Le 4 juin 1932, Wernher von Braun, qui a eu 20 ans le 23 mars, publie un article sur la fusée à ergols liquides, dans le magazine hebdomadaire illustré Die Umschau, qui traite des progrès de la science et de la technologie.
Wernher von Braun a intitulé son article : « Le secret de la fusée à ergols liquides» (Das Geheimnis der Flüssigkeitsrakete).
Le XXe siècle a permis à l’humanité de réaliser l’un de ses désirs les plus chers : voler.
Mais le progrès pousse à aller plus haut, pour s’affranchir de l’air et pouvoir voler sur de longues distances, à de grandes vitesses en toute sécurité, ce quelles que soient les conditions météorologiques.
Pendant quelque temps, le développement technique du vol à haute altitude a stagné, on s’est rendu compte que l’on ne peut pas aller au-delà d’une certaine altitude avec la technologie actuelle, et que toute tentative de dépasser les records en cours, implique toujours des dépenses d’argent sans commune mesure avec une utilisation courante.
Parce que tous les avions dont nous disposons jusqu’à présent sont tributaires d’une certaine densité d’air, il nous faut complètement abandonner les systèmes de propulsion actuels, pour atteindre des altitudes encore plus élevées. Nous avons besoin d’une propulsion qui puisse s’affranchir de la présence d’air.
La seule façon de pouvoir voler à de très hautes altitudes, même dans le vide, passe par l’utilisation du moteur-fusée. Tout le monde connaît la fusée de feu d’artifice.
Un tube en carton, bourré de poudre, auquel on met le feu, qui vise le ciel avec une longue gerbe de flammes. L’industrie moderne des fusées à poudre a appris à développer des fusées hautes performances extrêmement fiables à partir de cette forme originelle. Elles sont largement utilisées pour le sauvetage en mer, éclairer, prendre des photos, et empêcher la formation de grêle.
Mais là encore, vous êtes limités dans les performances. Toutes les tentatives ont échoué en raison de l’explosivité de la poudre et de son énergie chimique insuffisante, et notamment en raison de l’impossibilité d’arrêter la combustion du dispositif incendiaire après la mise à feu, ou faire varier la puissance même dans de petites limites.
La fusée n’a pu gagner en importance qu’au moment où il fut possible de construire des fusées à propergol liquide. Les carburants comme l’essence ou l’alcool produisent non seulement une énergie beaucoup plus élevée que les meilleures poudres sans fumée, mais permettent également de créer des fusées totalement exemptes du risque d’explosion.
Parce que l’oxygène fait partie de la combustion, ce dernier doit être stocké dans des réservoirs séparés, à l’état liquide, et n’entre en contact avec le carburant lui-même, qu’au moment de la combustion.
Dans les poudres sans fumée, dont l’utilisation pose déjà des difficultés particulières, l’oxygène est présent dans le composant, de sorte que chaque poussée puissante peut provoquer un regroupement chimique potentiellement explosif.
Qui plus est, la fusée à combustibles liquides présente un avantage particulièrement important : la poussée du moteur peut être régulée. Dans la mesure où un liquide n’a besoin de passer qu’à travers une vanne pour que son débit puisse être contrôlé à volonté.
Il s’agit là d’une condition préalable indispensable, pour que ces engins puissent être exploitées rationnellement dans un cadre pratique.
Une fusée à ergols liquides est vraiment une machine ordinaire. Il y a les réservoirs dans lesquels le carburant est stocké, les tuyaux d’alimentation, les vannes de régulation, et un moteur : le moteur-fusée.
Clarifions sommairement le fonctionnement du moteur-fusée. Nous connaissons tous l’effet de recul qui se produit lors du tir avec un fusil. Il est provoqué par la poudre explosive qui repousse le fusil avec la même force avec laquelle elle expulse le projectile dans la direction opposée.
En principe, un moteur-fusée n’est rien de plus qu’un fusil capable de tirer des millions de minuscules sphères chaque seconde, à savoir les molécules d’un flux de gaz sortant d’une buse. Chaque molécule éjectée crée un petit recul, dès la sortie.
Si le processus est complètement continu, une force agissant constamment résulte de toutes ces petites secousses, le mouvement de la fusée. C’est une mesure de la performance de n’importe quel moteur de fusée. La poussée (recul) croît d’une part, avec le nombre de molécules éjectées, et d’autre part avec la vitesse de sortie.
Afin de donner à un gaz la vitesse la plus élevée possible, il faut le réchauffer. « L’effet de cheminée » bien connu se produit alors, qui fait « tirer » une cheminée, et dont la cause n’est rien d’autre que l’énergie chaude du gaz convertie en énergie cinétique, c’est-à-dire en flux, sur le long chemin à travers le conduit de la cheminée.
