Das Geheimnis der Flüssigkeitsrakete par Wernher von Braun

Wernher von Braun à 24 ans dans son uniforme de cadet dans la Luftwaffe.

Le 4 juin 1932, Wernher von Braun, qui a eu 20 ans le 23 mars, publie un article sur la fusée à ergols liquides, dans le magazine hebdomadaire illustré Die Umschau, qui traite des progrès de la science et de la technologie.

Wernher von Braun a intitulé son article : « Le secret de la fusée à ergols liquides» (Das Geheimnis der Flüssigkeitsrakete).

En voici ma traduction en français :

LE SECRET DE LA FUSEE A ERGOLS LIQUIDES par Wernher von Braun

Le XXe siècle a permis à l’humanité de réaliser l’un de ses désirs les plus chers : voler.

Mais le progrès pousse à aller plus haut, pour s’affranchir de l’air et pouvoir voler sur de longues distances, à de grandes vitesses en toute sécurité, ce quelles que soient les conditions météorologiques.

Pendant quelque temps, le développement technique du vol à haute altitude a stagné, on s’est rendu compte que l’on ne peut pas aller au-delà d’une certaine altitude avec la technologie actuelle, et que toute tentative de dépasser les records en cours, implique toujours des dépenses d’argent sans commune mesure avec une utilisation courante.

Parce que tous les avions dont nous disposons jusqu’à présent sont tributaires d’une certaine densité d’air, il nous faut complètement abandonner les systèmes de propulsion actuels, pour atteindre des altitudes encore plus élevées. Nous avons besoin d’une propulsion qui puisse s’affranchir de la présence d’air.

La seule façon de pouvoir voler à de très hautes altitudes, même dans le vide, passe par l’utilisation du moteur-fusée. Tout le monde connaît la fusée de feu d’artifice.

Un tube en carton, bourré de poudre, auquel on met le feu, qui vise le ciel avec une longue gerbe de flammes. L’industrie moderne des fusées à poudre a appris à développer des fusées hautes performances extrêmement fiables à partir de cette forme originelle. Elles sont largement utilisées pour le sauvetage en mer, éclairer, prendre des photos, et empêcher la formation de grêle.

Mais là encore, vous êtes limités dans les performances. Toutes les tentatives ont échoué en raison de l’explosivité de la poudre et de son énergie chimique insuffisante, et notamment en raison de l’impossibilité d’arrêter la combustion du dispositif incendiaire après la mise à feu, ou faire varier la puissance même dans de petites limites.

La fusée n’a pu gagner en importance qu’au moment où il fut possible de construire des fusées à propergol liquide. Les carburants comme l’essence ou l’alcool produisent non seulement une énergie beaucoup plus élevée que les meilleures poudres sans fumée, mais permettent également de créer des fusées totalement exemptes du risque d’explosion.

Parce que l’oxygène fait partie de la combustion, ce dernier doit être stocké dans des réservoirs séparés, à l’état liquide, et n’entre en contact avec le carburant lui-même, qu’au moment de la combustion.

Dans les poudres sans fumée, dont l’utilisation pose déjà des difficultés particulières, l’oxygène est présent dans le composant, de sorte que chaque poussée puissante peut provoquer un regroupement chimique potentiellement explosif.

Qui plus est, la fusée à combustibles liquides présente un avantage particulièrement important : la poussée du moteur peut être régulée. Dans la mesure où un liquide n’a besoin de passer qu’à travers une vanne pour que son débit puisse être contrôlé à volonté.

Il s’agit là d’une condition préalable indispensable, pour que ces engins puissent être exploitées rationnellement dans un cadre pratique.

Une fusée à ergols liquides est vraiment une machine ordinaire. Il y a les réservoirs dans lesquels le carburant est stocké, les tuyaux d’alimentation, les vannes de régulation, et un moteur : le moteur-fusée.

Clarifions sommairement le fonctionnement du moteur-fusée. Nous connaissons tous l’effet de recul qui se produit lors du tir avec un fusil. Il est provoqué par la poudre explosive qui repousse le fusil avec la même force avec laquelle elle expulse le projectile dans la direction opposée.

En principe, un moteur-fusée n’est rien de plus qu’un fusil capable de tirer des millions de minuscules sphères chaque seconde, à savoir les molécules d’un flux de gaz sortant d’une buse. Chaque molécule éjectée crée un petit recul, dès la sortie.

Si le processus est complètement continu, une force agissant constamment résulte de toutes ces petites secousses, le mouvement de la fusée. C’est une mesure de la performance de n’importe quel moteur de fusée. La poussée (recul) croît d’une part, avec le nombre de molécules éjectées, et d’autre part avec la vitesse de sortie.

