La judicieuse recommandation d’Edgar Hoover

Le 13 septembre 1947, le premier directeur du FBI (il le restera pendant 48 ans), John Edgar Hoover (1 janvier 1895 – 2 mai 1972) envoie une lettre au directeur du renseignement de l’armée de terre (director of the Intelligence Division, G-2, on the War Department General Staf), le général trois étoiles Stephen Jones Chamberlin (23 décembre 1889 – 23 octobre 1971)

Dans cette missive, Edgar Hoover, lui demande de ne pas permettre aux scientifiques allemands de l’Opération Paperclip d’avoir accès à des informations techniques classifiées.

Chamberlin, consterné, lui répond en substance qu’il s’agit là d’une recommandation absurde, dans la mesure où ce sont justement ces allemands qui produisent ces documents techniques.

Il l’informe par ailleurs que ces allemands sont de loyaux et dévoués alliés dans le combat contre les « rouges » et lui demande de leur octroyer des visas.

Edgar Hoover farouche anti-communiste, dont les services surveillent ces allemands, n’ayant rien à leur reprocher, donna son feu vert, leur permettant de devenir des résidents légaux aux Etats-Unis.

Cinq ans plus tard ils acquerront la nationalité américaine.

Himmler prend le contrôle du programme A4

Heinrich Himmler rêve de créer un empire industriel, pour que la SS ne soit plus dépendante du budget de l’état.

Il va notamment établir des usines d’armement dans les camps de concentration, c’est ainsi qu’une usine de carabines voit le jour à Buchenwald, une usine de pistolets à Neuengamme, une usine de canons antiaériens à Auschwitz, une usine produisant des systèmes de communication à Ravensbrück, etc.

Ces tentatives seront globalement des échecs.

« Louer » des travailleurs issus des camps de concentration aux grandes firmes, sera beaucoup plus lucratif. Ce faisant, Himmler va bien évidemment s’intéresser également au programme des fusées, d’une toute autre magnitude.  

Les fantastiques innovations du programme A4 fascinent le Reichsführer SS.

Les étapes de cette prise de contrôle du programme A4, dans les grandes lignes :

