Le président Kennedy survole le nouveau site de lancement de la NASA

Lors de la troisième, et dernière, visite du président Kennedy, en 21 mois, aux installations de lancement de l’US Air Force et de la NASA en Floride, le 16 novembre 1963 (six jours avant son assassinat), il effectua un survol en hélicoptère du nouveau site en construction à Merritt Island (Merritt Island Launch Area – MILA – l’actuel Centre Spatial Kennedy) dédié spécifiquement au programme Apollo, ainsi que du pas de tir Titan III.

« Marine One » décolle du complexe de lancement 37.

L’hélicoptère présidentiel, Marine One, un SH-3 Sea King (Sikorsky VH-3A) qui peut accueillir 12 passagers, avec téléphone individuel pour chaque personne, décolle du pas de tir 37 vers 11:15, pour survoler le futur complexe de lancement 39, la crawlerway, le VAB, puis fera demi-tour en passant par le sud, au-dessus des sites industriels.

A bord, se trouvent notamment :

  • Kurt Debus (1908-1983), le directeur du Launch Operations Center.
  • Robert Seamans (1918-2008), l’administrateur associé de la NASA.
  • Le général Leighton Davies (1910-1995) commandant du US Air Force Missile Test Center à la base aérienne Patrick (Patrick Air Force Base)  qui se situe à une trentaine de kilomètres au sud.
  • L’amiral quatre étoiles Ignatius Galantin (1910-2004), le directeur des projets spéciaux de l’US Navy, qui doit lui donner des précisions sur le lancement d’un missile Polaris A-2 depuis un sous-marin en plongée, le USS Andrew Jackson (SSBN-619), auquel il doit assister dans une trentaine de minutes, depuis le pont du USS Observation Island (EAG 154).

Le survol dure une quinzaine de minutes, d’abord au-dessus du futur pas de tir 39A. Le président Kennedy s’interroge sur le monticule de terre qui recouvre le site. Kurt Debus lui explique qu’il s’agit de compacter le sous-sol, cette masse d’une hauteur de 25 mètres va rester là environ 6 mois, pour compresser le sol et faire baisser le niveau d’environ 1 mètre. Une étude sera ensuite réalisée sur le degré de tassement du sol avant de commencer les travaux.

Lors du survol de la crawlerway en construction, cette route à deux voies de 40 mètres de large, qui doit relier le bâtiment où les fusées sont assemblées, le VAB (pour Vertical, puis en 1965, Vehicle Assembly Building) aux aires de lancement situées à quelque 5,5 km (39 A) et 6,8 km (39 B), Debus explique au président Kennedy qu’il a fallu éliminer les couches de matière organique lors du processus d’excavation, et lui donne des précisions sur les propriétés anti-étincelles du sable spécial et du gravier de la rivière Tennessee, qui seront utilisés pour la stabilisation et le nivellement.

Cette route doit supporter la masse du tracteur à chenilles (Crawler), de la plateforme de lancement mobile (MLP), de la tour d’asservissement (LUT), et de la Saturn V avec sa charge utile, soit plus de 6 600 tonnes au total.

Le président Kennedy aperçoit ensuite les centaines de tubes en acier qui sortent du sol, utilisés pour les fondations du VAB, l’hélicoptère présidentiel tourne alors autour du site à la hauteur que devra atteindre le gigantesque édifice, 160 m. Debus demande si l’hélicoptère peut rester en stationnaire au-dessus du chantier pendant une minute, mais ce n’est pas autorisé, pour des raisons de sécurité Marine One doit toujours être en mouvement.

Une vue de la construction des fondations du VAB datant de septembre 1963.

Debus raconte alors une petite anecdote au président Kennedy. Le VAB devant avoir de très solides fondations, et comme le lit rocheux se trouve en moyenne à environ 48 mètres de profondeur, il faut l’équivalent de 257 km (*) (206 km selon d’autres sources autorisées) de tubes en acier de 41 cm de diamètre pour sécuriser le futur bâtiment. « Ainsi pour chaque pied (30,48 cm) enterré nous vous avons fait économiser 5 dollars ». « Comment cela ? » demande le président Kennedy.

Debus explique que le soumissionnaire choisi pour cet appel d’offre utilisant une nouvelle technique pour enfoncer les pieux, le vibrofonçage, qui permet d’aller beaucoup plus vite que la sonnette mécanique classique, permettra d’économiser 5 dollars par tronçon de 30,48 cm (1 pied) enfoui.

En tout et pour tout il faudra 4 225 piliers (les tubes ayant une longueur de 16,8 mètres il faut en souder trois, voire quatre quelquefois, pour atteindre la bonne profondeur dans le lit rocheux. Cela nécessitera environ 12 260 tubes.), chacun est ensuite rempli de sable jusqu’à 30 cm du sommet puis recouvert de béton, par grappes de piliers. On compte 1 pilier tous les 7,7 m2, le VAB ayant une superficie de 32 500 m2. 23 000 m3 de béton lourd seront utilisés pour les fondations, soit grosso-modo 80 000 tonnes.

5 dollars par 30,48 cm nous donne une économie totale d’environ 33 792 dollars (1963) soit 287 298 dollars en monnaie constante. (Pour la longueur totale retenue : 206 km)

L’un des soumissionnaires avait demandé 12 dollars par pied enfoncé dans le sol !

