Clifton Curtis Williams

Le 5 octobre 1967 à 12:52, Clifton Curtis Williams, astronaute du groupe 3, sélectionné en octobre 1963, décolle de la Base Aérienne Patrick adjacente au Centre Spatial Kennedy. La réunion à laquelle il devait participer, ayant été annulée, il a préféré retourner à Houston.  Ce faisant il a été autorisé à faire un petit détour par la Base Aérienne Brookley près de la ville de Mobile en Alabama où résident ses parents. Il y a quelques temps son père a appris qu’il est atteint d’un cancer, et les médecins sont plutôt pessimistes.  Il tient à lui faire une visite surprise, aussi brève soit-elle.

Pilote d’essai  dans la Navy, il cumule 2 500 heures de vol, dont 2 100 sur avions à réaction.

Seul à bord de son T-38, il vole à 7 200 mètres d’altitude lorsque vers 13:20 la commande des ailerons ne répond plus, ce qui provoque le décrochage de l’avion qui pique de l’avant, vers la gauche, induisant une vrille. L’avion plonge, quasiment à la verticale, à une vitesse proche de Mach .95.  Il tente par tous les moyens de redresser l’assiette, l’arrivée sur les couches d’air plus dense lui donne l’impression qu’il va y arriver, lui faisant perdre de précieuses secondes.

Le sol se rapproche à très vive allure, il doit s’éjecter. Le temps presse mais il prend quand même le temps  de lancer un appel de détresse, sur un T-38 il faut quatre secondes pour passer de la fréquence UHF normale à celle de détresse.

Avec un débit rapide mais d’une voix claire et professionnelle il annonce « Mayday, Mayday, Mayday …  Ici NASA 922 je m’éjecte à proximité d’Orlando… je veux dire Tallahassee ». En dépit de la situation d’urgence Williams a la présence d’esprit de corriger son erreur de localisation.

Malheureusement il a trop attendu, lorsqu’il  démarre la procédure d’éjection qui prend 1 seconde et demie,  il est trop tard, l’avion vole trop bas.

Le jet s’écrase à la verticale et explose, l’appareil  est  complètement désintégré et son occupant également, rattrapé par la déflagration.

La commission d’enquête de la NASA, dirigée par Alan Shepard conclura à une défaillance technique. Les deux moteurs du T-38, retrouvés à cinq mètres de profondeur témoignent de la violence de l’impact.

Deux jours avant, Clifton Williams et Donald Slayton avaient utilisé le même appareil (NASA 922), qui ne compte qu’une centaine d’heures de vol, pour venir d’Ellington. Ils avaient alors signalé une panne mineure, celle d’un transpondeur. Et la veille, Williams l’avait pris pour se rendre de la base aérienne Patrick à la Grumman Air Facility, dans l’état de New York.  Au retour, il avait signalé une batterie hors service.

Beth Williams, son épouse, est  en train de déjeuner chez des voisins, lorsque l’astronaute Jack Lousma et son épouse Gratia se présentent le visage blafard et la mine décomposée. Elle comprend alors qu’ils viennent lui  annoncer « la plus horrible nouvelle de sa vie ».

C’est William Anders qui escortera la dépouille mortelle de son ami de Tallahassee, Floride à Washington D.C.

C.C. Williams a été enterré au cimetière national d’Arlington avec tous les honneurs militaires, son cercueil a été emmené sur le lieu de la sépulture par six chevaux blancs et une garde d’honneur de 200 Marines. Les astronautes Eugene Cernan, Richard Gordon, Alan Bean, Pete Conrad, Mike Collins et Jack Lousma ont porté le cercueil.

Remplaçant pour la mission Apollo 9, C.C. Williams aurait dû voler sur Apollo XII, et devenir le quatrième Homme sur la Lune. Le badge de la deuxième mission lunaire compte quatre étoiles ; trois étoiles pour chacun des astronautes de la mission, et une supplémentaire pour honorer sa mémoire.

A la fin de la mission, Charles Conrad et Alan Bean ont déposé sur la Lune ses « ailes d’or » de la Navy.