  • En 1940 Himmler a obtenu de Wernher von Braun, qui n’a rien demandé, qu’il rejoigne son organisation, la SS. C’est ainsi que le directeur technique civil du centre de recherche de Peenemünde (re)devient le membre n° 185 068 * de la SS Générale (Allgemeine SS), ce après deux « sollicitations » sans réponse. Son adhésion débute le 1er mai 1940, Himmler lui confère le grade honoraire de sous-lieutenant (SS-Untersturmführer). Von Braun est rattaché, et non pas affecté, à l’Oberabschnitt Ostsee (anciennement SS-Oa.Nord), SS-Abschnitt XIII dont le quartier général se trouve à Stettin (116 km de Peenemünde) et commandé alors par le SS-Oberführer Walter Langleist (SS-Oberführer est un grade spécifique à la SS entre colonel et général). Le régiment SS le plus proche est la 74e SS-Standarte stationnée à Greifswald (30 km de Peenemünde). Ce régiment d’infanterie est commandé à ce moment-là par le colonel (SS-Standartenführer) Otto Müller. C’est ce dernier qui servira d’intermédiaire avec Himmler pour faire adhérer von Braun à la Allgemeine SS. La région de la mer Baltique (Ostsee) est dirigée par Emil Mazuw alors général de division (SS-Gruppenführer).
  • En mai 1941, Himmler incorpore tous les clubs de spéléologie d’Allemagne et d’Autriche au sein de la Reichsbund für Karst und Höhlenforschung. Cette « fédération du Reich pour le karst et la spéléologie » est sous la tutelle de la SS-Ahnenerbe. [La Ahnenerbe Forschungs und Lehrgemeinschaft ou société pour la recherche et l’enseignement sur l’héritage ancestral, créé le 1er juillet 1935 et intégrée à la SS en janvier 1939 comprend 38 instituts de recherche dans des domaines aussi variés que l’archéologie, la philologie, la climatologie, l’astronomie, l’anthropologie, la médecine, l’ethnographie, la musicologie, l’entomologie, la météorologie, la biologie, la zoologie etc.]. La SS veut s’approprier les travaux et surtout confisquer l’impressionnante bibliothèque et la documentation du Dr Benno Wolf (26 septembre 1871 – 6 janvier 1943) ce docteur en droit, juge régional, féru de spéléologie, ancien président et fondateur de l’association des spéléologues allemands (Hauptverband Deutscher Höhlenforscher), qui avait notamment constitué un registre recensant toutes les grottes de la planète. Benno Wolf, 71 ans, est arrêté par la Gestapo le 6 juillet 1942 à 13 :30 alors qu’il rentre chez lui, et déporté au camp de concentration de Theresienstadt ; bien que baptisé protestant, il est d’origine juive par ses grands-parents. (L’un des cas particuliers des lois de Nuremberg.) Il y mourra un an et demi plus tard, le 6 janvier 1943 victime de mauvais traitement. C’est ainsi que la SS met la main, sur ce qui va notamment lui permettre de s’immiscer dans la production de l’armement, lorsque beaucoup d’usines seront transférées sous terre, avec les travaux d’excavation et d’aménagement, et surtout la production, réalisés par les détenus des camps de concentration. Himmler va créer la Höhlennachweis-Abteilung im Wehrwissenschaftlichen Institut for Karst- und Höhlenforschung der SS Karstwehr-truppe. Les services secrets de nombreux pays ont des cellules spécialisées dans la collecte d’informations de nature géologique, et les cavités souterraines.
  • Au printemps 1942, Himmler propose à Albert Speer qui vient d’être nommé ministre de l’Armement et des Munitions le 8 février 1942 (qui chapeaute la production en série du programme des fusées), le grade honoraire de Oberst-Gruppenführer. Il s’agit du deuxième grade d’officier général le plus élevé dans le corps des officiers généraux SS (il n’en existera que 4 dans l’histoire de la SS). Le plus haut grade étant bien évidemment porté par Himmler lui-même, qui est le quatrième Reichsführer-SS de l’organisation, et le 168e adhérent de la SS. [A noter : Hitler a comme numéro d’adhérent de la SS le 1, il avait le grade suprême de Oberster Führer der Schutzstaffel, pour lequel il n’existe toutefois pas d’insigne.] Contrairement à Wernher von Braun, Albert Speer, fort des relations privilégiées qu’il entretient avec Hitler à ce moment-là, peut se permettre de refuser cette offre. Non seulement Speer évite ainsi toute sujétion à la SS, mais lui permet de garder la confiance des dirigeants de la Wehrmacht. Ce refus, le fait d’être le protégé d’Hitler, et son opposition à l’immixtion de la SS dans le programme A4 (entre autres), vont lui valoir la forte inimitié d’Himmler, ce dernier le soumettra à un régulier travail de sape.
  • Le 3 octobre 1942 la fusée A4 / V-4 atteint 83 km d’altitude et parcoure la distance de 193 km. Premier lancement réussi. (Le V signifie versuchsmuster pour « engin de test » ou « prototype » et le chiffre, la séquence dans la chronologie des lancements.)
  • Le 11 décembre 1942 Himmler effectue sa première visite de Peenemünde. Il assiste au lancement de la A4 / V-9 qui explose au bout de quatre secondes.
  • En avril 1943 Himmler essaie de discréditer le commandant militaire de Peenemünde, le colonel Leo Zanssen, un officier à l’ancienne mode, de plus en plus critique envers le régime. Il l’accuse d’avoir des contacts avec un groupe anti-nazi d’obédience catholique à Stettin ; « un espion à la solde des catholiques ». L’officier en second de Zanssen, le lieutenant-colonel Gerhard Stegmaier, affirme même qu’il est alcoolique, un mensonge, « un coup de poignard dans le dos ». Il s’avèrera que Stegmaier est à la solde de la SS. Très vite le général Friedrich Fromm, responsable de l’équipement militaire de l’armée de terre et commandant de l’armée de réserve (Chef der Heeresrüstung und Befehlshaber des Ersatzheeres), prend sa défense et envoie une missive à Himmler l’informant que Zanssen, de confession catholique, est marié à une protestante, que ses enfants sont baptisés dans l’Eglise protestante. Ernst Kaltenbrunner le chef de l’Office Central de la Sûreté du Reich (RSHA pour Reichssicherheitshauptamt), homme de confiance d’Himmler, ne peut que confirmer ces informations. Au final Zanssen sera lavé de tout soupçon. Il sera promu Generalmajor le 1er avril 1944.