Afin de donner à un gaz la vitesse la plus élevée possible, il faut le réchauffer. « L’effet de cheminée » bien connu se produit alors, qui fait « tirer » une cheminée, et dont la cause n’est rien d’autre que l’énergie chaude du gaz convertie en énergie cinétique, c’est-à-dire en flux, sur le long chemin à travers le conduit de la cheminée.

Bien entendu, les différences de température dans le moteur-fusée sont bien plus élevées que dans une cheminée conventionnelle, elles atteignent jusqu’à 2000 °, en lieu et place d’un « conduit » cylindrique normal, le moteur-fusée est équipé d’une tuyère.

Le moteur d’une fusée est donc un moteur sans pièces rotatives. Il se compose simplement d’une chambre de combustion et d’une tuyère qui y est raccordée. En raison de cette simplicité, ses pertes sont également extrêmement faibles.

Dans les moteur-fusée modernes qui utilisent par exemple l’essence et l’oxygène liquide, on a déjà réussi à atteindre des vitesses d’éjection atteignant 2 200 mètres par seconde. Les performances de ces dispositifs sont en conséquence élevées.

On a récemment testé avec succès un moteur-fusée, qui a délivré une poussée continue de presque exactement 100 kg pour une consommation de carburant de seulement 500 g par seconde ; cela correspond à une puissance continue indexée de 2 660 chevaux ! L’ensemble du moteur avait une masse de 1,5 kg.

La mise au point de tels moteur-fusées présente naturellement des difficultés considérables. D’une part, les matériaux doivent pouvoir résister à des températures allant de + 2500 ° à  -183 ° qui est celui de l’oxygène liquide. Les valves des conduits d’oxygène, sont toujours soumises au risque de gel à basse température, présentent également des difficultés de conception particulières.

En pratique, chaque nouveau moteur est d’abord testé, ses performances sont enregistrées par des instruments de mesure. Ensuite, le moteur est soumis à « l’épreuve de vérité », un essai statique au cours duquel il est sollicité bien au-delà de ces capacités nominales, et ce n’est que lorsque ce test est également passé avec succès que le moteur peut être utilisé dans une fusée.

Même aujourd’hui, les fusées à ergols liquides peuvent facilement atteindre des altitudes de 4 000 m. En fin de vol, la fusée revient sur Terre suspendue à un parachute, déployé au sommet de la trajectoire, la fusée peut ainsi être à nouveau « ravitaillée » et relancée.

Il serait également possible sans difficultés particulières, de construire des fusées pour atteindre des altitudes de 50 ou 100 km. Jusqu’à présent, tous ces projets ont échoué en raison de la cruciale question d’argent. Mais on peut espérer que cette difficulté puisse être bientôt surmontée également.

Que des fusées soient capable d’atteindre de très hautes altitudes serait d’un immense intérêt pour la science. On pourrait non seulement facilement explorer les couches supérieures de l’atmosphère, mais on pourrait également prendre des photographies de la surface de la Terre, ce qui pourrait permettre de découvrir des interactions météorologiques complètement nouvelles.

Mais cela ne justifierait pas seul le développement de la fusée à ergols liquides liquide. Le développement d’un engin dans lequel vous investissez de l’argent doit également permettre d’en gagner. La fusée doit être lucrative. La fusée postale promet une rentabilité en permettant de franchir très rapidement des distances de plus en plus grandes.

À une vitesse initiale d’environ 7 000 mètres par seconde par exemple, une fusée est capable de traverser l’océan Atlantique, de l’Europe à l’Amérique, en un grand arc, en 25 minutes.

La fusée à ergols liquides peut atteindre cette vitesse si elle emporte suffisamment de carburant pour être capable de générer une poussée assez longtemps ; tant qu’il y a de la poussée, la vitesse s’accroit.

Sur la base de l’expérience actuelle concernant la consommation de carburant des fusées à ergols liquides, on peut conclure qu’il sera probablement possible de mettre en place un service de fusées postales entre l’Europe et l’Amérique, ainsi une lettre normale pourra être acheminée à un coût compris entre 20 et 30 pfennigs.

Plus tard, il sera même certainement possible de piloter de telles fusées, de sorte qu’il deviendra possible de transporter des passagers à grande vitesse dans le monde entier. On pourra alors atteindre n’importe quel endroit, à partir de n’importe quel point de la surface de la Terre, en moins d’une heure.

Ce n’est que lorsque la fusée à longue portée sera devenue aussi sûre que le chemin de fer et l’avion le sont pour nous aujourd’hui, que l’on pourra envisager la fusée lunaire.

