quant aux personnels qui travaillent sur le pas de tir à plein temps, on les appelle les « rats du pad ».
Ce brassage des cultures d’entreprises et des traditions, contraste fortement avec l’image consensuelle d’une organisation du travail ultra-rationnelle, dont se targuait publiquement l’agence spatiale. Comment peut-il en être autrement, en effet, quel que soit le degré de sophistication d’une organisation du travail, ce dernier est d’abord fait par des Hommes… Imaginatifs, consciencieux, travaillant dur, mais également faillibles et même quelque fois têtus !
* Actuellement le Centre Spatial Johnson.