Hugh Dryden : ses déclarations lui coûtent le poste d’administrateur de la NASA

C’est le directeur du N.A.C.A. depuis 1947, Hugh Dryden (1898-1965) qui est un temps pressenti pour diriger la nouvelle NASA.

En effet, le N.A.C.A. (National Advisory Committee for Aeronautics pour Comité consultatif national pour l’aéronautique), qui existe depuis le 3 mars 1915, est une agence fédérale comptant quelque 7 500 employés. Avec des centres disséminés dans plusieurs états à travers le pays, il doit constituer le noyau d’une nouvelle agence créée le 29 juillet 1958.

Cette nouvelle entité, la NASA (National Aeronautics and Space Administration) sera désormais responsable de l’exploration civile de l’espace*.

Hugh Dryden devait donc être le premier administrateur de la NASA, du moins jusqu’à ce qu’il donne son avis, devant la Commission de la chambre des représentants pour l’astronautique et l’exploration de l’espace (House Select Committee on Astronautics and Space Exploration), sur un projet, une idée de Wernher von Braun.

Ce dernier, jamais à court d’idées, avait suggéré d’envoyer un Homme dans l’espace, avant la fin de l’année 1959, lors d’un vol suborbital qui aurait atteint 240 km d’apogée. C’est le Project Adam ou Man Very High, pour un coût estimé à 12 millions de dollars (105 millions en dollars 2019).

Hugh Dryden durement critiqué le projet en disant : « Envoyer un Homme dans l’espace, via une trajectoire suborbitale, a sensiblement le même intérêt technique, que les cascades effectuées dans les cirques, consistant à propulser une jeune femme en l’air avec un canon. »

Au grand désarroi de ceux qui voulaient rapidement vaincre les soviétiques dans l’espace, Hugh Dryden déclara également : « nos futurs programmes spatiaux, n’ont pas l’envergure, qui nous permettraient de battre les soviétiques immédiatement ou à court terme. »

Finalement après le refus du général James « Jimmy » Doolitle (1896-1993) de l’US Air Force, qui avait fait partie du comité de direction du N.A.C.A., le président Eisenhower nomme Thomas Keith Glennan (1905-1995) comme premier administrateur de la NASA, ce dernier accepte à la condition que Dryden soit son adjoint.

Lorsqu’en 1961 l’administration Kennedy recherche le successeur de Glennan à la tête de la NASA, James Webb (1906-1992) qui est la dix-huitième personne pressentie pour le poste (dix-sept ont refusé), accepte, non sans réticences. Webb consent, mais lui aussi à la condition que Dryden reste administrateur adjoint !

L’intégrité et le franc-parler de Hugh Dryden étaient incompatibles avec une fonction principalement politique… Mais quel scientifique, quel ingénieur, quel organisateur !

Il est tout de même ironique de constater qu’au final, le programme Mercury, validé notamment par Dryden, intégrera deux vols spatiaux habités suborbitaux (quatre étaient prévus à l’origine). Le premier sera effectué le 5 mai 1961, 23 jours après le vol orbital de Youri Gagarine.

Si l’on avait suivi von Braun, les américains auraient pu lancer un Homme dans l’espace quelque 16 mois avant les soviétiques… Mais dès lors, toute l’histoire de la conquête spatiale eut pris un tour, bien différent.  

Il se trouve qu’en 1961, le Dr Hugh Latimer Dryden s’opposera à la nomination de Wernher von Braun à la tête du bureau des vols spatiaux habités de la NASA. Il menacera de démissionner.

*. Dès 1954 le N.A.C.A. consacre 10% de son budget annuel à la recherche spatiale. Deux ans plus tard c’est 25% des activités de recherche qui sont dévolus à l’espace. . Six mois avant la création de la NASA ce sont 50% des ressources du N.A.C.A. qui sont consacrées au vol au-delà de l’atmosphère !
[Budgets annuels – 1954 : 62,4 millions (590 millions en dollars 2019) ;1955 : 55,9 millions (530 millions en dollars 2019) ; 1956 : 72,7 millions (679 millions en dollars 2019); 1957 : 76,7 millions (693 millions en dollars 2019) ; 1958 : 117,3 millions (1,031 milliards en dollars 2019)]

Depuis sa création en 1958, la NASA consacre en moyenne 6,26% de son budget à l’aéronautique (Recherche et développement + infrastructures). Le budget global moyen annuel de la NASA étant de 18,7 milliards de dollars (en monnaie constante).