A l’heure actuelle, on ne peut dire qu’une chose sur la question du voyage dans l’espace, c’est qu’il est théoriquement possible. Mais dans la pratique il y a encore un long chemin à parcourir avant que cela ne se réalise enfin. On ne peut bien sûr encore rien prédire de ce qu’il adviendra.

Ainsi la mise au point d’une fusée postale à longue portée, destiné à une exploitation commerciale, est si intéressante, surtout en cette période de chômage de masse, que toutes les compétences devraient être rassemblées pour atteindre rapidement ce but.

Wernher von Braun

Himmler prend le contrôle du programme A4

Heinrich Himmler rêve de créer un empire industriel, pour que la SS ne soit plus dépendante du budget de l’état.

Il va notamment établir des usines d’armement dans les camps de concentration, c’est ainsi qu’une usine de carabines voit le jour à Buchenwald, une usine de pistolets à Neuengamme, une usine de canons antiaériens à Auschwitz, une usine produisant des systèmes de communication à Ravensbrück, etc.

Ces tentatives seront globalement des échecs.

« Louer » des travailleurs issus des camps de concentration aux grandes firmes, sera beaucoup plus lucratif. Ce faisant, Himmler va bien évidemment s’intéresser également au programme des fusées, d’une toute autre magnitude.  

Les fantastiques innovations du programme A4 fascinent le Reichsführer SS.

Les étapes de cette prise de contrôle du programme A4, dans les grandes lignes :

