La der des ders

liftoffApollo XVII

Juste avant l’allumage des cinq moteurs de la Saturn V, qui vont illuminer le Centre Spatial Kennedy tel un lever de soleil à minuit, Eugene Cernan le commandant de la toute dernière mission Apollo, qui compte déjà deux vols spatiaux à son actif, dit ces quelques mots à ses coéquipiers, Ronald Evans et Harrison Schmitt, dont aucun n’est encore allé dans l’espace :

« Je sais que vous ferez du bon boulot », puis il  ajoute : « Mais avant tout, profitez, savourez chaque instant, car vous ne ferez jamais plus un truc pareil ! »

Ron Evans le ronchopathe

Une heure avant le décollage de la mission Apollo 17, dont l’équipage est composé par Eugene Cernan, Ron Evans et Harrison Schmitt, l’équipe de la « White Room » dirigée par Günther Wendt quitte le pas de tir.

Le compte à rebours se déroule sans anicroche jusqu’à  2 minutes et 47 secondes avant le lancement, lorsque l’unité de contrôle permettant de déclencher automatiquement les procédures des trois dernières minutes du compte à rebours, tombe en panne. 

Notamment la pressurisation automatique du réservoir d’oxygène liquide du troisième étage de la Saturn V (S-IVB). Bien que la pressurisation dudit réservoir fût commandée manuellement, le système automatique réagira comme si une étape n’avait pas été effectuée, et déclenchera l’arrêt des opérations et du compte à rebours.

Walter Kapryan, le directeur du lancement, et son équipe, résoudront le problème avec l’aide des ingénieurs du Centre Spatial Marshall qui ont conçu le lanceur.

Pendant cette interruption qui dure 2 heures et 40 minutes, c’est le calme absolu sur le pas de tir, à tel point que Ron Evans s’endort, et ne tarde pas à ronfler. Eugene Cernan et Harrison Schmitt se plaignent avec malice du bruit infernal produit par la ronchopathie de leur co-équipier ! Il ronfle bruyamment !

Ronald « Ron » Evans. Apollo XVII

Cela dit, en anglais ronfler se dit to snore, il n’y a donc pas de « jeu de mot » possible dans la langue de Shakespeare.

Charlie Smith le doyen des américains assiste au lancement d’Apollo 17

Parmi quelque 42 000 personnes munies d’une invitation, un record,  pour assister au lancement de la dernière mission lunaire, figurent pour la première fois, deux journalistes chinois, ainsi que le doyen des américains, Charlie Smith, 130 ans, accompagné par son fils Chester, 67 ans.

Plus d’un demi-million de personnes, dont beaucoup d’étrangers venant des quatre coins du monde, sont massés sur le bord des routes, les parkings, les toits, les 45 km de plage du comté de Brevard, pour assister au lancement de la dernière mission lunaire, de nuit qui plus est ! Le spectacle devrait dépasser tout ce qui a été vu auparavant !

Charlie et Chester Smith

Ce noir américain, prétend être né au Liberia en 1842, et avoir été un ancien esclave. C’est à l’âge de 12 ans, 11 ans avant l’assassinat d’Abraham Lincoln, que des esclavagistes l’auraient attiré sur leur bateau à destination de la Nouvelle-Orléans, en lui faisant croire qu’ils allaient lui montrer un « arbre à beignets ». Vendu aux enchères, il est acheté par un certain « Capitaine Smith » propriétaire d’un ranch près de Galveston au Texas, qui le traitera comme ses autres enfants.

De son vrai nom Mitchell Watkins, il prendra celui de son maître. Ne connaissant pas son jour de naissance, il choisit le 4 juillet en l’honneur de son pays d’adoption. (Jour de la ratification de la Déclaration d’Indépendance.)

Invité par le Liberia en 1972 pour visiter son pays natal, il décline l’offre mais accepte l’invitation de la NASA à assister au lancement d’Apollo 17, bien que très sceptique quant à la réalité des missions sur la surface de la Lune. L’agence spatiale envoie même une voiture chercher le cent-trentenaire, ainsi que son fils Chester âgé de 67 ans, à Bartow, la petite ville où il réside, située à 170 km à l’ouest du Centre Spatial Kennedy.

Charlie Smith est le propriétaire d’une petite boutique où il vend bonbons, biscuits et boissons fraîches. Il régale également ses clients avec ses histoires du Far-Ouest, ce temps révolu où les pistolets six coups faisaient la loi et où il parcourait la Prairie,  chevauchant côte à côte avec Jesse James et participant à la traque de Billy the Kid… Il adore exhiber son ceinturon de cow-boy et ses « colt ».
Mesurant environ 172 cm pour 60 Kg, il est en bonne santé, ne portant ni lunettes, ni aide auditive !