Il est le deuxième astronaute, après John Glenn, à faire partie de ce corps d’élite indépendant, mais qui est administrativement rattaché à la Navy, les Marines (Marine Aircraft Wing) . The Few The Proud The Marines – Semper Fidelis

C.C. Williams est le premier astronaute célibataire au moment de sa sélection.  Il s’est marié en juillet 1964, après 7 ans de « fréquentation », avec la sublime Jane Elizabeth « Beth » Lansche,  une ancienne aquamaid  de  Cypress Gardens, qui a participé aux magnifiques spectacles en ski nautique de ce célèbre parc d’attraction de Floride. Ils ont eu deux filles, Catherine Ann, née le 6 janvier 1967 et Jane Dee née le 31 mai 1968… Huit mois après la disparition de son papa…

Quelques jours avant son accident Beth lui avait annoncé la bonne nouvelle, il était fou de joie à l’idée de devenir père une seconde fois !

Williams avait envoyé sa candidature pour le  deuxième groupe d’astronautes mais n’avait pas été retenu. Pour sa seconde candidature, avec son 1 mètre 82, Williams atteignait la limite maximale de la taille autorisée (six feet), juste avant les examens médicaux il avait porté de lourdes charges, et faits différents exercices pour se tasser un peu !

Par une tragique coïncidence le  père de Clifton Williams, atteint d’un cancer, est décédé à peu près au même moment où sa petite fille est née.

A ce jour, Clifton Williams est le dernier astronaute à avoir perdu la vie sur un T-38 de la NASA, qui modifiera notablement les procédures d’entretien et de révision de sa flotte de 23 NorthtropT-38 Talon (en 1967).

Alors qu’il répondait à un journaliste qui l’interrogeait sur sa mission favorite, C.C. Williams avait affirmé : «  J’aimerais faire toutes les missions, bien évidemment. Si je devais n’en choisir qu’une, je dirais, le premier vol vers la Lune, du point de vue de la satisfaction personnelle et de la portée de l’événement ». Il ajouta que selon lui les équipages Apollo ont 99 % de chances de succès.

« Aussi sûr qu’un avion ? » demanda le journaliste, sans hésiter Williams répondit « Beaucoup plus que ça ! ».

M. et Mme Williams, le jour de leur mariage, le mercredi 1er Juillet 1964. Deux excellents amis, Ted Freeman et Charlie Bassett, sont de la fête.

Par une cruelle ironie, Théodore Freeman se tuera dans le crash de son T-38 le 31 octobre 1964, il est le premier astronaute à mourir en service, et Charles Bassett perdra la vie le 28 février 1966 avec Elliot See, également dans le crash d’un T-38 !

En 1962 à bord du porte-avion USS Independance, le Capitaine Williams devient le premier pilote a apponter en pilotant le TF-8A du siège arrière (Un Crusader F8U modifié en appareil d’entrainement biplace). Le soir même il réalise son premier appontage de nuit, toujours sur le siège arrière du TF-8A. Un exploit considérable compte tenu de la mauvaise visibilité sur le siège arrière. Il a réalisé ces deux faits mémorables le jour de son trentième anniversaire.

Une des dernières photos de C.C. Williams (à droite) ici en compagnie de Thomas Stafford (à gauche), Russell Schweickart et le comédien Bill Dana (au premier plan), « José Jiménez », l’invité d’honneur  de cette édition 1967 du One Shot Antelope Hunt. Une partie de chasse par équipes de trois, réservée aux personnalités, qui se déroule à Lander, Wyoming.

Bill Dana se souvient avec émotion de C.C. Williams, d’autant plus que son anniversaire coïncide avec la date de sa mort. Comme Richard Gordon* qui est également né un 5 octobre !

* C.C. Williams devait faire partie de l’équipage d’Apollo XII avec Charles Conrad et Richard Gordon.

Tracy’s Rock

Le 13 décembre 1972, au cours de la troisième et dernière sortie sur la Lune, les astronautes ont longuement étudié un énorme rocher à la Station Géologique n° 6.

Il s’agit d’un un éjecta, produit lors de l’impact d’une météorite sur la surface encore visqueuse de la Lune, il y a 3,9 milliards d’années, qui a formé le bassin Serenitatis.