  • En 1940 Himmler a obtenu de Wernher von Braun, qui n’a rien demandé, qu’il rejoigne son organisation, la SS. C’est ainsi que le directeur technique civil du centre de recherche de Peenemünde (re)devient le membre n° 185 068 * de la SS Générale (Allgemeine SS), ce après deux « sollicitations » sans réponse. Son adhésion débute le 1er mai 1940, Himmler lui confère le grade honoraire de sous-lieutenant (SS-Untersturmführer). Von Braun est rattaché, et non pas affecté, à l’Oberabschnitt Ostsee (anciennement SS-Oa.Nord), SS-Abschnitt XIII dont le quartier général se trouve à Stettin (116 km de Peenemünde) et commandé alors par le SS-Oberführer Walter Langleist (SS-Oberführer est un grade spécifique à la SS entre colonel et général). Le régiment SS le plus proche est la 74e SS-Standarte stationnée à Greifswald (30 km de Peenemünde). Ce régiment d’infanterie est commandé à ce moment-là par le colonel (SS-Standartenführer) Otto Müller. C’est ce dernier qui servira d’intermédiaire avec Himmler pour faire adhérer von Braun à la Allgemeine SS. La région de la mer Baltique (Ostsee) est dirigée par Emil Mazuw alors général de division (SS-Gruppenführer).
  • En mai 1941, Himmler incorpore tous les clubs de spéléologie d’Allemagne et d’Autriche au sein de la Reichsbund für Karst und Höhlenforschung. Cette « fédération du Reich pour le karst et la spéléologie » est sous la tutelle de la SS-Ahnenerbe. [La Ahnenerbe Forschungs und Lehrgemeinschaft ou société pour la recherche et l’enseignement sur l’héritage ancestral, créé le 1er juillet 1935 et intégrée à la SS en janvier 1939 comprend 38 instituts de recherche dans des domaines aussi variés que l’archéologie, la philologie, la climatologie, l’astronomie, l’anthropologie, la médecine, l’ethnographie, la musicologie, l’entomologie, la météorologie, la biologie, la zoologie etc.]. La SS veut s’approprier les travaux et surtout confisquer l’impressionnante bibliothèque et la documentation du Dr Benno Wolf (26 septembre 1871 – 6 janvier 1943) ce docteur en droit, juge régional, féru de spéléologie, ancien président et fondateur de l’association des spéléologues allemands (Hauptverband Deutscher Höhlenforscher), qui avait notamment constitué un registre recensant toutes les grottes de la planète. Benno Wolf, 71 ans, est arrêté par la Gestapo le 6 juillet 1942 à 13 :30 alors qu’il rentre chez lui, et déporté au camp de concentration de Theresienstadt ; bien que baptisé protestant, il est d’origine juive par ses grands-parents. (L’un des cas particuliers des lois de Nuremberg.) Il y mourra un an et demi plus tard, le 6 janvier 1943 victime de mauvais traitement. C’est ainsi que la SS met la main, sur ce qui va notamment lui permettre de s’immiscer dans la production de l’armement, lorsque beaucoup d’usines seront transférées sous terre, avec les travaux d’excavation et d’aménagement, et surtout la production, réalisés par les détenus des camps de concentration. Himmler va créer la Höhlennachweis-Abteilung im Wehrwissenschaftlichen Institut for Karst- und Höhlenforschung der SS Karstwehr-truppe. Les services secrets de nombreux pays ont des cellules spécialisées dans la collecte d’informations de nature géologique, et les cavités souterraines.
  • Au printemps 1942, Himmler propose à Albert Speer qui vient d’être nommé ministre de l’Armement et des Munitions le 8 février 1942 (qui chapeaute la production en série du programme des fusées), le grade honoraire de Oberst-Gruppenführer. Il s’agit du deuxième grade d’officier général le plus élevé dans le corps des officiers généraux SS (il n’en existera que 4 dans l’histoire de la SS). Le plus haut grade étant bien évidemment porté par Himmler lui-même, qui est le quatrième Reichsführer-SS de l’organisation, et le 168e adhérent de la SS. [A noter : Hitler a comme numéro d’adhérent de la SS le 1, il avait le grade suprême de Oberster Führer der Schutzstaffel, pour lequel il n’existe toutefois pas d’insigne.] Contrairement à Wernher von Braun, Albert Speer, fort des relations privilégiées qu’il entretient avec Hitler à ce moment-là, peut se permettre de refuser cette offre. Non seulement Speer évite ainsi toute sujétion à la SS, mais lui permet de garder la confiance des dirigeants de la Wehrmacht. Ce refus, le fait d’être le protégé d’Hitler, et son opposition à l’immixtion de la SS dans le programme A4 (entre autres), vont lui valoir la forte inimitié d’Himmler, ce dernier le soumettra à un régulier travail de sape.
  • Le 3 octobre 1942 la fusée A4 / V-4 atteint 83 km d’altitude et parcoure la distance de 193 km. Premier lancement réussi. (Le V signifie versuchsmuster pour « engin de test » ou « prototype » et le chiffre, la séquence dans la chronologie des lancements.)
  • Le 11 décembre 1942 Himmler effectue sa première visite de Peenemünde. Il assiste au lancement de la A4 / V-9 qui explose au bout de quatre secondes.
  • En avril 1943 Himmler essaie de discréditer le commandant militaire de Peenemünde, le colonel Leo Zanssen, un officier à l’ancienne mode, de plus en plus critique envers le régime. Il l’accuse d’avoir des contacts avec un groupe anti-nazi d’obédience catholique à Stettin ; « un espion à la solde des catholiques ». L’officier en second de Zanssen, le lieutenant-colonel Gerhard Stegmaier, affirme même qu’il est alcoolique, un mensonge, « un coup de poignard dans le dos ». Il s’avèrera que Stegmaier est à la solde de la SS. Très vite le général Friedrich Fromm, responsable de l’équipement militaire de l’armée de terre et commandant de l’armée de réserve (Chef der Heeresrüstung und Befehlshaber des Ersatzheeres), prend sa défense et envoie une missive à Himmler l’informant que Zanssen, de confession catholique, est marié à une protestante, que ses enfants sont baptisés dans l’Eglise protestante. Ernst Kaltenbrunner le chef de l’Office Central de la Sûreté du Reich (RSHA pour Reichssicherheitshauptamt), homme de confiance d’Himmler, ne peut que confirmer ces informations. Au final Zanssen sera lavé de tout soupçon. Il sera promu Generalmajor le 1er avril 1944.
