Lorsque Christopher Kraft voulait mettre son poing sur la figure de Wernher von Braun.

Christopher Columbus Kraft  (28 février 1924 – 22 juillet 2019), le premier directeur de vol de la NASA, raconte sa première rencontre avec Wernher von Braun (23 mars 1912 – 16 juin 1977) dans son autobiographie parue en 2001, intitulée Flight : My Life in Mission Control.

Christopher Kraft
Wernher von Braun

Ma traduction du passage :

« Je fus invité à une réunion de l’American Institute of Aeronautics and Astronautics [AIAA] à Dallas pour évoquer le programme Mercury et notre conception du contrôle de mission.

Ce soir-là, j’ai finalement rencontré von Braun lors d’un cocktail organisé par Chance Vought…

La notoriété et la popularité de von Braun étaient telles qu’il était la seule personne dans la salle que tout le monde connaissait ou reconnaissait. Il avait l’habitude d’être le centre de l’attention.

Il n’a pas mis longtemps pour me faire savoir que notre concept de contrôle de mission était erroné. Son anglais était parfait, avec cet accent germanique léger et pénétrant, il parut un peu surpris lorsque je ne le contredis pas, mais acquiesçai.

Wernher était un pilote expérimenté, qui remontait au temps du programme de fusées nazi. « Voler dans une capsule Mercury », dit-il, « ne diffère en rien du pilotage de n’importe quel autre aéronef. »

« Non, ce n’est pas exact » lui répondis-je « Nous y avons longtemps réfléchi, et c’est tout à fait différent. »

Chacun campait sur ses positions. Wernher avait cette arrogance teutonique, exacerbée chez lui. Il se considérait comme l’expert mondial numéro un des fusées et du voyage spatial, et avait cultivé cette image de lui, avec des articles dans les magazines, des livres, des conférences, et des rapports techniques. Il était célèbre. C’était un directeur de centre de la NASA, l’égal de Bob Gilruth, et il cherchait probablement un moyen pour l’écarter.

Notre échange devenant plus bruyant et plus véhément, la salle se tût et nous eûmes bientôt du public. Il s’agit peut-être du célèbre Wernher von Braun mais il ne sait pas du tout de quoi il parle, pensai-je en colère.

J’avais un verre de Scotch dans une main et l’autre commençait à se crisper en un poing. S’il avait affirmé une fois de plus que le contrôle de mission pour le vol spatial était une idée idiote, je lui aurais collé mon poing sur la figure… 

Sur ces entrefaites l’épouse de Wernher von Braun lui susurra quelques mots à l’oreille et la tension se dissipa… »

Christopher Kraft et Robert Gilruth (8 octobre 1913 – 17 août 2000)  ne rataient jamais une occasion pour déprécier Wernher von Braun.

Vouloir mettre un coup de poing à Wernher von Braun, même s’il s’agit probablement d’une figure de style dans le texte, est tout de même extrêmement révélateur, de même que la description de von Braun et la narration de cette entrevue.

La soirée à laquelle Kraft fait allusion sans la dater, a dû se dérouler après le 31 janvier 1963, date à laquelle l’AIAA a été créée, de la fusion de l’American Rocket Society (ARS) fondée en 1930, avec l’Institute of Aerospace Sciences (IAS) créée en 1932.

Si l’on consulte la liste des documents produits par Christopher Kraft au cours de sa carrière, on trouve en effet un « papier » intitulé Mission Control for Manned Space Flight pour une conférence donnée à l’occasion d’un colloque de la American Institute of Aeronautics and Astronautics qui s’est déroulé à Dallas du lundi 22 au mercredi 24 avril 1963, trois semaines avant le vol de Gordon Cooper (6 mars 1927 – 4 octobre 2004) du 15 au 16 mai, la dernière mission du programme Mercury.

Kraft ne donne malheureusement aucun détail sur la nature exacte de leur différent.

Pour résumer, Wernher von Braun n’était absolument pas contre un contrôle de mission, mais il voulait laisser beaucoup plus de latitude au pilote, alors que Kraft considère plutôt l’astronaute comme son « subalterne ».

Plusieurs feront d’ailleurs les frais de cette politique, qui fait du directeur de vol, le maître absolu lors du déroulement d’une mission. Kraft aimait rappeler que :  « Pendant le déroulement d’une mission spatiale, le directeur de vol, c’est Dieu ! »

Le « centre de contrôle de mission », qui n’est en définitive que l’adaptation de la salle d’opération ou du poste de commandement militaire, aux spécificités d’une mission spatiale, est absolument nécessaire à son bon déroulement, ce dont Wernher von Braun était bien évidemment pleinement conscient.

Willy Ley et Wernher von Braun oublient qu’ils travaillent sur un dessin animé

Alors que Willy Ley (2 décembre 1906 – 24 juin 1969) et Wernher von Braun (23 mars 1912 – 16 juin 1977) travaillent dans les studios Disney à Burbank en Californie sur le scénario de Man In Space, ils imaginent un instrument pour le centre de contrôle de mission, qui permettrait de visualiser à tout moment la position du vaisseau spatial par rapport à la surface de la Terre.