  • Le 3 avril 1943 le gouvernement annonce officiellement la perte de la VIe armée à Stalingrad, commandée par Friedrich Paulus. Capitulation qui date du 2 février. Pour la première fois la Wehrmacht est vaincue dans un conflit majeur. La guerre prenant une tournure défavorable, Joseph Goebbels, le ministre de la propagande, dans son célèbre discours radiodiffusé du 18 février au palais des sports (Sportpalast) de Berlin, avait appelé à la « guerre totale » et évoqué à nouveau les nouvelles armes qui allaient pouvoir retourner la situation. (La première évocation publique de l’utilisation de nouvelles armes remonte à son discours du 30 janvier 1943 – L’utilisation du V pour vergeltung qui signifie châtiment, vengeance, représailles, est une réponse au V de victory utilisé par Winston Churchill. La propagande nazie utilisera également le terme de Wunderwaffen – armes miracles.) Dès lors la pression sur les responsables du programme va devenir de plus en plus forte.
  • A la mi-avril 1943 il est décidé que la production en série de la A4 serait assurée par les détenus des camps de concentration. Une première victoire pour Himmler. Quatre sites sont choisis : Fertigungshalle Eins (Versuchserienwerk – Werk Süd – Peenemünde), Zeppelin-Werke (Friedrichshafen), Rax-Werke (Wiener Neustadt), Demag-Lokomotivwerken (Falkensee) [Demag = Deutschen Maschinenfabrik AG]. Le premier, Karlshagen Außenlager II, emploi des détenus des camps de Buchenwald et Sachsenhausen, il est administrativement rattaché au camp pour femmes de Ravensbrück. Le second, KZ-Außenlager Friedrichshafen, emploi des détenus du camp de Dachau. Le troisième, Arbeitslager Wiener Neustadt, emploi des détenus du camp de Mauthausen. Le dernier, KZAußenlager Falkensee, emploi des détenus du camp de Sachsenhausen.
  • Les 28 et 29 juin 1943 Himmler [accompagné par Emil Mazuw qui a été promu le 20 avril 1942 Général de corps d’armée et Général de Police (SS-Obergruppenführer und General der Polizei), ainsi que le General der Artillerie Emil Leeb qui est depuis le 16 avril 1940 le responsable du bureau des armes de l’armée de terre (Chef des Heereswaffenamtes)] effectue sa deuxième visite de Peenemünde. Il assiste, le 29, à deux lancements effectués du polygone d’essai n° 7 (Prüfstand VII). Le premier, (V-38) dans la matinée, est un échec, l’engin s’écrase sur l’aéroport détruisant trois avions, l’autre (V-40), dans l’après-midi, est un succès. Von Braun avait été prié par les autorités SS locales de revêtir son uniforme SS, et pour cause, il est promu commandant (SS-Sturmbannführer) le 28 juin. Lors de la première visite il était resté en costume civil. Traditionnellement les promotions au sein de la SS ont lieu le 9 novembre, la date anniversaire du « putsch de Munich ». Bien qu’il s’agisse d’un fiasco, cette tentative de prise de pouvoir par Hitler en Bavière, est devenu l’un des mythes fondateurs du régime nazi. A partir de 1934 les promotions se feront également le 30 janvier, l’anniversaire de la prise de pouvoir. Une promotion hors de ces dates, datée du jour de la visite d’Himmler à Peenemünde, montre à quel point ce dernier « s’intéresse » à von Braun.
  • Le 8 juillet 1943 Walter Dornberger, Wernher von Braun et Ernst Steinhoff se rendent au quartier général d’Hitler dans un Heinkel 111. Quelques jours plus tard Himmler lors d’une entrevue avec Hitler déplore le fait que les trois personnalités les plus importantes du programme A4 ont volé dans le même appareil. On demandera aux trois concernés de ne plus prendre l’avion ensemble. Ce faisant Himmler se rappelle au bon souvenir de ces trois personnes, et combien il s’intéresse à leurs travaux.
  • Dans la nuit du 17 au 18 août 1943 le site de Peenemünde est bombardé. Une véritable aubaine pour Himmler. C’est la fin du « tout sous le même toit » (alles unter einem dach) prôné par Walter Dornberger.
  • Himmler a de plus en plus de réunions de travail avec Hitler au sujet du programme A4.
  • Le 18 août au matin, Albert Speer se rend à Peenemünde pour constater les dégâts. Le lendemain après-midi il rencontre avec son bras droit Karl-Otto Saur qui dirige le Technische Amt im Munitionsministerium, Adolf Hitler dans son repère du Loup. Himmler lui avait déjà suggéré de confier à la SS la production des A4, qui sont désormais appelées V2 (deuxième arme de représailles), dans une usine souterraine, qui utiliserait les détenus de ses camps. Au départ, Hitler avait décrété que les armes V ne serait produites que par des travailleurs allemands.
  • Le 24 août 1943 Himmler devient ministre de l’intérieur.
  • Fin août 1943, il est décrété que la production en série du missile V2 se fera exclusivement dans une usine sous-terraine dans le massif du Harz. La partie est presque gagnée pour Himmler.
  • En novembre 1943 une partie des vols d’essais du V2 est relocalisée à Blizna en Pologne, dans un centre d’essai et de formation SS créé le 26 juin 1940. (SS Truppenübungsplatz Heidelager – Zone d’entraînement militaire SS Heidelager) à 23 km de la ville de Dębica. Le premier des 204 lancements de V2 à Blizna a lieu le 5 novembre 1943. Le site, qui forme également les batteries de lancement du missile, reste opérationnel jusqu’en juillet 1944 lorsqu’il est évacué en raison de l’approche de l’armée rouge, qui arrive sur les lieux le 6 août 1944. Le dernier lancement de Blizna a lieu le 30 juin 1944. Les essais se feront désormais dans la forêt de Tuchola, sous le nom de code « Heidekraut » en Posnanie-Prusse occidentale. Environ 224 lancements y auront lieu entre le 10 septembre 1944 et le 11 janvier 1945, le site est à son tour évacué en raison de la progression de l’armée rouge. Les installations sont évacuées dans une forêt au sud de Wolgast, puis le long de la rivière Weser (Visurge) près de la ville de Rethen, au sud-est de la ville de Hanovre. Quant à Peenemünde, les lancements d’essais y ont perduré jusqu‘au 20 février 1945.
