Alan Shepard comme un matador

Après un examen médical, physique et psychologique qui a duré un peu moins de deux heures, Alan Shepard se rend dans la salle d’habillage (suit room), où Joe Schmitt va l’aider à revêtir sa combinaison spatiale.

William Douglas, le médecin des astronautes, assiste à ce méticuleux processus… 

Il se rappelle : « Je ne sais pas pourquoi, mais cela me remémora l’habillage du matador avant la corrida. Un astronaute et un matador n’ont rien en commun, mais quand j’étais en Espagne, j’ai assisté à ce rituel, et l’atmosphère était exactement la même, une solennelle anxiété, un silence religieux, beaucoup de gens autour de lui. Et par-dessus tout, une vague odeur de mort. »

Freedom 7 ne répond pas

Lorsque le décollage de Freedom 7 avec Alan Shepard est confirmé, on annonce aux marins du porte-avions de récupération, le USS Lake Champlain, qu’en regardant vers l’ouest, ils pourront voir le retour du vaisseau spatial, prévu dans quelques minutes. Il s’agit d’un vol suborbital.

Alan Shepard – Freedom 7 (NASA)

A environ T+9 minutes, les techniciens de la NASA présents sur le porte-avions, essaient d’entrer en contact avec Freedom 7 sur la bande VHF, mais ils n’obtiennent aucune réponse.

Ils suspectent l’ionisation de la capsule lors de la rentrée de bloquer les ondes haute fréquence… A moins que la radio VHF ne soit en panne… Ou que quelque chose de plus grave ne ce soit produit  !

La capsule étant équipée également d’un émetteur récepteur UHF, on demanda à Ed Killian, un contrôleur aérien de 20 ans, d’utiliser l’AR 15 de la tour de contrôle du porte-avions, pour essayer de contacter Shepard.

Une radio UHF installée seulement quelques mois auparavant, pour servir de fréquence de secours en cas de panne du système VHF utilisé communément pour communiquer avec les avions.

L’AR-15 n’étant pas connecté à des hauts parleurs, les conversations sont totalement confidentielles.

« Mercury, Mercury, ici Nighthawk, vous me recevez ? » A l’origine, il n’était pas prévu que la tour de contrôle du porte-avions entre en contact avec le vaisseau spatial, les contrôleurs ne connaissent pas l’indicatif de Shepard, Freedom 7.

Pendant de longues minutes, Killian écouteurs sur les oreilles, essaie de joindre la capsule… L’inquiétude est de plus en plus forte…

Alors qu’il réitère pour la énième fois son appel, il entend un chuintement et un crépitement puis une voix exubérante : « Roger, Nighthawk, ici Mercury. La vache, quelle putain de chevauchée ! Putain de merde ! Nom de Dieu, ça a été quelque chose ! »

Killian est fortement surpris par le langage vert utilisé par le premier américain dans l’espace et le premier « spationaute » à revenir sur Terre dans son vaisseau spatial. Ce n’est pas le genre de langage que l’on entend habituellement dans la tour de contrôle !

Un peu plus tard, en serrant la main du Capitaine Ralph Weymouth, le pacha du porte-avion, Shepard lui répéta avec enthousiasme la phrase qu’il avait proférée, mais quelque peu expurgée : « Oh là là, quelle chevauchée » (« Boy, what a ride »).

C’est bien évidemment cette version qui sera reprise par les journalistes et qui fera la une des journaux !

Une dizaine d’années plus tard, Ed Killian dîne avec sa famille au célèbre restaurant d’Al Vargo à Houston, le Vargo’s, lorsqu’il aperçoit Alan Shepard entrer… Au moment propice, il se lève et va se présenter. En lui tendant la main il dit : « Amiral, je suis Ed Killian, nous ne nous sommes jamais rencontrés, mais peu être vous souvenez-vous de : « Mercury, Mercury, ici Nighthawk, vous me recevez ? ».

Shepard sourit et répond : « Comment pourrais-je oublier ! … Alors c’était vous ? »

Killian acquiesce

– « Hmmm, j’étais passablement excité, n’est ce pas ?

