Voici ma traduction de la neuvième partie du discours de John F. Kennedy prononcé le jeudi 25 mai 1961, 4 jours avant son 44e anniversaire, devant une session conjointe du Congrès, réunie dans la Chambre des Représentants, sur « les besoins urgents de la nation ». Il s’agit là, du « discours fondateur » du programme Apollo. La partie sur l’espace commence 30 minutes et 37 secondes après le début de l’allocution et se termine à 38 minutes et 39 secondes, (elle dure donc 8 minutes et 2 secondes). L’intégralité du discours quant à lui dure 45 minutes et 42 secondes.
Ce discours intervient 43 jours près le vol orbital de Youri Gagarine, 36 jours après le fiasco de la Baie des Cochons, et seulement 20 jours après le vol suborbital d’Alan Shepard, la première mission spatiale habitée américaine, alors même que les Etats-Unis ne totalisent que quelques minutes de présence dans l’espace. Ce discours s’appuie sur les conclusions des consultations lancées le 20 avril par le président Kennedy, sur la meilleure manière de battre les soviétiques dans l’espace.
Une phrase en particulier va résonner dans le monde entier…
[00:00] (…) [30:37] En dernier lieu, si nous voulons gagner la bataille qui se joue actuellement à travers le monde entre liberté et tyrannie, les réalisations spectaculaires dans l’espace qui ont eu lieu ces dernières semaines, devraient nous avoir révélé, tel le Spoutnik en 1957, l’impact que cette aventure produit sur les esprits des hommes du monde entier, qui tentent de se déterminer quant à la route à suivre. Dès le début de mon mandat, nos efforts dans l’espace ont été scrutés. Avec les recommandations du vice-président, qui est président du Conseil National de l’Espace, nous avons examiné nos points forts et nos points faibles, les secteurs où nous sommes susceptibles de réussir et ceux où nous ne le pouvons pas. Le temps est venu d’accélérer le pas – le temps d’une nouvelle grande initiative américaine – il est temps pour cette nation de prendre clairement la tête dans les réalisations spatiales. L’espace, qui à bien des égards pourrait détenir la clef de notre avenir sur la Terre.
(Applaudissements)
Je pense que nous possédons toutes les ressources et les talents nécessaires. Mais le fait est, que nous n’avons jamais pris les décisions à l’échelle nationale, ou mobilisé les ressources nationales nécessaires pour être les premiers. Nous n’avons jamais fixé d’objectifs à long terme, ni défini leur caractère d’urgence, ni même géré nos ressources et notre temps de façon à garantir qu’ils soient menés à bien.
(Applaudissements)
Reconnaissant la longueur d’avance prise par les Soviétiques avec leurs puissants moteurs-fusée, ce qui leur donne plusieurs mois d’avance, et admettant la forte probabilité qu’ils vont exploiter cette avance encore un certain temps, avec des succès encore plus impressionnants, l’obligation nous incombe de fournir de nouveaux efforts. Car si nous ne pouvons pas garantir que nous serons un jour les premiers, nous pouvons affirmer que toute hésitation à produire cet effort, fera de nous les derniers.
(Applaudissements)
Nous prenons un risque supplémentaire en rendant notre effort visible devant le monde entier, mais ainsi que le démontre l’exploit de l’astronaute Shepard, cette prise de risque, renforce notre stature quand nous réussissons. Mais il ne s’agit pas seulement d’une course. L’espace nous est désormais ouvert, et notre désir de partager son potentiel ne doit pas être dicté par ce que font les autres. Nous allons dans l’espace, car quoi que l’humanité entreprenne, les hommes libres doivent pleinement y prendre part.
(Applaudissements)
Par conséquent, je demande au Congrès, en plus et au-delà des augmentations que j’ai déjà demandées pour les activités spatiales, de débloquer les fonds nécessaires pour atteindre les objectifs nationaux suivants :
Tout d’abord, je crois que cette nation devrait se donner comme objectif, avant la fin de cette décennie, d’envoyer un homme sur la Lune et le ramener sain et sauf sur Terre. Aucun autre projet spatial au cours de cette période ne sera plus impressionnant pour l’humanité, ou plus important pour l’exploration de l’espace à long terme, et aucun ne sera aussi difficile ou coûteux à réaliser.
Nous proposons d’accélérer le développement du véhicule spatial lunaire approprié. Nous proposons de développer les lanceurs complémentaires à propulsion liquides et solides, beaucoup plus puissants que n’importe quel autre engin développé à ce jour, jusqu’à ce que nous soyons en mesure de déterminer, de façon certaine, lequel s’avère supérieur. Nous proposons d’allouer des fonds supplémentaires au développement d’autres types de moteurs, et pour des explorations automatiques – explorations qui sont particulièrement importantes, qui ont pour seul but, il faut que cette nation ne l’oublie jamais : d’assurer la survie de l’homme qui sera le premier à effectuer ce vol audacieux. Dans l’absolu, ce ne sera pas un homme qui ira sur la Lune – si toutefois nous prenons la décision d’y aller – mais une nation entière. Car nous tous, devrons nous employer à l’y emmener.