  • En février 1944 Himmler convoque Wernher von Braun pour lui « proposer » de continuer ses travaux sous les auspices de la SS et de « s’affranchir de la lourde bureaucratie de l’armée de terre », selon ses propres termes. Von Braun refuse poliment. Pourtant, depuis le 28 juin 1943, von Braun a le grade honoraire de Commandant dans la Allgemeine SS… Après cette entrevue au cours de laquelle il affiche son indéfectible fidélité à Walter Dornberger et à l’armée de terre, tout va changer pour lui. Himmler ne lui pardonnera jamais cet affront, c’est ainsi qu’il ne sera jamais promu Lieutenant-Colonel (Obersturmbannführer). Rappelons que les grades dans la Allgemeine SS sont purement honorifiques, politiques. Von Braun n’avait aucune fonction spécifique dans cette organisation. Son adhésion débute officiellement le 1er mai 1940 comme Sous-Lieutenant (SS-Untersturmführer), il est automatiquement promu Lieutenant (SS-Obersturmführer) le 9 novembre 1941, Capitaine (SS-Hauptsturmführer) le 9 novembre 1942. Proposer des grades honoraires dans la Allgemeine SS à des personnalité du régime, est une méthode courante utilisée par Himmler pour infiltrer les différents ministères, administrations, grosses entreprises, instituts de recherche, universités, etc.
  • Dans la nuit du 21 au 22 mars 1944, la veille de son trente-deuxième anniversaire, von Braun est arrêté par trois hommes de la Gestapo dans sa chambre à l’Inselhof, dans la petite station balnéaire de Zempin. (Klaus Riedel, Helmut Grottrüp, Magnus von Braun et Hannes Lührsen seront également arrêtés). Von Braun restera en prison deux semaines, sans contact avec les autres, accusé de vouloir saboter le programme A4. Il s’agit de la seconde tentative des SS, après celle de Zanssen, d’intimider de hauts responsables du programme A4. Il sera libéré à titre provisoire pour une durée de trois mois grâce à l’intervention de Walter Dornberger, Johannes « Hans » Georg Klamroth (commandant de réserve des services de renseignements de l’armée de terre) et surtout d’Albert Speer.
  • En août 1944, Himmler devient responsable de l’équipement militaire de l’armée de terre et commandant de l’armée de réserve (Chef der Heeresrüstung und Befehlshaber des Ersatzheeres) en remplacement du général Friedrich Fromm démis de ses fonctions, dégradé et expulsé de l’armée, fusillé en tant que civil le 12 mars 1945. Il paye de sa vie son comportement ambigu dans le complot du 20 juillet 1944 (Opération Walkyrie), la dernière des quelque 20 tentatives concrètes d’assassiner Hitler entre 1933 et 1944 sur une quarantaine de projets avérés. Cette nomination place Himmler à la tête des 2 millions d’hommes de cette armée de réserve, responsable de l’armement de la Wehrmacht et de la gestion des prisonniers de guerre. Le pouvoir du Reichsführer SS atteint son apogée.
  • Le 6 août 1944 Himmler nomme Hans Kammler (SS-Gruppenführer und Generalleutnant der Waffen-SS depuis le 30 mars 1944), qui a obtenu un doctorat en génie civil en 1929, responsable de la production et de l’utilisation de la A4, il devient le Représentant Spécial du Reichsführer SS pour le programme A4 (Sonderbeauftragten des Reichsführers SS für das A 4-Programm). Dès lors la SS met définitivement la main sur le programme A4, Himmler a gagné la partie. Walter Dornberger, le chef historique du programme A4 est écarté, il travaille désormais sous les ordres de Kammler. Ce faisant, ce dernier se voit également confier la responsabilité du déploiement militaire du V2. A la tête de la division SS z.V. (zur Vergeltung – en représailles), il dispose de plusieurs batteries de lancement et d’un effectif d’environ 11 000 hommes au début de 1945. Depuis juin 1941 Kammler était responsable du département C, celui de la construction et des travaux (Chef der Amtsgruppe C im WVHA) au sein de l’office central SS pour l’économie et l’administration (SS-Wirtschafts-Verwaltungshauptamt ), ce qui inclue les camps d’extermination. Son efficacité, son zèle avaient fait forte impression… Kammler avait également prévu à l’été 1944 de relocaliser la partie développement de Peenemünde dans des mines près de Ebensee dans la région du Salzkammergut en Autriche, (sous le nom de code « Kalk » puis « Zement »). Finalement cela ne se fera pas et le site abritera une raffinerie de pétrole synthétique (Installation A) et des machines-outils pour pièces de chars (Installation B).
  • Le dernier coup bas d’Himmler vis à vis de von Braun a lieu le 28 septembre 1944 lorsque ce dernier suggère à Albert Speer de décerner à Walter Dornberger et deux de ses ingénieurs, Walter Riedel et Heinz Kunze, la Croix de Chevalier de la Croix du Mérite de Guerre avec Glaives (Ritterkreuz des Kriegsverdienstkreuzes mit Schwertern). Il ignore totalement von Braun, le directeur technique du centre de recherche de Peenemünde, loyal bras droit de Walter Dornberger depuis le tout début. Albert Speer trouve l’attitude d’Himmler totalement ridicule. Sur la liste que Speer proposera à Hitler figureront Wernher von Braun et Walter Thiel (à titre posthume). Hitler finit par entériner cette décision après des pourparlers dans les coulisses des ministères concernés. Une décoration attribuée 243 fois entre 1939, date de sa création par Adolf Hitler, et 1945 (et seulement à six reprises à titre posthume). C’est ainsi que le 29 octobre 1944, Walter Dornberger, Wernher von Braun, Walter Thiel (à titre posthume), se voient attribuer cette décoration. Elle leur sera physiquement remise le 9 décembre 1944, à l’occasion d’une cérémonie et d’un dîner organisés dans le magnifique Château de Varlar près de la ville de Coesfeld (en Rhénanie-du-Nord – Westphalie) présidée par Albert Speer ministre de l’Armement et de la Production de guerre. (De même qu’à Gerhard Dekenkolb qui dirige le Comité Spécial A4 (Sonderausschusses A4) et Karl-Otto Saur, le bras droit de Speer.)