Bien entendu, les différences de température dans le moteur-fusée sont bien plus élevées que dans une cheminée conventionnelle, elles atteignent jusqu’à 2000 °, en lieu et place d’un « conduit » cylindrique normal, le moteur-fusée est équipé d’une tuyère.
Le moteur d’une fusée est donc un moteur sans pièces rotatives. Il se compose simplement d’une chambre de combustion et d’une tuyère qui y est raccordée. En raison de cette simplicité, ses pertes sont également extrêmement faibles.
Dans les moteur-fusée modernes qui utilisent par exemple l’essence et l’oxygène liquide, on a déjà réussi à atteindre des vitesses d’éjection atteignant 2 200 mètres par seconde. Les performances de ces dispositifs sont en conséquence élevées.
On a récemment testé avec succès un moteur-fusée, qui a délivré une poussée continue de presque exactement 100 kg pour une consommation de carburant de seulement 500 g par seconde ; cela correspond à une puissance continue indexée de 2 660 chevaux ! L’ensemble du moteur avait une masse de 1,5 kg.
La mise au point de tels moteur-fusées présente naturellement des difficultés considérables. D’une part, les matériaux doivent pouvoir résister à des températures allant de + 2500 ° à -183 ° qui est celui de l’oxygène liquide. Les valves des conduits d’oxygène, sont toujours soumises au risque de gel à basse température, présentent également des difficultés de conception particulières.
En pratique, chaque nouveau moteur est d’abord testé, ses performances sont enregistrées par des instruments de mesure. Ensuite, le moteur est soumis à « l’épreuve de vérité », un essai statique au cours duquel il est sollicité bien au-delà de ces capacités nominales, et ce n’est que lorsque ce test est également passé avec succès que le moteur peut être utilisé dans une fusée.
Même aujourd’hui, les fusées à ergols liquides peuvent facilement atteindre des altitudes de 4 000 m. En fin de vol, la fusée revient sur Terre suspendue à un parachute, déployé au sommet de la trajectoire, la fusée peut ainsi être à nouveau « ravitaillée » et relancée.
Il serait également possible sans difficultés particulières, de construire des fusées pour atteindre des altitudes de 50 ou 100 km. Jusqu’à présent, tous ces projets ont échoué en raison de la cruciale question d’argent. Mais on peut espérer que cette difficulté puisse être bientôt surmontée également.
Que des fusées soient capable d’atteindre de très hautes altitudes serait d’un immense intérêt pour la science. On pourrait non seulement facilement explorer les couches supérieures de l’atmosphère, mais on pourrait également prendre des photographies de la surface de la Terre, ce qui pourrait permettre de découvrir des interactions météorologiques complètement nouvelles.
Mais cela ne justifierait pas seul le développement de la fusée à ergols liquides liquide. Le développement d’un engin dans lequel vous investissez de l’argent doit également permettre d’en gagner. La fusée doit être lucrative. La fusée postale promet une rentabilité en permettant de franchir très rapidement des distances de plus en plus grandes.
À une vitesse initiale d’environ 7 000 mètres par seconde par exemple, une fusée est capable de traverser l’océan Atlantique, de l’Europe à l’Amérique, en un grand arc, en 25 minutes.
La fusée à ergols liquides peut atteindre cette vitesse si elle emporte suffisamment de carburant pour être capable de générer une poussée assez longtemps ; tant qu’il y a de la poussée, la vitesse s’accroit.
Sur la base de l’expérience actuelle concernant la consommation de carburant des fusées à ergols liquides, on peut conclure qu’il sera probablement possible de mettre en place un service de fusées postales entre l’Europe et l’Amérique, ainsi une lettre normale pourra être acheminée à un coût compris entre 20 et 30 pfennigs.
Plus tard, il sera même certainement possible de piloter de telles fusées, de sorte qu’il deviendra possible de transporter des passagers à grande vitesse dans le monde entier. On pourra alors atteindre n’importe quel endroit, à partir de n’importe quel point de la surface de la Terre, en moins d’une heure.
Ce n’est que lorsque la fusée à longue portée sera devenue aussi sûre que le chemin de fer et l’avion le sont pour nous aujourd’hui, que l’on pourra envisager la fusée lunaire.
A l’heure actuelle, on ne peut dire qu’une chose sur la question du voyage dans l’espace, c’est qu’il est théoriquement possible. Mais dans la pratique il y a encore un long chemin à parcourir avant que cela ne se réalise enfin. On ne peut bien sûr encore rien prédire de ce qu’il adviendra.
Ainsi la mise au point d’une fusée postale à longue portée, destiné à une exploitation commerciale, est si intéressante, surtout en cette période de chômage de masse, que toutes les compétences devraient être rassemblées pour atteindre rapidement ce but.
Wernher von Braun