Les ingénieurs et les ouvriers de la Blount (prononcer « blunt ») Brothers Corporation (**) dont le siège est à Montgomery en Alabama, un état limitrophe de la Floride, arrivent sur les lieux le jour même de la signature du contrat, le 11 juillet 1963. Un contrat d’un montant de 8 millions de dollars (68 millions en dollars constants) « juste » pour réaliser les fondations. Le premier pilier est enfoncé le 2 août 1963, le dernier, le 3 janvier 1964. Les travaux seront terminés au mois de mai comme prévu.

Kurt Debus lui parle ensuite brièvement du futur Launch Control Center (Centre de Contrôle du Lancement) et sa distance par rapport à l’aire de lancement. Ils survolent ensuite la voie ferrée, fraîchement construite, et l’autoroute A1A jusqu’à la zone industrielle où Debus lui décrit la finalité des différents hangars et bâtiments, notamment le nouvel Operations and Checkout Building (Bâtiment des Opérations et des Vérifications) dont la construction est la plus avancée.

John Kennedy est fasciné par ce qu’il découvre.

Photo aérienne de la NASA datant des années 1990 montrant l’emplacement et la disposition des principaux sites évoqués plus haut.

*- 160 miles (257 km) selon le Dr Kurt Debus, directeur du Centre Spatial Kennedy, 128 miles (206 km) selon les auteurs du livre Moonport: A History of Apollo Launch Facilities and Operations , Charles D. Benson et William Barnaby Faherty. (NASA Special Publication-4204, NASA History Series, 1978.)

**- Qui deviendra Blount Inc. puis Blount International Inc.. Winton Blount, qui a créé la société avec son frère cadet Houston, sera nommé Postmaster General (ministre des services postaux des Etats-Unis) de 1969 à 1971.  

La mission Saturn I SA-5 et le président Kennedy

Lors de sa dernière visite au Launch Operations Center, les installations de lancement du Cap Canaveral, le 16 novembre 1963 en fin de matinée, le président John Kennedy est plus particulièrement intéressé par les implications du prochain vol d’une Saturne 1, en effet si ce lancement est une réussite les Etats-Unis vont pour la première fois dépasser les soviétiques pour ce qui concerne la masse satellisable. Il aura fallu attendre six ans pour que les Etats-Unis disposent enfin d’un lanceur plus puissant que l’URSS.

Lors de la visite du pad 37B Wernher von Braun lui explique les enjeux de ce prochain vol, fasciné il se place sous la fusée et contemple les moteurs…

Sous le lanceur Saturne I SA-5. De g. à d. Robert Seamans (1918-2008 – Administrateur associé de la NASA), George Smathers (1913-2007 – Sénateur de la Floride), le président John Kennedy (1917-1963), James Webb (1906-1992 – Administrateur de la NASA), Wernher von Braun (1912-1977 – partiellement caché – Directeur du Centre Spatial Marshall) , Hugh Dryden (1898-1965 – Administrateur Adjoint de la NASA) et le général Chester Clifton (1913-1991 – Conseiller militaire en chef du président).

Six jours plus tard le président Kennedy est assassiné…

Jacqueline Kennedy demandera s’il ne serait pas possible que cette Saturne SA-5 puisse « porter » quelque chose de spécial en mémoire du Président, qui attendait ce lancement avec tant d’impatience…

La NASA étudia plusieurs possibilités : que son discours d’investiture, resté dans tous les esprits, soit retransmis depuis l’espace pendant une journée ; que le nom du président soit inscrit sur l’élément orbital, peut-être par la veuve du président elle-même…

Après réflexion, ces idées furent rejetées… Et si la mission était un échec ? Si le lanceur explosait ?

Il fut donc exclu d’organiser une cérémonie publique, quant à envisager un hommage privé qui n’aurait été révélé qu’après le succès de la mission, pas question, cette manière de procéder aurait certainement déclenché d’acerbes critiques de la part des médias. Il fut donc sagement décidé de ne rien faire…

Le lancement prévu à l’origine pour décembre interviendra finalement le 29 janvier 1964, c’est un succès total, 17,55 tonnes seront satellisées, le record de l’époque.

SA-5

Entre temps, le 29 novembre 1963, le Launch Operations Center a été rebaptisé John F. Kennedy Space Center.

Lorsque le succès du lancement est avéré, Robert Seamans l’administrateur associé de la NASA appelle aussitôt Jacqueline Kennedy pour la prévenir…

Le samedi 1er février 1964 Wernher von Braun écrit une lettre à Jacqueline Kennedy… Le lundi suivant, en fin d’après-midi, Robert Seamans rend personnellement visite à la veuve du Président, et lui offre notamment une maquette de la SA-5 utilisée par les ingénieurs du Centre Spatial Marshall pour le développement de l’engin, qui sera exposée à la Bibliohèque Kennedy, désormais John F. Kennedy Presidential Library and Museum à Boston. Il fera par la suite envoyer d’autres maquettes pour le fils du président, John Jr., 3 ans, subjugué par celle offerte à sa maman.

Il me paraît inconcevable qu’aucun ingénieur ou technicien travaillant au pad 37B n’ait au moins inscrit les initiales du président Kennedy sur la SA-5… C’est tellement improbable !

Apollo 17, un cosmonaute à bord

« Inviter un cosmonaute à participer à la dernière mission Apollo 17, permettrait à la NASA d’enterrer symboliquement la hache de la course à l’espace. »

Apollo 17 Shorty Crater

C’est ce que propose en mai 1972, le grand économiste américain d’origine allemande, Oskar Morgenstern (1902-1977). Il était alors directeur du centre de théorie économique appliquée de l’Université de New York.

Imaginons un équipage composé par Eugene Cernan, Ronald Evans et Alexeï Leonov.

La suggestion fut poliment déclinée.