[Heinz Kunze ne recevra la distinction que le 20 avril 1945, quant à Riedel, les sources sont contradictoires, Walter H. J. Riedel aurait reçu la Ritterkreuz des Kriegsverdienstkreuzes le 10 février 1944 et la Ritterkreuz des Kriegsverdienstkreuzes mit Schwertern le 1er septembre 1944, ce qui est impossible. Il s’agit certainement d’une confusion entre Walter Hermann Julius « papa » Riedel (5 décembre 1902 – 15 mai 1968) et Walther Johannes Riedel (23 janvier 1903 – 16 novembre 1974). Le premier a dirigé le bureau d’étude de Peenemünde, le second a remplacé Walter Thiel comme responsable du développement des moteurs fusées.]

(*) Dès le printemps 1933 Himmler intègre des organisations entières à la SS, c’est ainsi qu’il annexe les sociétés hippiques, ce qui lui ouvre toutes grandes les portes de la bonne société.  Annexion qu’il paye au prix fort puisqu’il s’engage à prendre en charge au sein de la SS tous les adhérents de ces sociétés sans distinction d’opinions. Lorsque le 1er novembre 1933 Wernher von Braun souhaite s’inscrire dans une école d’équitation, il n’a pas le choix, ce sera obligatoirement une école SS, la Reitersturm I à Berlin Halensee en l’occurence. Il y prendra des cours deux fois par semaine. Il a le numéro d’adhérent 185 068, qui lui sera réattribué 7 ans plus tard ! (La bureaucratie SS était décidément très efficace.)

