Mon nom… José Jimenez…

En ce 5 mai 1961, Eugene F. Kranz, alors responsable des procédures et des opérations au sein du Mercury Control Center (MCC), en quelque sorte le bras droit du directeur de vol Christopher Kraft, reprend son poste après une brève pause café.

En effet, le compte à rebours de la mission Mercury-Redstone 3 vient tout juste d’être à nouveau interrompu, ce qui rend Alan Shepard quelque peu nerveux.

Son vol a déjà été reporté deux fois. Normalement, un pilote ne s’en prend jamais à son équipe au sol, mais à la stupéfaction de tous, Shepard lance le désormais célèbre : « Hé les gars, pourquoi vous ne réglez pas vos problèmes et allumez cette chandelle ? » (“Why don’t you guys fix your problems and light this candle? »)

La tension est de plus en plus palpable, lorsque soudain on entend sur « l’intercom » la voix du célèbre Bill Dana dans sa parodie de l’astronaute « pétochard »…

«Mon nom… José Jimenez… Savez-vous vraiment ce qu’il faut pour être un astronaute ?
«Non José, dis-moi ! »
«Il faut avoir du courage, une bonne pression artérielle et… quatre pattes »
«Pourquoi quatre pattes José ? »
«Au départ ils voulaient envoyer un chien, mais très vite  ils ont réalisé que c’est trop cruel»…

Alors que l’enregistrement continue d’être diffusé, Eugene Kranz vérifie sa provenance, il découvre avec un grand soulagement que la transmission vient du Blockhaus, et non du MCC, car si un des contrôleurs de vol avait été dans le coup, il aurait certainement passé un mauvais quart d’heure dans le bureau de Christopher Kraft.

Ce dernier est  furax, la responsabilité du vol repose sur ses épaules,  il s’agit de la toute première mission avec un astronaute à bord, dirigée par le Centre de Contrôle qu’il a mis sur pied. Ce genre de « surprise » est susceptible de déconcentrer son équipe ! (En effet tous les contrôleurs sont hilares !)

On découvrira plus tard que cette petite blague a été improvisée par le trio infernal, Gordon Cooper, Bill Douglas et Guenter Wendt, qui ont bien compris que tout le monde avait besoin de se détendre un peu, compte tenu de la pression (premier vol spatial d’un astronaute) et des aléas du compte à rebours, et surtout, Shepard qui aura en effet attendu plus de quatre heures enfermé dans la minuscule capsule Mercury, très exactement de 5:20, heure où il s’installe dans la capsule, à 9:34, heure du décollage ! (Il a été réveillé à  1:00 – Heure Locale)

Contrairement aux craintes de Christopher Columbus Kraft, non seulement le vol de Shepard fut un grand succès (il est ainsi devenu le premier américain et le deuxième Homme dans l’espace) mais son Mercury Control Center effectua un travail formidable… La légende de Mission Control était en marche !

Le soir même, lors de la « Splashdown Party », une tradition qui a commencé avec la mission MA-2, Gene Kranz a reconnu que finalement, ce petit intermède fut salutaire et a permis  à tout le monde de décompresser un peu !

Ceux qui ont vu l’expression du visage de Christopher Kraft lorsqu’il a entendu « José Jimenez »  en rigolent encore !

Alan Shepard à trois semaines près

Dans la soirée du 19 janvier 1961, lorsque Alan Shepard dit droit dans les yeux de son épouse : « Tu prends dans tes bras, l’homme qui sera le premier à aller dans l’espace », Louise Shepard s’exclame « Qui a laissé entrer un russe ici ? »

Cette boutade s’avèrera hélas prophétique, car trois mois plus tard, Youri Gagarine est le premier Homme dans l’espace, et Alan Shepard ne sera que le deuxième… à seulement 23 jours près !

Shepard est furax, et il le fait savoir, en privé comme en public: « On les tenait, on était à un cheveu, et on a laissé passer notre chance ».