  • Le 3 avril 1943 le gouvernement annonce officiellement la perte de la VIe armée à Stalingrad, commandée par Friedrich Paulus. Capitulation qui date du 2 février. Pour la première fois la Wehrmacht est vaincue dans un conflit majeur. La guerre prenant une tournure défavorable, Joseph Goebbels, le ministre de la propagande, dans son célèbre discours radiodiffusé du 18 février au palais des sports (Sportpalast) de Berlin, avait appelé à la « guerre totale » et évoqué à nouveau les nouvelles armes qui allaient pouvoir retourner la situation. (La première évocation publique de l’utilisation de nouvelles armes remonte à son discours du 30 janvier 1943 – L’utilisation du V pour vergeltung qui signifie châtiment, vengeance, représailles, est une réponse au V de victory utilisé par Winston Churchill. La propagande nazie utilisera également le terme de Wunderwaffen – armes miracles.) Dès lors la pression sur les responsables du programme va devenir de plus en plus forte.
  • A la mi-avril 1943 il est décidé que la production en série de la A4 serait assurée par les détenus des camps de concentration. Une première victoire pour Himmler. Quatre sites sont choisis : Fertigungshalle Eins (Versuchserienwerk – Werk Süd – Peenemünde), Zeppelin-Werke (Friedrichshafen), Rax-Werke (Wiener Neustadt), Demag-Lokomotivwerken (Falkensee) [Demag = Deutschen Maschinenfabrik AG]. Le premier, Karlshagen Außenlager II, emploi des détenus des camps de Buchenwald et Sachsenhausen, il est administrativement rattaché au camp pour femmes de Ravensbrück. Le second, KZ-Außenlager Friedrichshafen, emploi des détenus du camp de Dachau. Le troisième, Arbeitslager Wiener Neustadt, emploi des détenus du camp de Mauthausen. Le dernier, KZAußenlager Falkensee, emploi des détenus du camp de Sachsenhausen.
  • Les 28 et 29 juin 1943 Himmler [accompagné par Emil Mazuw qui a été promu le 20 avril 1942 Général de corps d’armée et Général de Police (SS-Obergruppenführer und General der Polizei), ainsi que le General der Artillerie Emil Leeb qui est depuis le 16 avril 1940 le responsable du bureau des armes de l’armée de terre (Chef des Heereswaffenamtes)] effectue sa deuxième visite de Peenemünde. Il assiste, le 29, à deux lancements effectués du polygone d’essai n° 7 (Prüfstand VII). Le premier, (V-38) dans la matinée, est un échec, l’engin s’écrase sur l’aéroport détruisant trois avions, l’autre (V-40), dans l’après-midi, est un succès. Von Braun avait été prié par les autorités SS locales de revêtir son uniforme SS, et pour cause, il est promu commandant (SS-Sturmbannführer) le 28 juin. Lors de la première visite il était resté en costume civil. Traditionnellement les promotions au sein de la SS ont lieu le 9 novembre, la date anniversaire du « putsch de Munich ». Bien qu’il s’agisse d’un fiasco, cette tentative de prise de pouvoir par Hitler en Bavière, est devenu l’un des mythes fondateurs du régime nazi. A partir de 1934 les promotions se feront également le 30 janvier, l’anniversaire de la prise de pouvoir. Une promotion hors de ces dates, datée du jour de la visite d’Himmler à Peenemünde, montre à quel point ce dernier « s’intéresse » à von Braun.
  • Le 8 juillet 1943 Walter Dornberger, Wernher von Braun et Ernst Steinhoff se rendent au quartier général d’Hitler dans un Heinkel 111. Quelques jours plus tard Himmler lors d’une entrevue avec Hitler déplore le fait que les trois personnalités les plus importantes du programme A4 ont volé dans le même appareil. On demandera aux trois concernés de ne plus prendre l’avion ensemble. Ce faisant Himmler se rappelle au bon souvenir de ces trois personnes, et combien il s’intéresse à leurs travaux.
  • Dans la nuit du 17 au 18 août 1943 le site de Peenemünde est bombardé. Une véritable aubaine pour Himmler. C’est la fin du « tout sous le même toit » (alles unter einem dach) prôné par Walter Dornberger.
  • Himmler a de plus en plus de réunions de travail avec Hitler au sujet du programme A4.
  • Le 18 août au matin, Albert Speer se rend à Peenemünde pour constater les dégâts. Le lendemain après-midi il rencontre avec son bras droit Karl-Otto Saur qui dirige le Technische Amt im Munitionsministerium, Adolf Hitler dans son repère du Loup. Himmler lui avait déjà suggéré de confier à la SS la production des A4, qui sont désormais appelées V2 (deuxième arme de représailles), dans une usine souterraine, qui utiliserait les détenus de ses camps. Au départ, Hitler avait décrété que les armes V ne serait produites que par des travailleurs allemands.
  • Le 24 août 1943 Himmler devient ministre de l’intérieur.
  • Fin août 1943, il est décrété que la production en série du missile V2 se fera exclusivement dans une usine sous-terraine dans le massif du Harz. La partie est presque gagnée pour Himmler.
  • En novembre 1943 une partie des vols d’essais du V2 est relocalisée à Blizna en Pologne, dans un centre d’essai et de formation SS créé le 26 juin 1940. (SS Truppenübungsplatz Heidelager – Zone d’entraînement militaire SS Heidelager) à 23 km de la ville de Dębica. Le premier des 204 lancements de V2 à Blizna a lieu le 5 novembre 1943. Le site, qui forme également les batteries de lancement du missile, reste opérationnel jusqu’en juillet 1944 lorsqu’il est évacué en raison de l’approche de l’armée rouge, qui arrive sur les lieux le 6 août 1944. Le dernier lancement de Blizna a lieu le 30 juin 1944. Les essais se feront désormais dans la forêt de Tuchola, sous le nom de code « Heidekraut » en Posnanie-Prusse occidentale. Environ 224 lancements y auront lieu entre le 10 septembre 1944 et le 11 janvier 1945, le site est à son tour évacué en raison de la progression de l’armée rouge. Les installations sont évacuées dans une forêt au sud de Wolgast, puis le long de la rivière Weser (Visurge) près de la ville de Rethen, au sud-est de la ville de Hanovre. Quant à Peenemünde, les lancements d’essais y ont perduré jusqu‘au 20 février 1945.