Accuser Wernher von Braun d’avoir sciemment choisi la SS, à l’âge de 21 ans, pour prendre des cours d’équitation, est aussi infondé que d’accuser un jeune allemand, après le 25 mars 1939, d’avoir fait partie des Jeunesses hitlériennes ! D’autant plus que l’organisation SS, en 1933, n’est pas encore, et de loin, ce qu’elle deviendra quelques années plus tard ! Il faut bien se rendre compte qu’en 1933 le terme SS ne « résonne » pas dans les esprits comme il le fera quelques années plus tard !

Les chiffres de la production du V2 à Mittelwerk

Le 28 août 1943, les premiers 107 prisonniers en provenance du camp de concentration de Buchenwald, qui se trouve à quelque 80 km de là, arrivent dans les tunnels de la Wirtschaftlichen Forschungsgesellschaft mbH (Wifo), creusés dans la colline de Kohnstein, à 3 km de la ville de Nordhausen, dans le massif du Harz. C’est là que seront désormais assemblés les missiles V2, après le bombardement de Peenemünde.

Les sous-sols dans la colline de Kohnstein, constitués de gypse et d’anhydrite, étaient exploités depuis le XIX e siècle.

Ce camp de travail, d’abord annexe (Außenlager) du camp de Buchenwald, sera baptisé « Dora ».

Dora est un nom, et pas un acronyme, comme on peut le lire parfois. Il existait par exemple un autre Außenlager du camp de Buchenwald, du nom de « Laura », établi à Lehesten (90 km de Buchenwald- 144 km de Nordhausen), où l’on testait notamment les moteurs de la A4/V2.

Dora deviendra un camp de travail autonome, (Hauptlager) le 28 octobre 1944.

Les galeries souterraines de la « Société de recherche économique » servent depuis 1938, de dépôt de carburant, d’huiles et de lubrifiants pour la Wehrmacht. Pour ce faire, du 16 juillet 1936 à septembre 1937, deux tunnels parallèles reliés par douze tunnels transversaux avaient été creusés.