Dans la littérature scientifique, cette formation est appelée « Split Rock » (rocher fendu) ou « Le rocher de la Station 6 ». Le bloc faisait à l’origine environ 6 mètres de haut, 18 de long et 10 mètres d’épaisseur, mais en se détachant il a dévalé le versant du Massif Nord, et s’est scindé en cinq morceaux.

Eugene Cernan et Harrison Schmitt l’ont examiné pendant plus d’une demi-heure récupérant de précieux échantillons.

En 1984, l’astronaute Alan Bean, qui s’est brillamment reconverti dans la peinture, montre une de ses œuvres à Eugene Cernan : le fameux rocher de la station 6. Ce dernier lui raconte alors comment il a récupéré deux poignées de poussière sur le côté gauche du rocher, les traces sont parfaitement visibles sur la photo ci-dessous ayant servi de modèle à l’artiste.

 

Les traces laissées par Eugene Cernan, lorsqu’il a collecté deux poignées de la poussière accumulée à cet endroit

Il lui confie également, qu’il regrette de ne pas avoir pensé à écrire le nom de sa fille dans cette même poussière. Une idée qui lui est venue de retour sur Terre, en voyant la photo.

Bean a été tellement touché par cette histoire, qu’il a tendu une feuille blanche à Cernan, et lui a demandé d’écrire le prénom de sa fille, tel qu’il aurait aimé qu’il le soit sur ce rocher.

Alan Bean s’est remis au travail et a exaucé le vœu de son ami, lui évitant ainsi selon ses propres termes : «… Le long voyage retour vers la Station 6, sans parler des économies qu’il a fait faire aux contribuables ».

Le magnifique tableau d’Alan Bean  [Painting of « Tracy’s Boulder » by Alan Bean. Completed 1984, 28 x 40 inches, Acrylic on Masonite. Original image Copyright by Alan Bean. All rights reserved. From Alan Bean Gallery: http://www.alanbeangallery.com/tracyrock-new.html]

L’histoire est tellement belle que désormais tout le monde appelle le rocher de la station 6  Tracy’s Rock.

Si Eugene Cernan n’a pas écrit le prénom de sa fille sur ce rocher, il a laissé ses initiales sur le sol lunaire, TDC pour Teresa Dawn Cernan. Lorsque des hommes retourneront sur la Lune, ils verront près du Rover 3, qui se trouve à environ 128 mètres de l’étage de descente du module lunaire, ce geste d’amour d’un père pour sa fille.

Eugene Cernan et sa fille Teresa, « Tracy », en 1972.

Les FLR de Clifton Curtis Williams

Lors d’un entrainement géologique in situ,  les astronautes sont priés de trouver  différents échantillons de roches. De temps à autres, lorsque Clifton Curtis Williams ramasse une pierre, il s’exclame : « Tiens, voici une autre FLR ! »

Le programme Apollo a généré des centaines de sigles, qui se sont ajoutés aux innombrables acronymes déjà utilisés par les astronautes et ingénieurs de la NASA.

Son coéquipier, Walter Schirra, dont la réputation de faiseur de blagues n’est plus à faire, est intrigué, il a beau essayer de se remémorer les cours de géologie, il n’arrive pas à se souvenir de la signification de FLR. Il est hors de question qu’il laisse son ignorance éclater au grand jour.

Quelques temps plus tard, à force d’entendre Clifton Williams ramasser des FLR, Walter Schirra n’y tient plus, sa curiosité piquée au vif, s’approche de lui et demande :

« Mais que diable est une FLR ? »

Triomphant, Williams répond : « Funny – Looking – Rock » (Une pierre à l’aspect amusant)

Schirra comprenant qu’il vient de se faire avoir, étouffe un juron, sous l’hilarité du groupe, ravi d’avoir joué un petit tour au maître ès plaisanteries-et-farces-en-tout-genre !

Clifton Curtis « CC » Williams s’attaquant à l’une de ses « FLR » lors d’une sortie géologique.

Clifton Curtis Williams est un astronaute du groupe 3 qui a trouvé la mort à l’âge de 35 ans, le 5 octobre 1967, dans le crash de son T-38, avant de faire son premier vol spatial.