Alors qu’il a cinq ans, dans la ferme familiale située à moins de deux kilomètres de la toute petite ville de Leon, dans le comté de Monroe au Wisconsin, Donald Slayton, « Don », suit son père Charles sur sa faucheuse à foin, tirée par deux chevaux.
De temps à autre la barre de coupe, victime de bourrage doit être débloquée, pour ce faire il faut arrêter les chevaux et leur faire faire un pas en arrière, puis enlever l’herbe qui coince le mécanisme. S’agissant d’un modèle mécanique c’est le mouvement des roues qui actionne la scie.
Charles Slayton vient d’arrêter les chevaux lorsque Donald voulant aider, approche la main de la barre, c’est à ce moment-là que les chevaux reculent, et que cette dernière se remet en action, sectionnant net la phalange proximale de son annulaire gauche.
Il s’en sort plutôt bien, le bambin aurait pu se couper tous les doigts de la main !
Treize ans plus plus tard, en août 1942, à l’âge de 18 ans, il se retrouve à San Antonio au Texas pour subir des examens médicaux afin d’incorporer la formation de pilote d’avion militaire.
Sa santé est parfaite, le seul problème, sa phalange manquante, il va surement être recalé.
Les médecins vérifient la règlementation de l’armée de l’air, et découvrent à leur grande stupéfaction, que l’annulaire de la main gauche si l’on est droitier (ou l’annulaire de la main droite si l’on est gaucher), est le seul doigt amputé qui ne pose aucun problème. L’armée de l’air a décidé qu’il s’agit du seul doigt « inutile » !
Une sacrée veine pour Donald Slayton, qui obtiendra ses ailes de pilote en avril 1943.
Le vendredi 2 avril 1959, il apprend qu’il fait partie du groupe des sept premiers astronautes.
Donald Slayton portera son alliance sur l’auriculaire.
Anecdote dans l’anecdote : En 1979, alors que Neil Armstrong travaille dans sa ferme, il s’arrache une phalange, lorsque son alliance se coince dans un élément de la ridelle de la remorque de son tracteur, au moment où il saute à terre. Avec sang-froid, il récupère le bout de son annulaire, le met dans de la glace, et se rend à l’hôpital où les chirurgiens vont pouvoir lui recoudre.
Jusque-là, la mission Apollo-Soyouz s’est déroulée sans anicroche, il est temps de revenir sur Terre.
Le CapCom Robert Crippen annonce aux astronautes les conditions météo de la zone de récupération prévue : visibilité à 16 km, vents à 36 km/h, plafond nuageux à 600 mètres, et hauteur des vagues à 1,1 mètres.
La désorbitation intervient à 15:37 heure de Houston, six minutes plus tard le module de service est largué, le module de commande entame seul la plongée dans l’atmosphère.
Vance Brand est dans le siège gauche, Thomas Stafford au centre et Donald « Deke » Slayton à droite. L’ordinateur de bord effectue quelques corrections de trajectoire, en déclenchant les moteurs d’attitude (reaction control thrusters).
A environ 25 km d’altitude Stafford doit neutraliser ces moteurs qui utilisent un carburant très toxique, le peroxyde d’azote (N₂O₄ ou tétraoxyde de diazote).
A quelque 15 km d’altitude, les parachutes se déploient, et un « évent » s’ouvre, permettant à l’air frais de l’extérieur de pénétrer dans la cabine. Normalement c’est comme ça que cela aurait dû se passer, mais ce ne fut pas le cas… Il s’en est fallu de très peu pour que l’équipage ne survive pas à l’amerrissage…
Dans leurs comptes rendus respectifs, les astronautes ne purent affirmer clairement qui a fait, ou qui n’a pas fait quoi.
Toujours est-t-il qu’un bruit strident dans leurs écouteurs les a distrait. Stafford n’a pas actionné le commutateur permettant de désactiver les moteurs d’orientation. Le bruit ne leur permettait pas de communiquer normalement entre eux, ni avec le Centre de Contrôle. Il fallait crier fort pour se faire entendre dans la cabine. Stafford déclarera : « Soit c’est le bruit qui n’a pas permis à Vance ou Deke de m’entendre, ou alors j’ai été distrait, et je n’ai pas demandé à ce que cela soit fait. »
Quinze kilomètres au-dessus du Pacifique, les parachutes se déploient comme prévu, la valve de ventilation s’ouvre bien, mais au lieu de laisser entrer de l’air frais c’est du peroxyde d’azote qui pénètre dans la cabine, éjecté par les moteurs d’attitude. Il se trouve malheureusement que l’orifice de ventilation est situé juste sous les moteurs.