Willy Ley et Wernher von Braun. Crédit photo : Science Photo Library

Cet appareillage, disent-ils, devrait ressembler à une sphère représentant la Terre muni d’un anneau en plastique transparent pour représenter l’orbite, sur lequel un point lumineux mobile figurerait le vaisseau spatial.

Von Braun demande alors : « Comment pourrait-on construire un truc pareil ? »

Une conversation animée s’engage alors…

Après quelque temps, l’un des artistes les ramène un peu à la réalité en leur disant : « Vous savez, ici chez Disney, nous ne faisons que dessiner les choses ! ».

Wernher von Braun provoque une crise de jalousie conjugale

Les soirées au Club des Officiers de l‘US Air Force au Cap Canaveral étaient renommées… Ces dernières étaient très courues, l’on y trouvait une nourriture raffinée, de l’alcool à volonté, un orchestre, une piste de danse, et du beau monde…

Quelques heures avant de se rendre à l’une de ces soirées le Dr Gerhard Hengst, ancien de Peenemünde travaillant au Cap canaveral, et sa femme Maria, ont une dispute, quand ils arrivent sur les lieux ils sont toujours en froid… A l’issue du dîner la musique commence, et Wernher von Braun, dont l’épouse Maria est absente, invite à plusieurs reprises la ravissante Maria Hengst à danser. Celle-ci avouera plus tard que « von Braun était un homme plein de charme, avec lequel on pouvait parler de tout, et qui était doté d’un merveilleux sens de l’humour ». Le courant passe très bien.

Pendant ce temps, Gerhard Hengst assis à table, a la tête des mauvais jours, il bout intérieurement…

Lorsque Wernher von Braun raccompagne Maria Hengst à sa table, cette dernière lui demande de bien vouloir remonter la fermeture éclair de sa robe de soirée qui n’était plus fermée jusqu’en haut ; von Braun s’exécute.

C’en est trop pour Gerhard Hengst, danser avec son épouse est une chose, remonter la fermeture éclair de sa robe en est une autre, il lance un regard noir à sa femme et, les mâchoires serrées, lui intime qu’il est temps de rentrer. Ils prennent rapidement congé, Gerhard Hengst lui attrape fermement le coude en se dirigeant vers la porte de sortie. Durant le trajet retour, aucun mot n’est échangé, mais au moment d’aller se coucher Maria finit par lui adresser la parole : « Qu’est-ce que tu as à la fin ? »

« Tu me demandes ce que j’ai ? » fulmine-t-il « Tu m’as fait honte devant tous mes amis, tous mes collègues, en dansant collé-serré avec von Braun comme si vous étiez ensemble, et ensuite tu lui demandes de remonter la fermeture de ta robe alors même que je suis là, juste à côté ! Voilà ce que j’ai ! »

Toujours assis dans son lit, remontant son réveille-matin mécanique, comme chaque soir, il est pris d’un irrépressible accès de colère et jette ce dernier contre le mur. Le réveil se fracasse brisant le verre recouvrant le cadran.

Maria va chercher un balai mais ne ramasse que le verre éparpillé sur le sol de la chambre, ignorant le réveil partiellement disloqué.

Le lendemain matin, le réveil a disparu. Le couple n’en reparla jamais, le mari jaloux mais honteux de son comportement, avait dû le jeter.

Des années plus tard, après la mort de Gerhard Hengst, le réveil fut retrouvé dans une boîte, et les circonstances de son état furent élucidées par sa veuve.

Maria et Gerhard Hengst (Janvier 1961). Crédit Photo : Scan Olivier COUDERC – From Peenemünde to Cape Canaveral and Beyond par Werner Hengst. Copyright 2018 by Christy Hengst.

Le docteur en physique Gerhard A. Hengst (1902-1981) était directeur de la electro-optical systems branch à la NASA au Cap Canaveral, il a notamment conçu des caméras de poursuite pour les fusées. Il avait fait de même à Peenemünde avant d’être détaché dans une société d’électro-optique à Munich après le bombardement du centre de recherche en août 1943. En 1952, lors d’une visite en Allemagne, il est approché par Ernst Steinhoff (1908-1987) avec lequel il avait travaillé à Peenemünde, qui lui propose un emploi aux Etats-Unis rémunéré 700 dollars par mois (le salaire moyen mensuel en 1953 était de 270 USD). Dans l’état où se trouve alors la recherche et l’économie allemande, une telle offre ne se refuse pas. Il émigre le 11 mars 1953 parmi un contingent de trente scientifiques allemands et leur famille, et devient citoyen américain en juin 1963 en même temps que sa deuxième épouse Maria. [Sa première femme, Emma, est décédée en Allemagne en décembre 1951 des suites d’une péritonite, car elle était allergique à la pénicilline qui aurait pu la sauver ; elle lui a donné son unique enfant, Werner (1936-2016)]. Quelques années plus tard, à la retraite, Maria le convainc de retourner en Allemagne, à Munich. La boucle est bouclée…