Les balafres de Kurt Debus

Le Dr Kurt Debus (29 novembre 1908 – 10 octobre 1983) est l’un des membres les plus éminents de la fabuleuse Rocket Team de Wernher von Braun ( 23 mars 1912 – 16 juin 1977).

Portrait du Dr Kurt Heinrich Debus du côté de son meilleur profil. Crédit Photo : NASA (27 mars 1970, il avait 62 ans).

Kurt Debus poursuit ses études supérieures à l’université de Technologie de Darmstadt (de décembre 1929 à 1939), dès 1935 il est l’assistant du professeur Ernst Hueter (1896-1954). En 1939 il obtient un doctorat en génie électrotechnique avec une thèse sur les surtensions. Il devient ensuite maître de conférence.

Peu après le début de la seconde guerre mondiale, c’est à l’Université de Technologie de Darmstadt que Wernher von Braun rencontre Kurt Debus. En effet, dès 1939, un groupe de travail dans le cadre du « Projet Peenemünde » (Vorhaben Peenemünde) y est créé. Il s’agit pour le bureau des armements de l’armée de terre (Heereswaffenamt) de faire participer des universités au développement de la fusée A4.

L’Université de Technologie de Darmstadt est le partenaire le plus important avec 92 collaborateurs, principalement dans la recherche sur les moteurs, le développement de dispositifs de commande radio et de contrôle, le calcul de trajectoires. L’Institut de chimie inorganique et physique (Institut für Anorganische und Physikalische Chemie) dirigé par Carl Wilhelm Wagner (1901-1977), et l’Institut des mathématiques appliquées (Institut für Praktische Mathematik – IPM) d’ Alwin Walther (1898-1967) sont particulièrement impliqués.

Mais également des professeurs de mécanique, physique appliquée, haute tension, techniques de mesure, électrotechnique. Parmi 238 personnels académique travaillant pour le centre de recherche de Peenemünde, au sein des grandes universités allemandes, outre les 92 chercheurs de l’Université de Technologie de Darmstadt, il y a 45 scientifiques de l’Université Technique de Dresde, et 45 de l’Institut Technique de Berlin qui comprend également des chercheurs de l’Institut de recherche sur les oscillations (Instituts für Schwingungsforschung) ; les trois contingents les plus importants.

Wernher von Braun demande plusieurs fois à Kurt Debus de rejoindre son équipe à Peenemünde, mais chaque fois il décline la proposition. Finalement en 1943, il est sommé par les autorités militaires de choisir, servir en tant que civil à Peenemünde, ou comme soldat sur le front de l’Est… L’université ne compte plus alors que 410 étudiants.

Kurt Debus arrive à Peenemünde en août 1943, il travaille dans le laboratoire de Ernst Steinhoff (1908-1987) qui s’occupe notamment du système de guidage de la A4, Steinhoff qui a également obtenu son doctorat (en physique appliquée) à l’Université de Technologie de Darmstadt, (en 1940, avec une thèse sur l’avionique.), ils faisaient partie de la même fraternité…

A ce moment-là le prototype de la A4 est réalisé, il « ne reste plus qu’à » en faire un missile facilement déployable sur le front, et que l’on puisse rapidement produire en série. Toutes ces modifications nécessitent beaucoup d’essais, et Debus devient responsable des bancs d’essais, dont le célèbre Prüfstand VII, il est également impliqué dans la formation des soldats chargés de mettre en œuvre cette nouvelle arme, que Goebbels a surnommé V2, pour Vergeltungswaffe 2, arme de représailles n°2. (La première étant le missile de croisière Fieseler 103 utilisé par la Luftwaffe.)

