Joseph Walker l’astronaute oublié

X-15 espace

Pour commencer il est nécessaire de répondre à deux questions « simples », qui permettent de définir les conditions à remplir pour qualifier un vol de  « spatial »  :

  • Quelle altitude doit-on atteindre pour être dans l’espace ?
  • Quel type d’engin doit-on utiliser ?  En d’autres termes, à quels critères un véhicule spatial doit-il satisfaire ?

L’US Air Force considère que l’espace commence à 50 miles (80 km), ce qui correspond à la limite supérieure de souveraineté d’un état. A cette altitude on a déjà franchi 99% de la couche atmosphérique.

La Fédération Astronautique Internationale et la NASA quant à elles, fixent la frontière de l’espace à 62 miles (100 km), l’altitude à laquelle l’atmosphère devient trop ténue pour assurer la portance d’un aéronef ; la ligne de Kármán.

Qu’est-ce qu’un vaisseau spatial ? La FAI est formelle : « C’est un véhicule capable d’évoluer au-delà de l’altitude de 100 km. »

Une définition qui amène une autre question : que signifie exactement  évoluer ?

D’après le dictionnaire : « Changer progressivement de position ou de nature… Faire mouvement, manœuvrer… Changer de cap… L’organe de propulsion peut être mis à contribution pour faire évoluer le navire… Se déplacer par une succession de mouvements variés. »

Cette définition à des implications importantes puisque dès lors, les capsules Mercury, Vostok,  Voskhod ou l’avion fusée X-15 ne sont pas des vaisseaux spatiaux.

L’Histoire doit être réécrite, et c’est à Virgil Grissom et John Young qu’échoit l’honneur d’être les deux premiers astronautes, car Gemini est le premier véhicule spatial capable de modifier les paramètres de sa trajectoire, son orbite !

Si évoluer signifie simplement suivre une trajectoire donnée, balistique ou orbitale, sans pouvoir la modifier alors Mercury, Vostok, Voskhod, mais également le X-15, sont des vaisseaux spatiaux !

Quod erat demonstrandum !

X15 Espace2

Les vols spatiaux de Gagarine, Shepard, Grissom, Titov, Glenn etc, ont été homologués comme tels par la FAI, mais pas ceux de Joseph Walker (1921-1966) car cette dernière ne considérait pas le X-15 comme un véhicule spatial, ce qui est en totale contradiction avec sa définition d’un vaisseau spatial !

Joseph Walker avait pourtant atteint l’altitude de 106 km le 19 juillet 1963, et 107,9 km le 22 août de la même année. (Selon les critères de l’US Air Force il fit même trois vols spatiaux, puisqu’ il atteignit l’altitude de 82,8 km le 17 janvier 1963.)

Rappelons qu’entre juillet 1962 et août 1968, le X-15 atteignit treize fois l’espace, selon les critères de l’US Air Force, et deux fois selon les critères de la FAI. Les 5 pilotes USAF reçurent leurs ailes d’astronautes par l’armée, mais pas les 3 pilotes NASA !

Ainsi Joseph Walker n’a jamais été considéré officiellement comme un astronaute et n’a pas reçu ses ailes d’astronautes de la NASA, alors même qu’il avait volé à deux reprises au-delà des 100 km avec un engin ayant les même caractéristiques « de manœuvrabilité » dans l’espace que Mercury ou Vostok…

Du moins pas de son vivant, car coup de théâtre, le 23 août 2005, la NASA, mettant fin à une très longue controverse, reconsidéra sa « politique » et conféra officiellement à Joseph Walker ses ailes d’astronaute, à titre posthume, 42 ans après son record et 39 ans après sa disparition !  Une cérémonie à laquelle ont participé Neil Armstrong et Joseph Engel !

Contre toute attente, William H. « Bill » Dana (1930-2014), le seul à les recevoir de son vivant, et John B. « Jack » McKay (1922-1975), à titre posthume, reçurent également leurs ailes d’astronaute, alors même qu’ils n’ont pas atteint les 100 km que la NASA considère comme la limite de l’espace !!  (Dana a atteint 93,5 km le 1er novembre 1966,  81,5 km le 21 août 1968, et McKay, 90 km le 28 septembre 1965.)

