Eugene Cernan ou la Lune de papi

Alors que Harrison Schmitt est déjà à l’intérieur du Module Lunaire, Eugene Cernan conduit le rover à environ 150 mètres du LM et le positionne afin que la caméra puisse retransmettre le décollage du lendemain.

Lorsque c’est fait, Cernan s’agenouille, et avec un doigt inscrit les initiales de sa fille Tracy, T D C, (Teresa Dawn Cernan) dans la poussière lunaire, sachant que ces trois lettres resteront là, pendant des générations et des générations.

Quelques années plus tard, alors que la nuit tombe, la Lune se lève lentement au-dessus des collines, Eugene Cernan prend sa petite-fille Ashley, âgée de 5 ans, dans ses bras, exactement comme il l’avait fait avec sa mère, Tracy, il y a bien longtemps maintenant, avant de partir sur la Lune…

Elle est assez grande pour comprendre, il veut lui raconter son histoire, mais avant même qu’il commence à parler, Ashley montre la Lune du doigt et s’écrie : « Papi, regarde ta Lune !« 

Sans que personne ne sache pourquoi, la petite fille de Eugene Cernan a toujours appelé la Lune, la Lune de papi…

Il lui demande alors : « Sais-tu que la Lune est très loin ? »  A cinq ans les enfants ne peuvent pas se représenter de telles distances. Il continue : « C’est très loin dans le ciel, là où vit le Bon Dieu… Papi a pris sa fusée et il est resté sur la Lune pendant trois jours. J’ai même écrit les initiales de ta maman dans le sable. »

Après un long moment de silence, elle le regarde et lui dit : « Papi, je ne savais pas que tu étais allé au Paradis.« 

« Oui ma chérie, ton grand-père est allé au Paradis. Il y est vraiment allé.« 

Eugene Cernan et sa petite fille Ashley, agée de deux ans, le 22 avril 1994 dans la propriété familiale, un ranch de 160 hectares au sud de Kerrville au Texas. (Photo : Mark Perlstein / The LIFE Images Collection / Getty Images)

Eugene Cernan victime d’un accident d’hélicoptère

Nous sommes le samedi 23 juin 1971 au John F. Kennedy Space Center, une semaine avant le lancement d’Apollo 14.

Eugene « Gene » Cernan qui est la doublure d’Alan Shepard, (back-up commander) pour cette mission, prend les commandes du petit hélicoptère H-13 de chez Bell Aircraft, pour s’entrainer un peu.

 

Les astronautes se servaient de cet engin pour simuler les atterrissages lunaires en complément du LLTV, (Lunar Landing Training Vehicle) qui lui se trouve à la base aérienne d’Ellington au Texas.

En ce matin radieux, Eugene Cernan remonte l’Indian River pour rejoindre le site où les astronautes ont l’habitude de s’entrainer. Les réservoirs sont pleins, il décide donc de voler un peu pour alléger l’hélico.

Comme tout pilote de chasse qui se respecte, il décide de faire du « rase-flotte », pour épater un peu les pêcheurs, et autres touristes dans leurs bateaux, qui lui font des signes de la main.

Il descend de plus en plus bas, et finit par commettre l’erreur classique qui consiste à confondre le fond de la rivière avec la surface de l’eau… L’eau étant transparente et parfaitement calme, il n’a plus aucune perception de la profondeur.

Soudain un des patins heurte l’eau et c’est le crash…

Le H-13 explose littéralement… Eugene Cernan toujours sanglé s’enfonce avec l’appareil. A cet endroit la profondeur est d’environ 2,50 mètres.
Miraculeusement il n’a rien de cassé, aucune blessure grave, il ne panique pas, car il sait exactement ce qu’il faut faire. Merci aux entrainements de survie en immersion de Dilbert Dunker à l’académie navale et à ceux de la NASA.

Lorsqu’il refait surface, au bord de l’asphyxie, il n’y a que des flammes… Autour de lui le kérosène s’est embrasé, et un des deux réservoirs encore intact, flotte pas très loin, susceptible d’exploser à tout moment.

Il progresse sous l’eau, et est finalement secouru par une femme qui a assisté à toute la scène. Elle l’aide à se hisser à bord de sa petite barque de pêche. Un peu plus tard, un Sheriff l’emmène à la base aérienne Patrick pour être soigné.

Dans la voiture qui le ramène au cap, Eugene Cernan se demande ce qu’il va bien pouvoir dire à Deke (Donald Slayton, le chef du bureau des astronautes), il imagine déjà la une des journaux « Un astronaute commet une erreur de pilotage et s’écrase ».

Quelle excuse va-t-il pouvoir trouver ? Quelles en seront les conséquences pour sa future affectation ?