C’est en costume cravate, avec son indéboulonnable Stetson blanc vissé sur la tête, que Charlie Smith s’installe dans le stand VIP situé à côté de l’immense hall d’assemblage des fusées Saturn V. Il porte sur le revers de sa veste le badge de la mission. Il côtoie des célébrités du « show biz » comme John Wayne, Connie Stevens, Eva Gabor, Bob Hope, Henri Mancini, Frank Sinatra… et des hommes politiques, tels que Spyro Agnew, George Wallace, Jimmy Carter…

Egalement parmi les invités, un certain Andrew Chaikin alors agé de 16 ans qui est là grâce à une lettre envoyée à son député pour lui demander un pass VIP !

22 ans plus tard il publiera « A Man on the moon, The voyages of the Apollo Astronauts » dont il débute le chapitre 13, consacré à la mission Apollo 17 par ces mots : « Charlie Smith a vécu plus d’événements historiques que n’importe qui aux Etats-Unis… »

A deux minutes et 47 secondes, le lancement est retardé de deux heures et quarante minutes en raison de la panne d’un séquenceur qui ne déclenche pas la pressurisation automatique du réservoir d’oxygène liquide du troisième étage de la Saturn V (S-IVB), bloquant le compte à rebours. Charlie Smith ne cesse de marmonner qu’il serait mieux chez lui dans son lit. En cette nuit d’automne la température est de 22°C.

Lorsque le 7 décembre à 00:33 la Saturn V décolle dans un déluge de feu et de tonnerre, il déclare : « Je la vois s’élever dans le ciel mais c’est tout, je ne vois pas la Lune ».

Charlie Smith est mort le vendredi 5 octobre 1979 à 18:30 à l’âge de 137 ans au Centre de Convalescence de Bartow ! Sa fin de vie aura été plutôt compliquée ; en 1974 son fils est obligé de la placer en maison de retraite en raison de la dégradation de son état de santé, il doit être amputé de la partie basse de la jambe droite en 1977 et puis de la jambe gauche trois mois avant son décès, en raison de graves problèmes rénaux et cardiaques. Il ne reconnaissait par ailleurs plus son fils.

Sa vie fera l’objet de plusieurs reportages télévisés et même d’un film de 90 minutes, racontant sa légende, intitulé : « Charlie Smith et l’arbre à beignets » qui constitue le 6ème épisode des 29 que compte la série « Visions » de la chaine PBS (Public Broadcasting Service) diffusé pour la première fois le 21 octobre 1976.

Il est enterré le 13 octobre au cimetière Wildwood de Bartow après une cérémonie de plus d’une heure en l’Eglise épiscopale méthodiste africaine St James, à laquelle plus de 600 personnes ont assisté. Selon ses dernières volontés il est inhumé un samedi, car c’est le jour qu’il affectionnait tout particulièrement lorsqu’il était jeune.

C Smith4 web

Au départ il n’y avait qu’une petite plaque funéraire en métal et un petit drapeau américain pour marquer sa tombe.

Deux frères de 11 et 14 ans, Samuel et Michael Joyner en vacances chez leur grand-mère, lui demandent un jour de les amener sur la tombe de l’américain qui a vécu le plus longtemps. Ce, après avoir entendu leur enseignant leur raconter son histoire.

En arrivant sur les lieux, les enfants sont très déçus de ne voir aucune pierre tombale digne de ce nom… Coy Joyner, la grand-mère de 67 ans, en fera part au « Comité des centenaires américains » qui contactera la municipalité. En 1982, Jim O’Conner, le maire de la ville consacrera 300 $ à l’achat d’un monument funéraire sur lequel on peut lire : « Charlie Smith, 4 juillet 1942 – 5 octobre 1979, l’homme le plus vieux d’Amérique. »

En 1979, six mois avant la mort de Charlie Smith, le professeur Alexandre Leaf du National Geographic, au terme d’une minutieuse enquête sur les centenaires dans le monde, mettra à jour certains documents dont un certificat de mariage en date du 8 janvier 1910 qui stipule son âge : 35 ans (Smith s’est marié 3 fois).

En réalité, il serait donc né en 1875 et avait donc 98 ans au moment du lancement d’Apollo 17, et 104 ans à sa mort. Par ailleurs, né quelques 12 ans après la « Déclaration d’Emancipation », et 10 ans après la ratification du XIIIème Amendement de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique abolissant l’esclavage dans ce pays, il n’a jamais été esclave.

Charlie Smith ne croyait que ce qu’il voyait et non pas ce qu’il lisait, il est mort persuadé que personne n’a jamais marché sur la Lune : « Je veux bien croire qu’on peut aller dans l’espace, mais pas sur la Lune ! »  car ajoutait-il : « Personne ne peut aller sur la Lune, ni moi, ni vous, ni personne ! »

Quant aux roches ramenées de la Lune, il a également une explication : « Il s’agit de pierres que les astronautes ont emportées avec eux en quittant la Terre »

Charlie Smith, un mythe devenu légende !

C Smith 2 web

Charlie SMITH en 1972.

C Smith 5 web

Photo de Charlie SMITH prise le 1 juin 1973.  © Otto Bettmann / CORBIS

C Smith 3 web

Charlie SMITH le jour de son « 134 ème » anniversaire en 1976. Photo : Peggy Kehoe.