Finalement, une nouvelle injustice pour Walker !

En définitive, Joseph Albert « Joe » Walker est le septième américain et le treizième être humain dans l’espace, avec deux vols suborbitaux à bord du X-15. Il est également le premier Homme à effectuer deux vols spatiaux et le deuxième civil dans l’espace après Valentina Terechkova.

Joe Walker

Joseph Walker, l’astronaute oublié pendant plus de quatre décennies !

X-15 Walker

Anecdotes dans l’anecdote :

 – Au cours d’un dîner au restaurant les amis de « Joe » Walker lui remirent cérémonieusement ses ailes d’astronaute… en carton !

– Joseph Walker fut le premier pilote d’essai du LLRV (Lunar Landing Research Vehicle), il effectua 35 vols sur cet appareil simulant l’étage de descente du Module Lunaire.

Neil Armstrong et le X-15

Si on vous demande le point commun entre les 12 pilotes du X-15, et les 12 astronautes ayant marché sur la Lune, il faut répondre : Neil Armstrong.

Outstanding Artwork by Tim Gagnon

Il est en effet le septième pilote du X-15, et le premier marcheur lunaire.

Un autre pilote du X-15, Joseph Engel, a bien failli, lui aussi, marcher sur la Lune lors de la mission Apollo 17, mais il est remplacé au dernier moment par le géologue Harrison Schmitt.

Entre le 30 novembre 1960 et le 26 juillet 1962, Neil Armstrong a effectué sept vols à bord du X-15, sur un total de 199.

Armstrong Vols X-15
Les 7 vols de Neil Armstrong (cliquer sur le tableau pour agrandir)

Ses records personnels :  Mach 5,74 – 6 420 km/h (le 6ème vol le plus rapide du programme X-15) – 63 246 mètres d’altitude.

Neil Armstrong a volé sur le premier X-15 équipé du Q-ball ou nose ball (un senseur d’attitude), et effectua l’évaluation du MH-96 (Minneapolis-Honeywell).

Le MH-96 es un système de commandes de vol adaptatif, qui comme son nom l’indique, s’adapte automatiquement aux conditions de vol de l’avion, en sélectionnant la meilleure combinaison, entre gouvernes aérodynamiques, et fusées de stabilisation.

L’outil idéal, et indispensable, pour aborder les vols à très haute altitude, aux portes de l’espace.

Rappelons que :

– Le record de vitesse du X-15 est détenu par Pete Knight avec 4 520 mi/h, soit  7 273, 5 km/h,  le  3 octobre 1967 (188 -ème vol)

– Le record d’altitude,  354 200 pieds, soit 107 960 m,  par Joseph Walker le 22 aout 1963  (91 -ème vol).

Neil Armstrong quitte le programme X-15, lorsqu’en septembre 1962, il est sélectionné dans le deuxième groupe d’astronautes de la NASA.

Neil_Armstrong X-15 1960
Neil Armstrong à côté du X-15 qu’il vient de piloter, la main sur le Q-ball (circa 1960)
Neil Armstrong Deputy associate admin
Dans son bureau d’Administrateur Associé Adjoint pour les questions aérospatiales à la NASA (circa 1970)
armstrong université cincinnati
Neil Armstrong, professeur de génie aérospatial à l’Université de Cincinnati (1979) -Photo/Peggy Palange, UC Public Information Office

Sur ses différents bureaux, pas de maquette du Module Lunaire, mais du X-15 !

Neil Armstrong écrit son autoportrait

Lors d’un discours sur les technologies qui ont modifié le XXème siècle, donné le 22 février 2000 devant l’America’s National Press Club, Neil Armstrong a gratifié ses auditeurs de cet autoportrait si original, si humoristique, tellement fort à propos :

« … Je suis et serai toujours, un ingénieur passionné par les sciences, portant des chaussettes blanches, et un protège poche de chemise pour stylos. Né de la deuxième loi de la thermodynamique, baigné par les tables de la vapeur d’eau, amoureux des diagrammes de forces, transformé par Laplace, et mû par la dynamique des fluides… »