Je vous livre ici, ma traduction du discours prononcé par le Général à la retraite, devenu Révérend, John Medaris, à l’occasion de la célébration du vingtième anniversaire du lancement du premier satellite américain, Explorer 1.
Il en profite allègrement pour mettre certaines choses au point, ou, comme il le dit, remettre certains événements en perspective, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas très tendre avec les dirigeants de la NASA. (J’ai ajouté entre parenthèses et en gris quelques précisions.)
Discours du Révérend John Medaris (Général, Armée Américaine, Retraité)
20ème anniversaire d’Explorer I
Huntsville – Chambre de Commerce du Comté de Madison
31 janvier 1978
M. le Président (Le président de la Chambre de Commerce), Gouverneur Wallace (George Corley Wallace, Gouverneur de l’Alabama), M. le Maire Davis (Joe William Davis maire de Huntsville de 1968 à 1988, la maire de Huntsville en poste lors du lancement d’Explorer, Robert Benjamin Searcy, est décédé en 1967), Général Guthrie (John Reiley Guthrie était le chargé de projet de l’armée, pour le lancement d’Explorer I), Général Rachmeler (Louis Rachmeler dirigeait en 1978 le MIRCOM – U.S. Army Missile Materiel Readiness Command – MIRCOM — à l’Arsenal Redstone), et tous les autres invités distingués – vous me pardonnerez de ne pas vous présenter à nouveau la table principale – amis de Huntsville :
Je remercie le Seigneur de nous avoir permis, à Mme Medaris et moi-même d’être là avec vous, en cette mémorable occasion, et d’exprimer notre affection à de vieux amis et aux habitants de cette ville.
Je n’avais qu’un objectif en tête lorsque j’ai accepté votre aimable invitation, mettre le contexte en perspective afin que le présent soit bien compris. Les faits réels, les bases qui ont permis de faire tout cela, les circonstances, ont été tellement galvaudés par la NASA qu’il est pratiquement impossible de mettre dans la bonne perspective l’origine de la Huntsville moderne.
Dans le court délai qui m’est imparti aujourd’hui, je propose de vous livrer une série de faits dans l’espoir qu’une perspective plus conforme à la réalité vous soit donnée.
L’armée de terre des Etats-Unis fut la première à croire aux fusées comme arme, et c’est le dévouement et insistance du Colonel, puis Général de Brigade Holger N. Toftoy qui a permis par l’intermédiaire de l’Opération Paperclip de sortir l’équipe des spécialistes en fusées allemande dirigée par Wernher von Braun des luttes de pouvoir et d’influence après la chute du régime nazi et leur donner un havre de travail aux Etats-Unis, au Fort Bliss.
L’armée a récupéré, protégé et expédié aux Etats-Unis des missiles V2 entiers, des tonnes de pièces détachées et de documents pour leur fabrication et leur assemblage, permettant au Dr von Braun et ses collègues de continuer leur travail.
La confiance inébranlable de l’armée dans les fusées et les missiles guidés a favorisé le transfert de l’équipe de von Braun vers une base militaire pratiquement abandonnée ici à Huntsville, c’est ainsi que tout a commencé et a rendu possible une extraordinaire série de réalisations.
L’armée a presque littéralement, supplié, emprunté de l’argent, s’est appropriée des installations, afin d’apporter son soutien à l’équipe technique de von Braun, nous permettant d’entrer dans le nouvel âge des missiles guidés ayant la capacité de délivrer des charges nucléaires. La Redstone constitue la première génération de fusées à plus longue portée, auto guidée, et portant de grosses ogives, pouvant être nucléaires. Grâce à l‘armée on fit beaucoup avec peu d’argent. L’industrie ne voyant pas d’avenir dans ce secteur, il a pratiquement fallu menacer la société Chrysler pour qu’elle accepte de fabriquer la Redstone en série. Cela nous a permis de transférer les techniques et les capacités relatives aux missiles balistiques à guidage inertiel, utilisant des ergols liquides, des laboratoires aux usines de production. L’armée a été obligé de faire de la contrebande pour commencer la construction du premier banc d’essai qui a si bien servi pour la Redstone et la Jupiter. Je sais de quoi je parle, car c’est moi, alors à Washington, qui m’en suis occupé.
Le projet Orbiter ne fut pas retenu, et c’est à Vanguard qu’échut la mission de lancer un satellite dans le cadre de l’Année Géophysique Internationale, un projet mal conçu, onéreux et idéaliste. Il a fallu que le gouvernement américain mette la main à la poche, et pas qu’un peu, pour aider ce projet à réinventer la roue. A ce moment là, l’équipe de von Braun est officiellement déclarée « hors-jeu » de la course à l’espace. Les plus hautes instances gouvernementales nous firent savoir qu’il fallait abandonner nos velléités spatiales.
L’armée a fait tout ce qu’elle a pu pour garder un pied dans le futur, en se préservant au sein des programmes de défense prioritaires le développement puis l’exploitation sur le terrain d’un missile balistique à moyenne portée, le choix de l’armée se portera sur la fusée Jupiter. Pour ce faire et assurer le succès de l’entreprise il fallut créer une agence spéciale et lui donner des moyens uniques dans l’histoire. On m’a choisi, alors que j’étais à l’orée de prendre ma retraite, pour diriger cette agence : l’ABMA (Army Ballistic Missile Agency – Agence des missiles balistiques de l’armée de terre). C’est uniquement l’importance et le statut prioritaire de cette agence qui a permis d’entretenir une étincelle de vie au projet Orbiter, l’ultime projet visible de l’équipe von Braun à qui l’on a fermé la porte de l’espace au nez. En choisissant délibérément l’utilisation d’un lanceur multi-étage nous avons pu tester des solutions pratiques au problème du réchauffement lors de la rentrée atmosphérique, avons pu développer et tester des configurations auxquelles il ne manquait qu’un quatrième étage pour en faire un satellite. C’est à ce même matériel, utilisé plus tard pour mettre en orbite Explorer I, auquel on donna la priorité, pour être lancé de l’Atlantic Missile Range au grand dam de l’Air Force qui traînait des pieds.