– « Vous aviez des raisons d’être euphorique, nous l’étions tous »

Satisfait par cette remarque, Shepard lui lance un regard complice en prenant congé : « Très heureux de vous avoir rencontré. »

La mission Mercury Atlas 10 n’aura pas lieu

Début 1963, la NASA envisage l’option d’une septième mission Mercury pour accroitre son expérience des vols de longue durée. Il s‘agit également de réduire le hiatus entre le dernier vol Mercury MA-9 prévu au printemps 1963, et le premier vol habité du programme Mercury Mark II, rebaptisé Gemini, prévu un an plus tard ! En réalité il interviendra après presque 2 ans, le 23 mars 1965 !

Cette dernière mission aurait permis à Alan Shepard de faire un vol orbital de 72 heures. Il avait déjà donné un indicatif à sa mission « Freedom 7 II ».

Walter Williams  le directeur adjoint des Opérations est enthousiaste. Ce vol doit être effectué avec la capsule numéro 15, celle-là même prévue pour le vol suborbital MR-5, qui fut annulé.

Modifiée pour la mission MA-13 puis MA-12 (18 orbites), la capsule devint 15A (ces missions furent également annulées). De nouvelles modifications, une nouvelle dénomination ; 15B, et la capsule est affectée comme « remplaçante » de la capsule n° 20 utilisée pour la mission MA-9 de Gordon Cooper qui effectuera 22 orbites les 15 et 16 mai 1963.

Après de nouvelles modifications entreprises pour le vol de longue durée MA-10 (44 orbites),15 B est la plus lourde des capsules Mercury, 1 489,6 kg  (1 360 kg pour MA-9).

Les astronautes demandent au Président Kennedy d’intervenir auprès de James Webb, l’administrateur de la NASA, pour que ce vol, toujours en pourparlers, se fasse.

John Glenn est désormais un ami de John Kennedy, ils font souvent du ski nautique ensemble à Hyannis Port, le fief de la famille Kennedy.

Faire ce vol dans le cadre du projet Mercury, eut été un moyen peu onéreux de s’approcher du record de durée d’un vol spatial, détenu alors par les soviétiques, le vol de 3 jours 22 heures d’Andrian Nikolaïev à bord de Vostok 3.

Confiant sur la probabilité de faire ce vol, ou pour forcer un peu le destin, Shepard fera peindre le nom « Freedom 7 II » sous le hublot trapézoïdal de la capsule 15B. On se souvient que lors de son vol suborbital Freedom 7, du 5 mai 1961, il n’avait qu’un périscope pour contempler le paysage.

MA-10
mc-15b2

Contre l’avis des responsables du programme Mercury, qui se réunissent avec James Webb les 6 et 7 juin 1963, pour lui vanter les mérites de ce dernier vol, l’administrateur de la NASA annonce le 12 juin, devant le comité spatial du Sénat, la fin du programme Mercury et la fin du contrat avec McDonnell.

En substance, le programme Mercury a atteint tous ses objectifs, il est temps de passer à Gemini !

Notons que jusqu’au 8 juin, 23 personnels de McDonnell travaillent au Cap Canaveral pour préparer la capsule 15B pour cette dernière mission !

Si le vol de Cooper n’avait pas été le succès qu’il fût, la mission MA-10 aurait certainement eu lieu…

Pour Alan Shepard c’est bien évidemment la déception… Le sort s’acharne, puisque quelques mois plus tard, début 1964, il est écarté des vols spatiaux en raison d’un syndrome de Ménière. Après avoir raté MA-10, il doit céder sa place de commandant de la première mission du programme Gemini…

Une délicate opération en 1968, lui permettra de réintégrer les rotations de vol en mai 1969, et en 1971 il finira par accomplir le rêve de sa vie, en marchant sur la Lune lors de la mission Apollo 14.   « La route a été longue » seront ses premiers mots en posant les pieds sur la Lune.

La mission MA-10 aura finalement lieu dans l’imagination du journaliste écrivain Martin Caidin, qui publie le roman « Marrooned » en 1964 (connu en France sous le titre S.O.S. Mercury VII, aux éditions Stock, 1965), l’histoire d’un astronaute, Richard Pruett, naufragé de l’espace, car les rétrofusées de son vaisseau spatial refusent de fonctionner, l’empêchant de revenir sur Terre.