Hermann Oberth alias Fritz Hann travaille à Peenemünde

Lorsqu’en 1941 Hermann Oberth (25 juin 1894 – 28 décembre 1989), considéré comme l’un des pères de l’astronautique moderne, obtient la nationalité allemande, Wernher von Braun (23 mars 1912 – 16 juin 1977) peut enfin le faire venir à Peenemünde. C’est ainsi qu’en juillet 1941, Oberth, qui avait 47 ans, vient travailler dans le centre de recherche ultra secret de l’armée de terre sous le pseudonyme de Fritz Hann. Il s’agit bien évidemment de ne pas éveiller les soupçons sur le véritable but des recherches entreprises à Peenemünde.

Lorsqu’en 1943, le grand physicien danois Niels Bohr se rend à Los Alamos, c’est sous le nom de Nicholas Baker.

Dire qu’en 1927, Wernher von Braun qui n’avait que 15 ans, avait envoyé une lettre à Hermann Oberth : «  Ich weiß, dass Sie an die Zukunft der Rakete glauben. Das tue ich auch, und daher erlaube ich mir, Ihnen als Anlage eine kleine Untersuchung vorzulegen, die ich gemacht habe … » (Je sais que vous croyez en l’avenir de la fusée. Moi également, je me permets donc de vous soumettre, ci-joint, une petite étude que j’ai faite… ». Oberth lui répondra : « Machen Sie nur weiter so, junger Mann ! Wenn Sie das Interesse beibehalten, kann aus Ihnen etwas werden. » (« Continuez ainsi, jeune homme ! Si vous gardez cet intérêt, vous pourrez devenir quelqu’un. »)

Dans la cour du “Chemisch-Technischen Reichsanstalt” à Berlin, avec la fusée UfA (« Frau Im Mond »). De g. à d. : Rudolf Nebel, Dr. Franz Hermann Ritter, Hans Beermüller, Kurt Heinisch, inconnu, Hermann Oberth, Helmut Zoike, Klaus Riedel (avec la Mirak), Wernher von Braun, inconnu. La photo a été prise par Rolf Engel. 1930.

Dans le cadre de la VfR (Verein für Raumschiffahrt), von Braun (18 ans) avait été l’assistant d’Oberth à la « Raketenflugplatz » à Reinickendorf dans la banlieue de Berlin, qui a ouvert ses portes le 27 septembre 1930.

En 1941 les choses ont bien changé.

A Peenemünde Oberth travaillera notamment au service des brevets, ainsi qu’au département « aérobalistique et dynamique de vol » qui fait partie de la division BSM (Bordausrüstung, Steuerung und Messtechnik – Guidage contrôle et télémétrie). Il travaille sous les ordres du Dr Hermann Steuding, qu’il décrit comme « obstiné et très bête » qui lui même travaille sous les ordres du Dr Karl Brützel, qui lui même a pour responsable le Dr Ernst Steinhoff, le directeur de la division BSM, qui rend compte directement au Dr Wernher von Braun.

Oberth se trouve à Peenemünde lors du premier bombardement de la base, dans la nuit du 17/18 août 1943 (Opération Hydre de Lerne).

Il recevra la croix du Mérite de guerre de première classe avec glaives (Kriegsverdienstkreuz I Klasse mit Schwertern) pour son comportement exemplaire après le raid*.

Oberth critique quelque peu le programme A4 qui selon lui, compte tenu des coûts de production énormes ne pourra jamais obtenir l’effet militaire souhaité. Il critique également le projet Wasserfall (missile sol-air). En temps de guerre il leur préfère des missiles utilisant des propulseurs à propergol solide, exactement comme Willy Ley.

C’est ainsi que fin 1943, il est envoyé à la Westfälisch-Anhaltische Sprengstoff-Actien-Gesellschaft (WASAG) plus précisément à l’usine d’explosifs (Sprengstoffwerk**) de Reinsdorf près de Wittenberg, pour travailler sur un missile sol-air à propulsion solide télécommandé, il y restera jusqu’à la fin de la guerre… Le projet n’aboutira pas.