Deuxièmement, un supplément de 23 millions de dollars, en plus des 7 millions déjà disponibles, permettra d’accélérer le développement du moteur-fusée à combustion nucléaire, Rover.
(Applaudissements)
Cela nous donne la promesse que nous aurons un jour les moyens d’explorer l’espace de manière encore plus passionnante et ambitieuse, peut-être au-delà de la Lune, aux confins du système solaire.
Troisièmement, 50 millions de dollars supplémentaires nous permettront de conforter notre position dans les secteurs où nous sommes déjà les premiers, notamment en accroissant l’utilisation des satellites pour les communications à travers le monde entier.
Quatrièmement, une enveloppe complémentaire de 75 millions de dollars – dont 53 millions sont destinés aux services de la météorologie nationale – nous aidera à nous doter au plus tôt, d’un réseau de satellites d’observation météo couvrant la planète entière.
Que les choses soient bien claires – et c’est une décision qu’il appartiendra aux membres du Congrès de prendre en dernier lieu – qu’il soit bien entendu, que je demande au Congrès et au pays d’accepter un engagement ferme et définitif pour une nouvelle orientation, qui se poursuivra pendant de nombreuses années et entraînera des dépenses très importantes : 531 millions de dollars pour l’année fiscale 1962 – et entre sept et neuf milliards supplémentaires pour les cinq années suivantes. Si c’est pour tout arrêter en cours de route, ou réduire nos ambitions face à l’adversité, à mon avis, il serait préférable de ne rien entreprendre du tout.
Voilà, c’est un choix que ce pays doit faire, et je suis convaincu que sous la direction des comités de l’espace du Congrès, et des Comités d’appropriation, vous étudierez cette problématique avec attention.
Il s’agit là d’une décision des plus cruciales que nous prenons en tant que nation. Sachant que vous avez tous vécu les quatre dernières années et avez bien compris l’importance de l’espace et des aventures dans l’espace, sachant que personne ne peut prédire avec certitude quels seront les tenants et les aboutissants de la maîtrise de l’espace.
Je crois que nous devrions aller sur la lune. Mais je pense que chaque citoyen de ce pays, ainsi que les membres du Congrès, devraient examiner attentivement la question avant de prendre une décision. C’est un sujet qui a retenu toute notre attention depuis des semaines et des mois, car il en résulte une lourde charge financière, et cela n’aurait aucun sens d’approuver ou de vouloir que les Etats-Unis prennent une position prééminente dans l’espace, sans que nous ne soyons prêts à fournir l’effort nécessaire et à en supporter le coût, pour y arriver. Si nous ne le voulons pas, nous devrions prendre la décision rapidement et cette année.
(Applaudissements)
Cette décision exige un engagement national majeur, des scientifiques et techniciens, des ressources et des infrastructures, et l’éventualité qu’elles soient détournées d’autres activités importantes, pour lesquelles elles sont déjà réparties avec parcimonie. Cela signifie un niveau d’investissement personnel, de dévouement, d’organisation et de discipline qui n’ont pas toujours caractérisé nos efforts de recherche et de développement. Cela signifie que nous ne pouvons pas nous permettre des arrêts de travail abusifs, l’augmentation outrancière des matériaux ou du coût de la main-d’oeuvre, des rivalités inter-agences improductives, ou un taux de renouvellement excessif du personnel indispensable.
De nouveaux objectifs et de nouveaux investissements ne peuvent résoudre ces problèmes. Ils pourraient, en réalité, les exacerber – à moins que chaque scientifique, chaque ingénieur, chaque militaire, chaque technicien, sous-traitant, et fonctionnaire ne s’implique solennellement afin que ce pays aille de l’avant, sans aucune concession pour sauvegarder notre liberté, dans la palpitante exploration de l’espace. [38:39] (…) [45:42]
Lorsque ce jeudi 25 mai 1961 le président Kennedy annonce aux américains et au monde, un peu moins de quatre mois après son discours sur l’état de l’Union donné le 30 janvier, qu’il propose que les Etats-Unis « envoient un Homme sur la Lune et le ramènent sain et sauf sur Terre avant la fin de la décennie », il prend le risque, impensable de nos jours, d’associer la crédibilité de son gouvernement et les finances du pays à une entreprise aussi incertaine, une aventure… A seulement 44 ans il fait le plus audacieux des paris !
Ce discours retransmis à la télévision intervient 5 jours avant son deuxième voyage d’état (le premier en Europe) du 31 mai au 3 juin, au cours duquel il doit rencontrer Charles de Gaulle (1890-1970), le président de la République française, la dernière figure de la deuxième guerre mondiale au pouvoir.
Il se rendra ensuite à Vienne, les 3 et 4 juin pour rencontrer Nikita Khrouchtchev (1894-1971) premier secrétaire du Parti communiste de l’Union soviétique… Vingt psychiatres et psychologues lui ont brossé le profil psychologique du dirigeant de l’URSS avant l’entrevue, que Kennedy décrira comme la pire expérience de sa vie !
Il est indéniable que le programme Apollo est l’un des premiers clous dans le cercueil de l’Union Soviétique…