Une magnifique comparaison du journaliste devenu romancier, Vladimir Orlov (1936-2014)
« La puissance totale de tous les moteurs du vaisseau de Gagarine équivalait à 20 millions de chevaux-vapeur. Cela signifie que le char du cosmonaute soviétique était tiré par l’ensemble des chevaux de la Russie tsariste au tournant du siècle. »
En effet les moteurs de la fusée « Vostok K » avaient une « puissance » de :
1er étage = 3 884 kN soit 396 000 kgf 2ème étage = 940 kN soit 96 000 kgf 3ème étage = 54 kN soit 5 000 kgf
soit au total : 4 878 kN ou 497 000 kgf
Comment convertir ces chiffres pour obtenir leur équivalent en chevaux vapeur ? J’ai eu beau chercher je n’y suis pas arrivé mathématiquement, j’ai donc utilisé une autre méthode pour « vérifier » les dires de Vladimir Orlov…
Dans le Apollo Spacecraft News Reference, Ed Dempsey nous apprend que les cinq moteurs F1 de la Saturne V développaient l’équivalent de 160 millions de chevaux vapeur, soit 32 millions par moteur. Sachant que le F1 a une poussée de 7 770 kN, (dans le vide) un simple calcul [7 770 : 4 878 = 1,59 et 32 000 000 : 1,59 = 20 100 000] nous confirme bien la valeur de 20 millions de chevaux-vapeur !
Quant au nombre de chevaux en Russie au début du XXème siècle : en 1901, il y en avait environ 17 millions, et près de 30 millions en 1913 !
Deux jours avant sa mission à très haut risque, Youri Gagarine écrit une lettre à sa femme Valentina et ses deux filles, Elena, 2 ans et Galina qui n’a que 34 jours.
Sa femme ne prendra connaissance de cette missive que sept ans plus tard, après la mort de son mari, survenue le 27 mars 1968 à l’âge de 34 ans dans le crash de son Mig-15 UTI, un accident dont la cause n’a jamais été clairement établie.
Ce poignant témoignage de Youri Gagarine a été publié pour la première fois par le journaliste russe spécialisé dans le spatial, Anton Pervushin, dans son livre « 108 minutes qui ont changé le monde », qui commémore le 50ème anniversaire du premier vol spatial de l’Histoire.
Je vous propose une traduction en français de cette lettre d’adieu, faite à partir d’une traduction en anglais.
Mes chères, mes tendres, mes bien aimées Valetchka, Lenotchka et Galotchka,
J’ai décidé de vous écrire ces quelques lignes pour vous faire partager la joie et le bonheur que j’ai ressenti aujourd’hui. Aujourd’hui même la commission d’Etat a décidé de m’envoyer, le premier, dans l’Espace. Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureux, Valioucha, je tiens à partager ce bonheur avec toi. On a fait confiance à un homme simple comme moi pour qu’il accomplisse une tâche d’importance nationale : ouvrir la route de l’espace !
Peut-on rêver mieux ? C’est historique, une ère nouvelle qui commence !
Le lancement est prévu pour après-demain. Au même moment, vous vaquerez à vos occupations habituelles. C’est une gigantesque tâche qui repose sur mes épaules. Avant, j’aimerais passer un petit moment avec vous, pour vous parler. Hélas vous êtes loin. Et pourtant je vous sens toujours à mes côtés.
J’ai une totale confiance dans le matériel. Il n’y aura pas de défaillance. Mais il arrive qu’on se brise la nuque simplement en tombant par terre. Ici non plus je ne suis pas à l’abri d’un incident, même si je n’y crois pas. S’il arrivait quoi que ce soit, je vous demande à vous toutes et surtout à toi Valioucha, de ne pas mourir de chagrin. Car la vie est ainsi faite, et nul n’est à l’abri de se faire écraser par une voiture.
Prends bien soin de nos fillettes, aime les comme je les aime. Ne les élève pas comme des petites fifilles à leur maman, mais comme de vraies personnes qui sauront affronter toutes les embûches que la vie mettra sur leur chemin. Rends les dignes de la nouvelle société, le communisme, l’Etat t’aidera.
Pour ce qui est de ta vie personnelle, suis ce que ton cœur te dit, fie-toi à ton jugement.Tu n’as aucune obligation envers moi et de toute façon je ne me sens pas le droit de te demander quoi que ce soit. Ma lettre prend un ton un peu lugubre, alors que je ne suis pas triste du tout. J’espère que tu ne liras jamais cette lettre, et j’espère ne jamais devoir à avoir honte pour cet instant de faiblesse. Mais si d’aventure il m’arrivait quelque chose, tu dois absolument tout savoir. Jusqu’à aujourd’hui, j’ai vécu honnêtement et loyalement, j’ai voulu servir les Hommes, même si ce service a été des plus modestes.
Dans mon enfance je me souviens d’avoir lu ces mots de Valery Tchkalov (NdT : un célèbre pilote d’essai): « tant qu’à être, mieux vaut être le premier. » Je m’efforce de l’être et je le serai jusqu’au bout. Ce que je veux, Valetchka, c’est dédier ce vol aux hommes de la nouvelle société, le communisme, dont nous sommes sur le point de faire partie, à notre patrie, à notre science. J’espère que d’ici quelques jours nous serons à nouveau réunis et que nous serons heureux. Valetchka, s’il te plaît, n’oublie pas mes parents, et si possible, aide les. Transmets-leur toute mon affection, et demande-leur de me pardonner pour ne pas les avoir tenus au courant, même si je n’étais pas autorisé à les informer.
Voilà, je crois que c’est tout. Au revoir mes chéries. Je vous embrasse très fort et vous fais de gros bisous.
Votre papa et Youra. 10 avril 1961.
A noter : le 10 avril est le jour anniversaire de sa fille aînée, Elena, mais curieusement il n’y fait aucune allusion !
Le sourire radieux de Youri Gagarine a été maintes fois évoqué, mais c’est sans conteste l’immense poète russe Evguéni Evtouchenko qui en parle le mieux. Le texte ci-dessous est tiré de l’épilogue (page 12) de son roman « Les Baies Sauvages de Sibérie » traduit en français par Alain Préchac, éditions Plon, 1982. L’épilogue (positionné avant le premier chapitre) a pour personnage principal un «cosmonaute» ami et élève de Gagarine, et le prologue (qui figure symboliquement à la fin de l’ouvrage) est consacré à Constantin Tsiolkovski.
« Il est peu de visages aussi humains que celui de Gagarine. Lui aussi, bien sûr, avait probablement fait l’objet d’un choix, mais on dira ce que l’on veut : aucune machine électronique, aucune épure top secret n’aurait pu le fabriquer artificiellement. C’était la Terre, la terre des hommes qui l’avait assemblé à l’aide de tous ses sourires, miraculeusement préservés dans un monde grimaçant… Le visage de Gagarine était le sourire de la Terre, le message de celle-ci aux espaces infinis. Quelle chance qu’on ne leur ait pas envoyé une de ces trognes à vous donner l’envie de vomir ! N’importe qui, à la place de Gagarine, aurait perdu la tête à force d’être traîné de pays en pays, de disparaître sous les monceaux de fleurs, d’avoir la poitrine transformée en arbre de Noël vivant avec toutes les décorations qu’on y suspendait, en guise de clochettes. Mais les sourires des Premiers ministres des présidents, des rois et des reines faisaient pâle figure auprès du sien car, si tous souriaient, lui-même était l’incarnation du sourire. »