Lorsqu’il arrive au quartier des astronautes, il se rend directement au mess pour s’expliquer avec Slayton, mais la première personne qu’il voit, c’est Shepard, qui prend son petit déjeuner. Ce dernier, le regarde, surpris par ses cheveux brûlés et ses bandages, et lui demande ce qui s’est passé.

Cernan lui répond « On s’ennuie tellement ici qu’il fallait bien que quelqu’un fasse quelque chose pour que l’on parle un peu d’Apollo 14 »
Shepard lui répond seulement « Tu as raison », et continue de manger.

D’autres astronautes viennent aux nouvelles, finalement Donald Slayton arrive et l’emmène dans une salle de « briefing » pour lui parler seul à seul.

Alors qu’il s’assure que Cernan va bien, la tête de Shepard apparaît dans l’embrasure de la porte et dit « Un appel téléphonique pour Geno ».

Agacé, Slayton aboie « Non, pas maintenant, qui que ce soit, qu’il rappelle plus tard ! »
« Euh, Deke, c’est le vice président des Etats-Unis… »

Les nouvelles vont décidément très vite.

Eugene Cernan raconte ce qui s’est passé, remercie le vice président Spiro Agnew pour son appel, et raccroche.

« Bon alors, à quel moment le moteur est-il tombé en panne ? » demande Slayton d’une voix ferme en fixant Cernan dans les yeux.

Slayton lui propose une échappatoire sur un plateau d’argent. Tout ce qu’il lui reste à faire c’est de saisir cette opportunité…

« Deke, Le moteur n’est pas tombé en panne. J’ai mis ce salopard d’hélico dans la flotte ».

« Tu ne m’as pas bien compris Geno… Quand ce p….. de moteur a t-il commencé à avoir des ratés ? »

Slayton sait très bien que Cernan a fait une erreur de pilotage mais insiste pour qu’il saisisse la perche qu’il lui tend…

« Je viens de te le dire, le moteur fonctionnait très bien, j’ai déconné »

Slayton haussa les épaules : « Bon, si c’est ce que tu veux ! »

« C’est ce qui s’est passé, je n’y peux rien »

A ce moment, Cernan pense qu’il a eu beaucoup de chance d’avoir survécu au crash, mais qu’il ne marchera certainement pas sur la Lune.

Thomas Stafford, chef du bureau des astronautes, son pote, avec qui il avait volé sur Gemini 9 et Apollo 10 l’appelle de Houston pour lui dire : « Espèce de gros nul, qu’est ce qui t’a pris ? J’essaie de faire mon possible pour que tu commandes 17 et toi… Tu as sûrement tout fait foirer !»

Cernan était en compétition avec l’équipage de Dick Gordon, qui lui avouera plus tard qu’après son crash, il avait bien cru qu’Apollo 17 serait à lui.

Finalement, l’accident de Cernan ne fit pas grand bruit, quelques lignes anodines dans les journaux, et quelques mots à la télé…

Quelques jours plus tard, Cernan récupérera le casque qu’il portait, dont une partie a fondu… Casque qui se trouve dans son bureau encore aujourd’hui.

Une voiture ensablée

Ce soir-là, l’équipage d’Apollo 17 donne la coutumière petite fête d’avant vol, réservée uniquement au personnel habilité à entrer en contact avec les astronautes, pendant leur période de quarantaine.

La fête se déroule dans la désormais célèbre maison de la plage (Beach House), qui fut d’abord louée à l’année par le magazine Life pour les astronautes, puis rachetée et rénovée par la NASA. Une maison qui a une vue magnifique sur l’océan.

Après avoir bien mangé, bien bu et bien rigolé, il est temps pour les astronautes de s’absenter, pour assister à une conférence de presse au O&C building, qui doit se tenir à 20 heures.

Eugene Cernan prend sa Chevrolet décapotable et démarre… Mais la voiture ne bouge pas, les roues patinent sur le sable… Tout le monde sort pour voir ça, et en profiter pour se moquer un peu, chacun y va de son bon conseil : « avance un peu, recule »…

« Qu’est ce qui se passe, vous pouvez m’envoyer sur la Lune, mais vous n’êtes pas capable de m’aider à sortir cette voiture de ce foutu sable ! » hurle Cernan, qui, voyant les minutes s’égrener, devient de plus en plus irritable; la conférence de presse doit commencer dans quelques instants !

Finalement Guenter Wendt lui lance : « Pourquoi tu n’enlèves pas le parpaing qu’il y a sous ta voiture ! »

Pendant la réception, le génial Guenter Wendt s’était subrepticement glissé au-dehors, et avec l’aide d’un cric et quelques complices, avait disposé des parpaings sous la voiture afin que les pneus effleurent tout juste le sol !  Gotcha !