En octobre 1955, lorsque je suis venu à Huntsville en avion pour la première fois, pour mettre sur pied cette nouvelle agence, j’ai eu du mal à trouver l’endroit. Les balises vertes et blanches de l’aéroport de Huntsville clignotaient dans un océan d’obscurité. A 22 heures cette nuit là, la plupart des lumières de la petite ville, qu’était alors Huntsville, étaient très faibles ou éteintes. Les chiffres annonçaient une population de 17 000 âmes, mais cela n’avait pas l’air d’être le cas. La ville ne se préoccupait guère de l’Arsenal et la voie Jordan (la Jordan Lane était alors la route d’accès principale à l’Arsenal Redstone qui est situé au sud-ouest de Huntsville) était alors à l’abandon, mais prête à devenir une artère principale permettant le développement rapide de la base militaire.
Le rappel historique de Jim est correct, mais quelque part, la reconnaissance de l’énorme influx psychologique et novateur qui a permis de réaliser tout cela a été perdu. Je leur disais ce dont nous avions besoin, mais pour l’obtenir j’ai dû supplier, contraindre, flatter, et menacer. L’expansion ne peut se faire sans annexion sans expropriation, et pour ce faire, l’unanimité était essentielle. Un jeune conseiller municipal, fraîchement élu, avait promis de ne jamais approuver une « annexion » sans avoir organisé de référendum. Après une série de réunions, reconnaissant que c’était nécessaire et inévitable, c’est en larmes qu’il finit par accepter, au prix de renier sa parole. Un saut à Montgomery, devant la législature de l’état et l’acte était entériné. Les limites de Huntsville furent considérablement élargies (de plus de 40% pendant cette période), permettant la construction d’un réseau d’eau potable et d’un réseau d’égouts. Cette coopération a permis le développement sans heurts de notre activité. La population de Huntsville s’est accrue, mais certains devaient faire plus de 80 km pour se loger. Les banquiers ne nous ont pas crus, la FHA (Federal Housing Administration – Administration fédérale du logement) très avare, a été extrêmement réticente à financer de nouveaux projets immobiliers. L’armée pensait que j’étais fou et vaniteux, mais fit tout de même de son mieux pour m’épauler car notre mission était une priorité nationale.
Quelques mois avant Explorer I, je me suis entretenu avec les responsables de la Chambre de Commerce du comté de Huntsville-Madison et leur prédît que dans dix ans, en 1967, la ville compterait 100 000 habitants. J’ai bien cru qu’ils allaient me jeter dehors ou appeler les hommes en blanc pour m’enfermer. Il se trouve que la population de Huntsville a atteint ce chiffre en 1963, quatre ans plus tôt !
Lorsque je vois une phrase affirmant, « le Centre Spatial Marshall est présent depuis le début », je suis obligé de m’étonner, de quel début s’agit-il ? Le MSFC n’est vraiment opérationnel que depuis le milieu des années 60, sa naissance fut le résultat d’une césarienne effectuée sur le ventre de l‘armée. A ce moment-là des satellites Explorer (au nombre de 6) ont déjà été mis en orbite et des sondes (Pionner 3 et 4) envoyées dans l’espace. Toute une série d’engins spatiaux ont été lancés par des variantes de la fusée Jupiter, la série des Juno et des Jupiter C. De même, à ce moment là, Huntsville comptait déjà plus de 70 000 habitants, un chiffre en constante augmentation. Un prototype grandeur nature de la Saturne I, était en cours de réalisation et la fabrication de cette version sur le point de commencer. La fiabilité des fusées Redstone et Jupiter fut également axiomatique, le choix d’utiliser la Redstone pour faire d’Alan Shepard le premier américain dans l’espace ne fut pas seulement logique, mais inévitable.
Wernher von Braun, mon loyal subordonné est devenu un ami très cher. En plusieurs occasions il m’a confié qu’il aimerait avoir à nouveau l’armée au-dessus et en face de lui, afin qu’elle gère les interférences et règle certains problèmes administratifs et politiques à sa place. Loin de moins l’idée de vouloir m’attribuer la gloire due à Wernher von Braun et sa loyale équipe de scientifiques et d’ingénieurs, pour leur imagination technique, leur courage à innover, et leur confiance, qui les a toujours poussé à avancer, à la pointe de la technologie. Mais je souhaite rappeler aux historiens de Huntsville que c’est l’armée qui a transformé cette cité, uniquement connue pour son coton et son cresson, pour en faire la capitale spatiale des Etats-Unis. Du point de vue des traitements et salaires, les fiches de paie de l’armée ont toujours été bien plus nombreuses que celles de la NASA dont le manque de cran et d’imagination de ceux qui la dirigent, nous a conduit dans cette décennie de non-réalisations spatiales, et ce n’est que grâce au Seigneur tout puissant, que nous, en tant que nation, éviterons les pièges que nous tendent les couards, les faibles et les égocentriques, afin que nous retrouvions les conditions pour aller de l’avant.