Les leçons d’Apollo : la traçabilité

Au tout début du programme Apollo, un technicien de North American envoie une lettre à son député, pour accuser sa société de surfacturer le gouvernement.

Ce dernier fait remonter la missive à Olin Teague, membre démocrate de la Chambre des Représentants (Texas, 6ème District), président du Comité des Vols Spatiaux Habités, qui diligente aussitôt une enquête !

Le technicien avait pris l’exemple d’un petit boulon en acier d’1 cm, utilisé dans le module de commande. « On peut se procurer ce type de boulon dans n’importe quelle quincaillerie pour 59 cents, alors que North American achète ces boulons 8 ou 9 dollars pièce ! »

La société, sommée de s’expliquer, envoie toutes affaires cessantes l’ingénieur en chef du programme, à Washington.

Charles Feltz explique au comité, que la fabrication de ces boulons s’effectue en 11 étapes, et que chacune d’elles doit être dûment certifiée. Ainsi non seulement ce boulon a subit les tests les plus rigoureux, mais également la tige en acier à partir de laquelle il a été fabriqué, ainsi que la billette, ainsi que le lingot qui a permis de forger la billette ! Le fer a été extrait au Mesabi Range, au nord de la ville de Duluth dans le Minnesota, on sait dans quelle mine et même dans quel puit !

« En réalité » dit-il  « si l’on devait facturer l’ensemble des procédures, ces satanés boulons ne coûteraient pas 8 ou 9 dollars mais 32 ! »

Chaque pièce entrant dans la composition du vaisseau spatial, avait généré un dossier papier, dans lequel on trouvait sa généalogie complète, et les tests effectués.

La blague du moment : « Si tu commandes une règle en bois, ils veulent savoir avec quel arbre elle a été fabriquée ! »

« Traçabilité » et « test » furent les clefs du succès d’Apollo. On estime que la moitié du coût du programme Apollo est passé dans les tests du matériel !

 

Les leçons d’Apollo : trouver la bonne décimale

Si la marge de sécurité des éléments structuraux du vaisseau Apollo était de 1,5*, que devait-il en être des systèmes embarqués et de l’électronique ?

C’est au cours d’une petite réunion que Robert Gilruth (Directeur du Space Task Group), Maxime Faget (Ingénieur, membre du STG, concepteur de la capsule Mercury), Caldwell Johnson (Ingénieur, membre du STG, collaborateur de Faget) et Walter Williams (Directeur adjoint du STG puis Directeur des Opérations en Vol) se sont mis d’accord sur le degré de fiabilité que les divers composants devaient avoir.

Maxime Faget considérait que compte tenu de la difficulté de l’entreprise 1 défaillance sur 10 était acceptable. Une mission ratée sur 10 ! Quant à la sécurité des astronautes il estimait qu’elle devait être de 99%, soit 1 chance sur 100 pour eux de s’en tirer sains et saufs !

Walt Williams, quant à lui, préférait un taux de réussite pour les astronautes de 99,9999% soit une chance sur un million pour qu’une perte humaine survienne !

Gilruth trouvait les chiffres de Faget insuffisants et ceux de Williams complètement irréalistes ! « C’est comme retarder sa montre lorsque l’on sait que l’on va pas être à l’heure à un rendez-vous ! » lui dit-il !

Finalement ils se mirent d’accord sur les chiffres suivants :  99% de chances de succès pour une mission et 99,9% de chances de survie pour l’équipage. Ce « triple neuf » deviendra l’un des chiffres les plus importants du programme Apollo. Une chance sur mille pour qu’une catastrophe humaine se produise.

La Saturn V étant constituée d’environ 6 millions de pièces, statistiquement 6 000 pouvaient souffrir d’une défaillance.

C’est en une dizaine de minutes que fut prise cette décision, par quatre hommes qui cumulaient une expérience de plus de 100 ans dans le domaine aéronautique.

S’ils avaient enlevé une décimale, le coût du programme Apollo aurait été divisé par deux, s’ils en avaient ajouté une, il n’y aurait probablement pas eu assez d’argent sur la planète pour accomplir la tâche.

* Cela signifie que les structures pouvaient encaisser 50% de sollicitation ou de contrainte supplémentaire par rapport aux calculs de résistance les plus extrêmes effectués dans le cadre de leur utilisation.

Apollo 1 et le Velcro

C’est notamment la trop grande quantité de nylon présent dans la cabine d’Apollo 1, sous forme de Velcro, de filets installés sous les couchettes, pour récupérer les objets que les astronautes auraient pu faire tomber, et même dans les combinaisons spatiales, qui fut un facteur aggravant dans la propagation de l’incendie.

La capsule Apollo 1

Rappelons en guise de préambule, que « Velcro » est une marque déposée, qui vient de VELours et CROchets, et que ce ruban auto-agrippant, a été inventé par l’ingénieur suisse Georges de Mestral.

L’idée date de 1941 et le brevet initial de 1951. Le brevet est enregistré aux Etats-Unis en 1958.

En tout et pour tout, le Module de Commande de 6,17 m3 contenait plus de trente kilogrammes de matériaux inflammables. Outre le nylon, il y avait du plastique et même des métaux qui s’enflamment dans une atmosphère 100% oxygène.

Curieusement, la NASA et North American s’étaient contentés de tester l’inflammabilité de certains matériaux dont le Velcro, dans une atmosphère 100 % oxygène à la pression de 5 PSI, c’est-à-dire la pression à l’intérieur du vaisseau spatial dans l’espace, dans ces conditions une bande de velcro brûle à la vitesse d’un demi-centimètre par seconde.

S’ils avaient eu la présence d’esprit de réaliser les tests à une pression de 16 PSI (vaisseau spatial sur le pas de tir et pendant le décollage) ils auraient vus qu’alors, le velcro brûle 5 fois plus rapidement, il explose littéralement !   Et du Velcro, les astronautes en avaient mis partout dans la cabine !

Après le drame d’ Apollo 1, plus de 3 000 tests ont été réalisés sur plus de 500 matériaux différents, les tissus réalisés en nylon ont été remplacés par la fibre Beta, le téflon, le Nomex, la fibre de verre ! 

Le Velcro sera désormais fabriqué avec du Nomex, et la fibre Beta sera utilisée pour le tissage de l’enveloppe extérieure des combinaisons spatiales !

Les couchettes seront recouvertes d’un tissu ininflammable, l’Armalon ! Même les plans de vol et autres documents seront imprimés sur du papier ininflammable développé par la Scheufelen Papierfabrik GmbH dont le PDG était un ancien de Peenemünde, Klaus Scheufelen !

En attendant l’arrivée de ce papier, pour la première fois sur Apollo 13, sur lequel on pouvait imprimer directement, les documents papiers déjà imprimés étaient recouverts par laminage d’une substance ininflammable, composée de sulfate d’aluminium et d’ammonium.

A noter que lors de l’enquête sur l’accident, George Mueller l’administrateur adjoint du Bureau des vols habités de la NASA, affirmera devant la Commission d’enquête du Congrès qu’il y avait plus de Velcro dans Gemini VII (Frank Borman faisait partie de la commission d’enquête de la NASA) que dans Apollo 1 !