  • En février 1944 Himmler convoque Wernher von Braun pour lui « proposer » de continuer ses travaux sous les auspices de la SS et de « s’affranchir de la lourde bureaucratie de l’armée de terre », selon ses propres termes. Von Braun refuse poliment. Pourtant, depuis le 28 juin 1943, von Braun a le grade honoraire de Commandant dans la Allgemeine SS… Après cette entrevue au cours de laquelle il affiche son indéfectible fidélité à Walter Dornberger et à l’armée de terre, tout va changer pour lui. Himmler ne lui pardonnera jamais cet affront, c’est ainsi qu’il ne sera jamais promu Lieutenant-Colonel (Obersturmbannführer). Rappelons que les grades dans la Allgemeine SS sont purement honorifiques, politiques. Von Braun n’avait aucune fonction spécifique dans cette organisation. Son adhésion débute officiellement le 1er mai 1940 comme Sous-Lieutenant (SS-Untersturmführer), il est automatiquement promu Lieutenant (SS-Obersturmführer) le 9 novembre 1941, Capitaine (SS-Hauptsturmführer) le 9 novembre 1942. Proposer des grades honoraires dans la Allgemeine SS à des personnalité du régime, est une méthode courante utilisée par Himmler pour infiltrer les différents ministères, administrations, grosses entreprises, instituts de recherche, universités, etc.
  • Dans la nuit du 21 au 22 mars 1944, la veille de son trente-deuxième anniversaire, von Braun est arrêté par trois hommes de la Gestapo dans sa chambre à l’Inselhof, dans la petite station balnéaire de Zempin. (Klaus Riedel, Helmut Grottrüp, Magnus von Braun et Hannes Lührsen seront également arrêtés). Von Braun restera en prison deux semaines, sans contact avec les autres, accusé de vouloir saboter le programme A4. Il s’agit de la seconde tentative des SS, après celle de Zanssen, d’intimider de hauts responsables du programme A4. Il sera libéré à titre provisoire pour une durée de trois mois grâce à l’intervention de Walter Dornberger, Johannes « Hans » Georg Klamroth (commandant de réserve des services de renseignements de l’armée de terre) et surtout d’Albert Speer.
  • En août 1944, Himmler devient responsable de l’équipement militaire de l’armée de terre et commandant de l’armée de réserve (Chef der Heeresrüstung und Befehlshaber des Ersatzheeres) en remplacement du général Friedrich Fromm démis de ses fonctions, dégradé et expulsé de l’armée, fusillé en tant que civil le 12 mars 1945. Il paye de sa vie son comportement ambigu dans le complot du 20 juillet 1944 (Opération Walkyrie), la dernière des quelque 20 tentatives concrètes d’assassiner Hitler entre 1933 et 1944 sur une quarantaine de projets avérés. Cette nomination place Himmler à la tête des 2 millions d’hommes de cette armée de réserve, responsable de l’armement de la Wehrmacht et de la gestion des prisonniers de guerre. Le pouvoir du Reichsführer SS atteint son apogée.
  • Le 6 août 1944 Himmler nomme Hans Kammler (SS-Gruppenführer und Generalleutnant der Waffen-SS depuis le 30 mars 1944), qui a obtenu un doctorat en génie civil en 1929, responsable de la production et de l’utilisation de la A4, il devient le Représentant Spécial du Reichsführer SS pour le programme A4 (Sonderbeauftragten des Reichsführers SS für das A 4-Programm). Dès lors la SS met définitivement la main sur le programme A4, Himmler a gagné la partie. Walter Dornberger, le chef historique du programme A4 est écarté, il travaille désormais sous les ordres de Kammler. Ce faisant, ce dernier se voit également confier la responsabilité du déploiement militaire du V2. A la tête de la division SS z.V. (zur Vergeltung – en représailles), il dispose de plusieurs batteries de lancement et d’un effectif d’environ 11 000 hommes au début de 1945. Depuis juin 1941 Kammler était responsable du département C, celui de la construction et des travaux (Chef der Amtsgruppe C im WVHA) au sein de l’office central SS pour l’économie et l’administration (SS-Wirtschafts-Verwaltungshauptamt ), ce qui inclue les camps d’extermination. Son efficacité, son zèle avaient fait forte impression… Kammler avait également prévu à l’été 1944 de relocaliser la partie développement de Peenemünde dans des mines près de Ebensee dans la région du Salzkammergut en Autriche, (sous le nom de code « Kalk » puis « Zement »). Finalement cela ne se fera pas et le site abritera une raffinerie de pétrole synthétique (Installation A) et des machines-outils pour pièces de chars (Installation B).
  • Le dernier coup bas d’Himmler vis à vis de von Braun a lieu le 28 septembre 1944 lorsque ce dernier suggère à Albert Speer de décerner à Walter Dornberger et deux de ses ingénieurs, Walter Riedel et Heinz Kunze, la Croix de Chevalier de la Croix du Mérite de Guerre avec Glaives (Ritterkreuz des Kriegsverdienstkreuzes mit Schwertern). Il ignore totalement von Braun, le directeur technique du centre de recherche de Peenemünde, loyal bras droit de Walter Dornberger depuis le tout début. Albert Speer trouve l’attitude d’Himmler totalement ridicule. Sur la liste que Speer proposera à Hitler figureront Wernher von Braun et Walter Thiel (à titre posthume). Hitler finit par entériner cette décision après des pourparlers dans les coulisses des ministères concernés. Une décoration attribuée 243 fois entre 1939, date de sa création par Adolf Hitler, et 1945 (et seulement à six reprises à titre posthume). C’est ainsi que le 29 octobre 1944, Walter Dornberger, Wernher von Braun, Walter Thiel (à titre posthume), se voient attribuer cette décoration. Elle leur sera physiquement remise le 9 décembre 1944, à l’occasion d’une cérémonie et d’un dîner organisés dans le magnifique Château de Varlar près de la ville de Coesfeld (en Rhénanie-du-Nord – Westphalie) présidée par Albert Speer ministre de l’Armement et de la Production de guerre. (De même qu’à Gerhard Dekenkolb qui dirige le Comité Spécial A4 (Sonderausschusses A4) et Karl-Otto Saur, le bras droit de Speer.)

