L’engouement pour le vol de John Glenn

Lorsque le mardi 20 février 1962 à 9 h 47 (heure de Floride) la fusée Atlas de John Glenn est mise à feu, toutes les télévisions et radios américaines retransmettent l’événement.

C’est la première tentative de vol orbital d’un américain.

Les trois chaînes de télévision commencent « le direct » à 6 h 30, pendant les onze heures et demi suivantes, on ne parlera que du vol de John Glenn à la télé.

A New-York quelque 10 000 voyageurs de la gare ferroviaire Grand Central Terminal sortent des trains pour regarder le décollage sur un écran géant (3,35 x 4,26 mètres) installé par CBS dans la mezzanine centrale. Des millions d’écoliers et d’étudiants à travers le pays font de même.

Dans la ville de Dover dans l’Ohio (état dont John Glenn est natif) des entreprises ferment momentanément leurs portes afin que les employés puissent regarder la télévision ou écouter la radio.

A Trenton, dans le New-Jersey, un braqueur de banque qui vient de dérober quelque 9 000 dollars s’arrête dans un bar pour boire un verre, la police l’appréhende alors qu’il regarde le vol de Glenn à la télé.

A Grand Rapids dans le Michigan, un tribunal est en train de statuer sur le cas d’un vol de téléviseur, lorsque le juge suggère que l’on allume le poste de télévision en question, la pièce à conviction, pour suivre le lancement, ce qui fut fait.

A Detroit les chargés de clientèle de la Michigan Bell Telephone Company demandent à leur responsable s’il n’y a pas eu un problème technique sur le réseau car il n’y a plus d’appels d’abonnés pour signaler des dysfonctionnements…

A Salt Lake City, des clients emportent des transistors avec eux dans les restaurants pour écouter les nouvelles…Dans un café, qui avait un poste de télévision, l’un des serveurs a rapporté que les clients étaient massés devant l’écran comme envoûtés…

L’équipe de Baseball des New-York Mets alors à l’entrainement fut autorisée par son entraîneur, le légendaire Charles Dillon « Casey » Stengel, peu connu pour ses entorses aux règles, à l’interrompre pour suivre le décollage.

Au Cap, le public a les larmes aux yeux et beaucoup de commentateurs également, alors que la fusée de John Glenn prend de la vitesse… « Go, baby, go ! »

Plus de 40 millions de foyers américains suivront le vol à la télévision (audience calculée par la A.C. Nielsen Company), les Etats-Unis comptaient alors quelque 184 millions d’habitants et il y avait 60 millions de téléviseurs en service dans le pays !

Le premier vol spatial de John Glenn a duré 4 heures, 55 minutes et 23 secondes au total, du décollage à l’amerrissage.

En tout et pour tout, ce sont plus de 135 millions d’américains (73,3%) qui suivront, en tout ou partie, le vol de John Glenn à la télévision.

Le Président John F. Kennedy, le Vice President Lyndon B. Johnson et des membres du Congrès suivent le lancement de John Glenn à la télévision.

Le Club de Presse de la Vitesse de Libération (Escape Velocity Press Club)

Des journalistes qui couvraient le programme spatial américain, et les membres des relations publiques de la NASA avaient créé l’Escape Velocity Press Club un club de presse très privé, que l’on intégrait sur invitation uniquement.

Créé au début du programme Gemini pour circonvenir les lois très surprenantes sur l’alcool, qui ont cours au Texas. Le Club de Presse de la Vitesse de Libération* se réunissait dans les salles de réunion des hôtels de Houston, lors des mission spatiales.

La carte de membre de Fred Cambria, journaliste de CBS, signée par le président du club, James Schefter.

Dans les mois qui ont suivi l’accident d’Apollo 1, sans aucune mission spatiale à couvrir, après la frénésie qui a marqué le programme Gemini, 10 missions en 20 mois ( entre le 23 mars 1965 et le 15 novembre 1966) les journalistes se sont trouvés sans rien à dire, hormis ressasser le tragique accident qui a coûté la vie aux trois astronautes d’Apollo 1.