Quand les astronautes aperçoivent le nuage jaune-brun et sentent l’odeur âcre et piquante, ils savent aussitôt de quoi il s’agit. Le peroxyde d’azote est l’un des produits les plus toxiques et corrosifs employés dans les vols spatiaux habités. Si inhalé à une concentration de 400 parties par million (ppm), il est mortel.
Très vite, Stafford actionne les boutons permettant de couper l’arrivée de carburant des propulseurs, mais comme il en reste dans les conduites le déversement continue encore un temps… Le gaz commence à produire ses effets, irritant les yeux, la peau du visage et des mains, les muqueuses du nez, de la bouche et de la gorge… Ils toussent, s’étouffent…
Pendant ce temps le module de commande heurte l’eau, à 16:18 heure de Houston, et se stabilise en position renversée (stable 2 position) bouclier ablatif vers le haut, les astronautes sont suspendus, retenus dans leur siège uniquement par les sangles.
Vance Brand assis le plus près de la valve d’aération, perd conscience, les poings fermés. Slayton est pris de nausées. Aussitôt Stafford, qui semble mieux résister que les autres, s’extirpe de son siège et saisit trois masques à oxygène. Il en applique un sur le visage de Brand qui reprend conscience au bout de quelques secondes. Munis de ces masques les astronautes parviennent à actionner le gonflage des ballons qui permettent de redresser le vaisseau spatial, et ouvrent complètement la valve d’aération, l’afflux d’air dissipe très vite les résidus toxiques.
Quelques minutes plus tard les hommes-grenouilles sécurisent le vaisseau spatial et les astronautes de la mission Apollo-Soyouz se retrouvent très vite en sécurité dans l’hélicoptère de récupération, toujours sujets à des quintes de toux, mais il se sentent beaucoup mieux. Ils appontent sur le navire d’assaut amphibie porte-hélicoptères, USS New Orleans (LPH-11).
Curieusement, au lieu d’immédiatement faire part de cet incident aux médecins, ils ne disent mot.
C’est uniquement lors de la conférence de presse sur le pont du navire, alors qu’ils parlent avec le président des Etats-Unis, Gérald Ford, que les astronautes font état des dernières minutes difficiles de la mission.
Dès que le médecin chef de la NASA, Arnauld Nicogossian, entend parler du peroxyde d’azote, il met un terme à la conférence de presse, et dirige très rapidement les trois astronautes vers l’infirmerie du USS New Orleans.
On leur injecte de la cortisone pour atténuer l’inflammation des tissus pulmonaires. Lors du transfert par hélicoptère ils se sentaient bien, mais au bout de trois quart d’heures ils présentent déjà les symptômes d’une pneumonie aigüe… Alors que sur la première radiographie, les poumons apparaissent normaux le lendemain ils sont complètement blancs. Un cas classique d’infiltration, une accumulation de substance anormale dans l’organisme.
Très vite les trois astronautes de la mission Apollo-Soyouz sont transférés au Tripler Army Medical Center à Honolulu, où ils resteront hospitalisés deux semaines. Les médecins détermineront qu’ils ont inhalé 300 ppm de peroxyde d’azote. Si Stafford n’avait pas réagi comme il l’a fait, en appliquant les masques, ils auraient succombés en quelques minutes !
Les trois astronautes de la mission Apollo-Soyouz sur le USS New Orleans, peu avant leur évacuation vers l’infirmerie. Assis de g. à d. : Thomas Stafford, Donald Slayton, Vance Brand.
Lors des examens médicaux, il sera découvert une lésion pré cancéreuse sur l’un des poumons de Donald Slayton. Heureusement elle s’avèrera bénigne. Il se trouve qu’elle apparaissait déjà sur une radiographie effectuée avant le vol, mais n’avait pas été décelée.
Si elle l’avait été, il aurait à nouveau été interdit de vol, ce qui aurait vraiment été, le comble de la malchance !
Dans le cadre de la mission Apollo-Soyouz, la relation entre Donald Slayton, (le patron de Stafford au sol) et Thomas Stafford (le patron de Slayton dans le vaisseau spatial) était assez paradoxale, et n’a pas manqué de générer son lot de situations cocasses.
Slayton a parfaitement résumé la situation lors de la première conférence de presse :
« Je suis responsable envers Tom d’être fin prêt à voler sur cette mission » lance-t-il avec un sourire en coin, « et lui est responsable envers moi de constater que l’équipage est prêt à partir ! »