[Heinz Kunze ne recevra la distinction que le 20 avril 1945, quant à Riedel, les sources sont contradictoires, Walter H. J. Riedel aurait reçu la Ritterkreuz des Kriegsverdienstkreuzes le 10 février 1944 et la Ritterkreuz des Kriegsverdienstkreuzes mit Schwertern le 1er septembre 1944, ce qui est impossible. Il s’agit certainement d’une confusion entre Walter Hermann Julius « papa » Riedel (5 décembre 1902 – 15 mai 1968) et Walther Johannes Riedel (23 janvier 1903 – 16 novembre 1974). Le premier a dirigé le bureau d’étude de Peenemünde, le second a remplacé Walter Thiel comme responsable du développement des moteurs fusées.]

(*) Dès le printemps 1933 Himmler intègre des organisations entières à la SS, c’est ainsi qu’il annexe les sociétés hippiques, ce qui lui ouvre toutes grandes les portes de la bonne société.  Annexion qu’il paye au prix fort puisqu’il s’engage à prendre en charge au sein de la SS tous les adhérents de ces sociétés sans distinction d’opinions. Lorsque le 1er novembre 1933 Wernher von Braun souhaite s’inscrire dans une école d’équitation, il n’a pas le choix, ce sera obligatoirement une école SS, la Reitersturm I à Berlin Halensee en l’occurence. Il y prendra des cours deux fois par semaine. Il a le numéro d’adhérent 185 068, qui lui sera réattribué 7 ans plus tard ! (La bureaucratie SS était décidément très efficace.)