Le moral de tous est au plus bas. Alan Shepard alors chef du bureau des astronautes, avait déclaré récemment :  « Il est temps d’arrêter de se morfondre. Ça suffit comme ça. Il faut retrouver le moral, et faire en sorte de renvoyer nos culs dans l’espace. »

C’est ainsi que James Schefter, le président du Club, (Journaliste pour le Houston Chronicle et Time-Life, il a couvert le programme spatial de 1963 à 1973) et Robert Button (Chargé des relations publiques de la NASA, affecté au bureau des astronautes) vont voir Shepard, pour lui proposer une idée.

Ils souhaitent organiser un gala en l’honneur du sixième anniversaire de son vol Mercury. il s’agit là du parfait prétexte pour faire la fête. Bien que n’appréciant pas particulièrement la presse, Shepard reconnut immédiatement le bien fondé d’associer son nom, à un événement susceptible de motiver une communauté qui avait clairement le cafard…

Alan Shepard fait un discours (devant lui, un sac de charbon de bois de la marque Royal Oak). Une petite blague à ses dépens…

Le gala se tint le samedi 6 mai 1967 dans la salle de bal de l’Hôtel Nassau Bay, juste en face de l’entrée principale du centre des vols spatiaux habités. Plus de 500 personnes voulurent y assister, alors que la salle ne pouvait en contenir que 300. Les choix furent parfois douloureux…

Jim Schefter fit office de maître de cérémonie. Il y avait notamment Robert Gilruth, le directeur du centre des vols spatiaux habités, Wernher von Braun le directeur du centre spatial Marshall, les six astronautes Mercury, les veuves des astronautes d’Apollo 1 Betty Grissom, Patricia White et Martha Chaffee…

C’est lors de ce gala que fut projeté le film humoristique concocté notamment par Walter Schirra, intitulé : « Astronaut Hero, or, How To Succeed In Business Without Really Flying…Much.« , qui se moquait gentiment de l’invité d’honneur, Alan Shepard.

(De g. à d.) Richard Gordon, Charles Conrad, John Young, Thomas Stafford forment le groupe « The Fearsome Foursome » (Le redoutable quatuor). Parodiant deux chansons de Broadway avec des paroles réécrites à la « gloire » de Shepard…
Betty Grissom debout, à gauche Robert Button, debout également Wernher von Braun, de dos, Paul Haney.
Wernher von Braun, au fond à droite John Glenn.

Ce gala s’avèrera être une parfaite réussite, l’événement social de l’année, de nature à redonner de l’énergie et de l’enthousiasme à tout le monde. Il était temps de se remettre au travail afin d’atteindre l’objectif du président Kennedy… Ce sera chose faite deux ans plus tard !

* La vitesse de libération est la vitesse minimale que doit atteindre un objet pour échapper définitivement à l’attraction gravitationnelle d’un astre et s’en éloigner indéfiniment.

Le pari entre James Webb et George Kistiakowsky

« Début février 1962, l’un des conseillers scientifique du Président des Etats-Unis, George B. Kistiakowsky (1900-1982) a parié 10 dollars avec James Webb (1906-1992), l’Administrateur de la NASA, que John Glenn ne volerait jamais.

Webb a relevé le pari et l’a gagné le 20 février 1962 lorsque John Glenn a tourné trois fois autour de la Terre lors du troisième vol de programme Mercury, Friendship 7, qui a duré 4 heures et 55 minutes.

Messieurs Kistiakowsky et Webb ont signé le billet de 20 dollars utilisé pour le paiement. Ce billet souvenir faisait partie de la collection personnelle de James Webb, il en fit don au Musée de l’Air et de l’Espace de Washington en 1984. »

Cette anecdote est rapportée telle quelle sur le site du musée.

On ne peut être que très étonné par ce pari, tel qu’il est rapporté là, car comment George Kistiakowsky, pourtant très bien informé, a-t-il pu parier début février 1962 que John Glenn ne volerait jamais (would never fly)  ? Après les différents reports de fin janvier et début février n’a-t-il pas plutôt parié que John Glenn ne s’envolerait pas durant le mois de février ?

Quoi qu’il en soit, voici le billet de 20 dollars utilisé pour acquitter son pari de 10 dollars !

Crédit photo : National Air and Space Museum – Washington D.C.