La Wifo accueille mal cette décision, car elle doit déplacer ses stocks et mettre à la disposition des SS et du Sonderausschusses A4 (Comité spécial A4 ) ses moyens de construction et infrastructures.

Des milliers de travailleurs forcés suivront, au cours des 19 mois d’existence de ce camp, et de ses camps annexes, notamment pour élargir et aménager les tunnels existants, et en creuser de nouveaux, dans des conditions innommables.

Les travaux sont dirigés par le docteur en géologie Walter Schriel (29 juin 1892 – 27 juin 1959).

En février 1945 par exemple, il y a 19 360 détenus à Dora et 22 714 dans les camps annexes.

Dès mars 1942, Hitler avait fixé comme objectif une production mensuelle de 3 000 missiles par mois. En avril 1943, Gerhard Degenkolp qui dirige le Sonderausschusses A4  fixera un objectif plus réaliste de 900 unités par mois, qui ne sera jamais atteint.

Le record s’établit en janvier 1945 avec 690 missiles produits.

Le 24 septembre 1943, est fondée la société à responsabilité limitée Mittelwerk GmbH.(Mittelwerk se traduit par usine du centre).

En décembre 1943, les machines de Peenemünde et de Wiener-Neustadt sont installées dans les tunnels dédiés, agrandis et aménagés. C’est alors, que la formation des travailleurs forcés qualifiés, et l’assemblage des V2, peuvent commencer.

Le site de Peenemünde a été bombardé pour la première fois dans la nuit du 17 au 18 août 1943, d’où ce transfert dans des galeries souterraines. Il en sera de même pour d’autres fabrications d’armes.

A compter de décembre 1943, et jusqu’à la fin de la guerre, la Werk I (Usine n°1) de Mittelwerk est la seule et unique usine de production en série du missile V2.

  • Le 31 décembre 1943 : 3 missiles V2 sont assemblés
  • Janvier 1944 : 50
  • Février : 86
  • Mars : 170
  • Avril : 253
  • Mai : 437
  • Juin : 132
  • Juillet : 86
  • Août : 374
  • Septembre : 629
  • Octobre : 628
  • Novembre : 662
  • Décembre : 613
  • Janvier 1945 : 690
  • Février : 612
  • Jusqu’au 18 mars : 362

Soit un total de 5 787.

Les mauvais chiffres de juin et juillet 1944 sont dus à de très nombreuses modifications techniques sur l’engin.

V2 en cours d’assemblage. Photo prise juste après la libération du site par les américains.

C’est ainsi que de septembre 1944 jusqu’à la fin de la guerre, ce sont 21 missiles V2 qui sont assemblés chaque jour à l’Usine du Centre. Un chiffre incroyable compte tenu de la situation économique de l’Allemagne, et de l’état des infrastructures, qui rend l’acheminement des pièces détachées problématique. 

Le missile V2 est un engin extraordinairement sophistiqué, constitué de 20 000 composants, fabriqués par plus de 200 entreprises et fournisseurs. Au fil des mois, de plus en plus d’éléments seront construits par certaines de ces entreprises directement sur place…

Chaque missile est facturé 40 000 RM. A titre de comparaison, un chasseur Messerschmitt Bf 109 coûtait en 1941 : 85 970 RM, et un char « Tigre 1 » Panzerkampfwagen VI Tiger : 300 000 RM.

Précisons que l’assemblage proprement dit du missile V2 n’a concerné, à son maximum, qu’un tiers des détenus du camp de Dora.

V2 en cours d’assemblage. Photo prise juste après la libération du site par les américains.

En mai 1944, sur 17 000 détenus, quelque 5 000 travaillent sur la V2.

Au fur et à mesure de l’implantation de nouvelles productions d’armes, et l’afflux de nouveaux détenus, ce taux ne va cesser de baisser. En août 1944 la production du V2 concerne 16% des travailleurs forcés, et début 1945, 12 %. Il y avait en moyenne deux à trois travailleurs forcés pour un technicien allemand, les premiers mois le ratio était de 1 pour 1 (le temps de former les travailleurs).