Accuser Wernher von Braun d’avoir sciemment choisi la SS, à l’âge de 21 ans, pour prendre des cours d’équitation, est aussi infondé que d’accuser un jeune allemand, après le 25 mars 1939, d’avoir fait partie des Jeunesses hitlériennes ! D’autant plus que l’organisation SS, en 1933, n’est pas encore, et de loin, ce qu’elle deviendra quelques années plus tard ! Il faut bien se rendre compte qu’en 1933 le terme SS ne « résonne » pas dans les esprits comme il le fera quelques années plus tard !

Hermann Oberth alias Fritz Hann travaille à Peenemünde

Lorsqu’en 1941 Hermann Oberth (25 juin 1894 – 28 décembre 1989), considéré comme l’un des pères de l’astronautique moderne, obtient la nationalité allemande, Wernher von Braun (23 mars 1912 – 16 juin 1977) peut enfin le faire venir à Peenemünde. C’est ainsi qu’en juillet 1941, Oberth, qui avait 47 ans, vient travailler dans le centre de recherche ultra secret de l’armée de terre sous le pseudonyme de Fritz Hann. Il s’agit bien évidemment de ne pas éveiller les soupçons sur le véritable but des recherches entreprises à Peenemünde.

Lorsqu’en 1943, le grand physicien danois Niels Bohr se rend à Los Alamos, c’est sous le nom de Nicholas Baker.

Dire qu’en 1927, Wernher von Braun qui n’avait que 15 ans, avait envoyé une lettre à Hermann Oberth : «  Ich weiß, dass Sie an die Zukunft der Rakete glauben. Das tue ich auch, und daher erlaube ich mir, Ihnen als Anlage eine kleine Untersuchung vorzulegen, die ich gemacht habe … » (Je sais que vous croyez en l’avenir de la fusée. Moi également, je me permets donc de vous soumettre, ci-joint, une petite étude que j’ai faite… ». Oberth lui répondra : « Machen Sie nur weiter so, junger Mann ! Wenn Sie das Interesse beibehalten, kann aus Ihnen etwas werden. » (« Continuez ainsi, jeune homme ! Si vous gardez cet intérêt, vous pourrez devenir quelqu’un. »)

Dans la cour du “Chemisch-Technischen Reichsanstalt” à Berlin, avec la fusée UfA (« Frau Im Mond »). De g. à d. : Rudolf Nebel, Dr. Franz Hermann Ritter, Hans Beermüller, Kurt Heinisch, inconnu, Hermann Oberth, Helmut Zoike, Klaus Riedel (avec la Mirak), Wernher von Braun, inconnu. La photo a été prise par Rolf Engel. 1930.

Dans le cadre de la VfR (Verein für Raumschiffahrt), von Braun (18 ans) avait été l’assistant d’Oberth à la « Raketenflugplatz » à Reinickendorf dans la banlieue de Berlin, qui a ouvert ses portes le 27 septembre 1930.

En 1941 les choses ont bien changé.

A Peenemünde Oberth travaillera notamment au service des brevets, ainsi qu’au département « aérobalistique et dynamique de vol » qui fait partie de la division BSM (Bordausrüstung, Steuerung und Messtechnik – Guidage contrôle et télémétrie). Il travaille sous les ordres du Dr Hermann Steuding, qu’il décrit comme « obstiné et très bête » qui lui même travaille sous les ordres du Dr Karl Brützel, qui lui même a pour responsable le Dr Ernst Steinhoff, le directeur de la division BSM, qui rend compte directement au Dr Wernher von Braun.

Oberth se trouve à Peenemünde lors du premier bombardement de la base, dans la nuit du 17/18 août 1943 (Opération Hydre de Lerne).

Il recevra la croix du Mérite de guerre de première classe avec glaives (Kriegsverdienstkreuz I Klasse mit Schwertern) pour son comportement exemplaire après le raid*.

Oberth critique quelque peu le programme A4 qui selon lui, compte tenu des coûts de production énormes ne pourra jamais obtenir l’effet militaire souhaité. Il critique également le projet Wasserfall (missile sol-air). En temps de guerre il leur préfère des missiles utilisant des propulseurs à propergol solide, exactement comme Willy Ley.

C’est ainsi que fin 1943, il est envoyé à la Westfälisch-Anhaltische Sprengstoff-Actien-Gesellschaft (WASAG) plus précisément à l’usine d’explosifs (Sprengstoffwerk**) de Reinsdorf près de Wittenberg, pour travailler sur un missile sol-air à propulsion solide télécommandé, il y restera jusqu’à la fin de la guerre… Le projet n’aboutira pas.

* Cette distinction comportait jusqu’en 1944, quatre classes dont trois possédaient deux catégories ; avec ou sans glaives – Oberth a eu la 5è distinction la plus élevée sur 7 dans la hiérarchie de cette décoration. La croix du mérite de guerre de première classe (avec et sans glaives) a été attribuée 140 000 fois.

** Le 13 juin 1935 une gigantesque explosion de plus de 27 tonnes de nitroglycérine avait causé la mort de plus de 100 personnes, gravement blessé une autre centaine de personnes, et légèrement blessé 300 personnes. L’onde de choc a été ressentie dans la ville de Wittenberg à huit kilomètres de là avec de nombreuses vitres et vitrines détruites. Le 18 juin auront lieu des funérailles nationales en présence d’Hitler, Göring et Goebbels.