Le vol suborbital du Chimpanzé Ham (Mercury Redstone 2 du 31 janvier 1961) ayant connu quelques problèmes, Wernher von Braun avait préféré jouer la sécurité, et avait ordonné un autre vol d’essai.

Ce vol, qui a eu lieu le 24 mars 1961, a le nom de code de MR-BD. Les membres du Space Task Group ont donné à cette mission la dénomination BD (Booster Development) pour marquer leur désapprobation. Ils voulaient faire passer le message que leur capsule était fin prête, contrairement au lanceur !

Les astronautes et les membres du STG, Robert Gilruth et Christopher Kraft en tête, ont vainement tenté de faire pression sur von Braun.

Quant aux dirigeants de la NASA, plutôt fébriles, ils ont également opté pour la prudence. Kraft fera ce commentaire sardonique : «  Nous étions freinés de l’extérieur par des médecins timorés, et maintenant nous avons des allemands, tout aussi poltrons qui sabotent notre programme de l’intérieur ».

MR-BD ayant été un succès, il était facile de critiquer von Braun pour son manque de prise de risque !

Mais c’est à lui seul, qu’aurait incombé la responsabilité de l’échec, en cas de défaillance de la Redstone.

Tout le monde se rappelle du fiasco MR-1 – (cf anecdote intitulée « Un nouveau record »).

Time magazine avait alors ridiculisé von Braun, pour avoir minimisé l’échec de ce lancement.).

Pourtant, la fiabilité du lanceur Redstone, était alors estimée à 88%, et la survie de l’astronaute, grâce au système d’éjection de la capsule (Launch Escape Tower), à 98%.

Guenter Wendt – Vice de forme et vis cachée !

Nous sommes le 20 février 1962, John Glenn est installé dans Friendship 7, il est temps pour l’équipe de Guenter Wendt de procéder à la fermeture de la capsule, en posant et en fixant, à l’aide des 70 boulons nécessaires, le panneau de la trappe d’accès.

Alors que l’opération est à moitié terminée, une vis casse net, Guenter Wendt ordonne alors son remplacement, et en informe Walt Williams par téléphone, qui fait interrompre le compte à rebours.

Wendt récupère la vis et la met dans sa poche.

Cet incident nécessite le démontage complet du panneau, afin d’extraire le morceau resté à l’intérieur, une opération qui prend environ 22 minutes, pendant lesquelles la caméra de télévision fixe de la « White Room » retransmet les images des techniciens affairés, de dos, qui arborent le logo «Mc Donnell» sur leurs blouses blanches. James McDonnell, (Mr Mac, le grand patron) jubile, ravi de cette publicité gratuite !

A 8:05 le compte à rebours reprend et quelques instants plus tard tout le monde quitte la «White Room». Après le décollage Guenter Wendt retourne à son bureau qui se trouve dans le Hangar S.

En fin d’après-midi, il reçoit un coup de fil de John Yardley (ingénieur en chef du projet Mercury chez McDonnell) : «Mr Mac souhaiterait récupérer la vis cassée afin de la faire recouvrir d’une couche d’or et l’exposer dans les locaux du siège de la société à St Louis.»

Guenter Wendt regarde la vis et se dit : « aucune vis cassée ne ressemble plus à une vis cassée qu’une autre vis cassée » et il se trouve justement que dans le Hangar S, il y a quelques vis de trappe Mercury dans le même état !

Guenter Wendt se rend donc au bureau de Yardley, pour lui donner l’objet. «Tu sais Guenter, il n’y a qu’une seule personne qui sait si cette vis est vraiment la bonne » lance-t-il en l’examinant longuement dans ses mains, il ajoute : « Tu jurerais sur une pile de Bibles que c’est bien la bonne ?»

« Tu as des Bibles sous la main ? » demande Wendt.

Comme il n’y avait pas de Bible alentours, ce que Wendt savait pertinemment, il fut convenu qu’il s’agissait là de la vraie vis.

Il se trouve que dans la collection personnelle de Guenter Wendt, il y en a justement une qui lui ressemble étrangement !