* Cette distinction comportait jusqu’en 1944, quatre classes dont trois possédaient deux catégories ; avec ou sans glaives – Oberth a eu la 5è distinction la plus élevée sur 7 dans la hiérarchie de cette décoration. La croix du mérite de guerre de première classe (avec et sans glaives) a été attribuée 140 000 fois.

** Le 13 juin 1935 une gigantesque explosion de plus de 27 tonnes de nitroglycérine avait causé la mort de plus de 100 personnes, gravement blessé une autre centaine de personnes, et légèrement blessé 300 personnes. L’onde de choc a été ressentie dans la ville de Wittenberg à huit kilomètres de là avec de nombreuses vitres et vitrines détruites. Le 18 juin auront lieu des funérailles nationales en présence d’Hitler, Göring et Goebbels.

L’admiration de Hitler pour Wernher von Braun

Le 13 juin 1942, Albert Speer*, le ministre de l’Armement et de la Production de guerre du Reich, en compagnie notamment des chefs de l’armement des trois armes de la Wehrmacht, le Feldmarschall Erhard Milch (30 mars 1892 – 25 janvier 1972), le Generaladmiral Karl Witzell (18 octobre 1884 – 31 mai 1976) et le Generaloberst Friedrich Fromm (8 octobre 1888 – 12 mars 1945) se rendent à Peenemünde pour assister au lancement de la deuxième A4 (Versuchsmuster 2 – modèle d’essai 2). Le décollage du polygone de tir n° 7 est parfait, l’engin franchit le mur du son, mais n’atteint qu’une altitude de 4,5 km et retombe 1,3 kilomètre plus loin, en raison d’une défaillance du système de guidage.

Le 3 octobre 1942, le Versuchsmuster 4 atteint l’altitude de 90 km et une portée de 190 km. Le lancement est un succès en dépit d’une trajectoire un peu trop élevée. https://www.anecdotes-spatiales.com/3-octobre-1942-les-debuts-de-la-conquete-de-lespace/

Le 7 juillet 1943 Walter Dornberger (6 septembre 1895 – 27 juin 1980) et Wernher von Braun (23 mars 1912 – 16 juin 1977) sont convoqués au quartier général d’Hitler près de Rastenburg en Prusse-Orientale, la Wolfsschanze (« Tanière du Loup »). https://www.anecdotes-spatiales.com/des-excuses-pour-dornberger/ . Albert Speer est présent.

Après cette entrevue, Hitler réticent au départ, est conquis par le projet A4.

Lorsque Speer et Hitler se retrouvent seuls, ce dernier lui confie qu’il est très étonné qu’un homme aussi jeune, qui parait moins que ses trente et un ans, « ait pu contribuer à l’éclosion d’une idée technique qui change la face de l’avenir. »

« A plusieurs reprises, Hitler exposa sa thèse selon laquelle, à notre époque, les gens gaspillaient leurs meilleures années à des choses inutiles, alors que dans le passé Alexandre le Grand avait conquis un grand empire à 23 ans et Napoléon remporté ses victoires géniales à 30 ans. Il évoqua plusieurs fois Wernher von Braun, qui avait à Peenemünde, créé une merveille technique à un âge tout aussi précoce. »

Wernher von Braun avait été nommé directeur technique du centre de recherche de Peenemünde alors qu’il n’avait que 24 ans !

Le 17 août 1944 Joseph Goebbels (au centre) et Albert Speer (à droite) assistent au lancement d’une A4. L’engin a décollé du « Prüfstand X ». Crédit photo : Bundesarchiv – Bild 146-1992-093-13A. Photographe : Hanns Hubmann (21 juin 1910 – 8 mai 1996).

*Albert Speer (19 mars 1905 – 1er septembre 1981) était l’architecte préféré d’Hitler, ses talents d’organisateur le propulsèrent, le 8 février 1942, après la mort de Fritz Todt (4 septembre 1891 – 8 février 1942) dans un accident d’avion, à la tête du ministère de l’Armement et des Munitions du Reich (Reichsministerium für Bewaffnung und Munition) qui devient le 2 juin 1943 le ministère de l’Armement et de la Production de guerre du Reich (Reichsministerium für Rüstung und Kriegsproduktion).

Pour la petite Histoire : Todt et Speer se trouvaient alors à Rastenburg, le quartier général de Hitler en Prusse-Orientale, ils devaient prendre le même avion tôt dans la matinée pour retourner à Berlin. Une entrevue entre Hitler et Speer s’étant terminée vers trois heures du matin, ce dernier décida de repartir plus tard…

Wernher von Braun rend hommage à John Houbolt

John Cornelius Houbolt (10 avril 1919 – 15 avril 2014) à force de ténacité, et au péril de sa carrière, a su imposer, contre l’avis d’une très large majorité, la méthode du rendez-vous en orbite lunaire (LOR pour Lunar Orbit Rendez-vous) pour le programme Apollo. Il quitte provisoirement la NASA en 1963 (il y reviendra en 1976) pour devenir vice-président et consultant de la Aeronautical Research Associates of Princeton, Inc..

Fin juin 1969, il reçoit deux invitations ; la première émane de l’administrateur de la NASA Thomas Paine, (9 novembre 1921 – 4 mai 1992) qui l’invite à assister au décollage d’Apollo 11. Il décrira le spectaculaire lancement comme l’une des plus extraordinaires visions de sa vie.

La deuxième invitation, est lancée par Robert Gilruth (8 octobre 1913 – 17 août 2000), le directeur du centre des vaisseaux spatiaux habités près de Houston, qui lui permettra de suivre, depuis la salle des visiteurs qui surplombe la salle de contrôle des missions dans le bâtiment 30, l’atterrissage d’Apollo 11 sur la Lune.

En ce 20 juillet 1969, la salle qui compte 76 places assises est bondée, de nombreuses personnes sont debout adossées aux murs. Houbolt qui est arrivé tôt dans l’après-midi s’est assis dans la rangée du fond à sa place réservée. Quelque temps plus tard arrive Wernher von Braun (23 mars 1912 – 16 juin 1977) qui s’assoit au premier rang.

Houbolt aperçoit dans la salle de contrôle, derrière le directeur de vol, Robert Gilruth, Brainerd Holmes (24 mai 1921 – 11 janvier 2013) qui a quitté la NASA en 1963 après avoir dirigé le bureau des vols spatiaux habités, Joseph Shea (5 septembre 1925 – 14 février 1999) qui a quitté la NASA en juin 1967, deux mois après avoir été nommé directeur adjoint du bureau des vols spatiaux habités, et George Low (10 juin 1926 – 17 juillet 1984) directeur du bureau du programme du vaisseau spatial Apollo (ASPO pour Apollo Spacecraft Program Office).

Houbolt s’étonne que von Braun, le directeur du Centre Spatial Marshall, n’ait pas été convié dans la salle de contrôle…

Ils partagent la longue tension de la descente propulsée, puis l’exultation après l’atterrissage. Lorsque Neil Armstrong annonce : « Houston, ici la base de la Tranquillité, l’Aigle a atterri. » tout le monde se lève et applaudit à tout rompre, beaucoup ont les yeux embués.

Après quelques minutes, lorsque la liesse est un peu retombée, Wernher von Braun qui s’était longtemps opposé au mode LOR avant de s’y ranger,  se retourne vers John Houbolt et le pouce levé lui dit : « John, merci, nous n’aurions pas pu faire cela sans vous. » La centaine de personnes présente dans la salle des visiteurs lui fait alors une ovation. Houbolt sourit et fait un signe de la main.

Il confiera plus tard : « Ce fut l’une de mes plus belles récompenses ! »

John Houbolt. Crédit photo : TIME/LIFE 1962