Aux Etats-Unis sa contribution fut également déterminante, par exemple les installations du Centre Spatial Kennedy, dont il fut le premier directeur, conçues pour la fusée Saturn V, furent principalement imaginées par Wernher von Braun et Kurt Debus.

Kurt Debus avait trois balafres, une petite sur le bas de menton (1), une petite sur la joue (2), et une beaucoup plus longue qui part du milieu du menton et se prolonge sur le bas de la joue (3).

C’est en 1930 que l’étudiant Kurt Debus rejoint la fraternité (Burschenschaft) Markomannia fondée en 1894, l’une des vingt-trois sociétés d’étudiants qui existaient alors à Darmstadt. La faculté comptait alors 2 822 étudiants inscrits (Wintersemester 1930/31).

Kurt Debus à 22 ou 23 ans, le visage sans schmisse avec l’uniforme de sa fraternité Burschenschaft Markomannia Darmstadt. (Circa 1930)

Kurt Debus y pratique notamment la Mensur (du latin mensura : mesure, mesurage – cf l’expression ad mensuram submittere : se mettre à portée de ; se mesurer à), une forme d’escrime d’origine germanique qui date du XVIe siècle, pratiquée principalement au sein des sociétés d’étudiants issus de la classe dominante. Une sorte de rite de passage de la jeunesse, où la force de l’escrimeur (Paukant) se détermine plus par sa résilience à la douleur, que son adresse à proprement parler.

La Mensur est donc avant tout un exercice de courage, régit par des règles très strictes, toujours en présence de deux médecins (Paukarzt).

Les bretteurs, obligatoirement de fraternités différentes utilisent une épée aux lames tranchantes (Korbschläger ou Glockenschläger), et doivent, face à face, à une distance fixe et définie (d’ou également le terme Mensur), porter les coups en restant statiques, les pieds ne doivent pas bouger (se déplacer serait un déshonneur), une main dans le dos.

Le combat se termine à la première goutte de sang versé.  Tout le corps est protégé, jusqu’au cou, et pour éviter les blessures aux yeux et au nez, les escrimeurs portent des lunettes en fer (Paukbrille) et une protection nasale.

Seuls, le haut de la tête, le front, les joues, les lèvres, le menton sont exposés.

En 1566, à l’âge de 20 ans, le célèbre astronome danois Tycho Brahe (1546-1601) perd son nez face à l’épée de son cousin Manderup Parsberg qui avait vingt ans également. Il devra porter une prothèse toute sa vie. Les circonstances exactes de ce duel n’ont jamais été clairement établies, il ne s’agit peut-être pas d’une Mensur, même si à cette époque les deux cousins étudiaient en Allemagne, à l’université de Rostock.

Le combattant blessé est le cas échéant immédiatement recousu par le médecin présent, à vif, sans anesthésie, avec le moins de points de suture possible, car cette scarification faciale permet d’afficher ostensiblement son courage physique.  

En effet, ce type de cicatrice, schmiss, obtenu lors d’une Mensur est une fierté, le résultat d’un acte de bravoure. Des étudiants qui ne la pratiquaient pas se tailladaient avec des lames de rasoir. Il s’agit d’un des premiers cas de scarification dans les sociétés européennes, à la signification sociale très importante, qui a fait l’objet de très intéressantes études sociologiques et anthropologiques.

En 1933, avec l’arrivée au pouvoir des nazis, la Mensur est interdite, et les fraternités deviennent des Nationalsozialistischen Kameradschaften sous la houlette du parti.

Kurt Debus était très fier de ses schmisse, mais pour le profane, encore faut-il en connaître l’origine et la signification.

La place de Willy Ley dans l’astroculture

Willy Ley (1906-1969) l’un des plus grands prosélytes de la conquête de l’espace, est brutalement décédé d’une crise cardiaque le 24 juin 1969 à son domicile new-yorkais, vingt-six jours avant le premier atterrissage humain sur la Lune. Pour sa famille et ses amis, les célébrations liées à la mission Apollo 11 furent en demi-teinte.

Les hommages furent unanimes, et éminemment justifiés…

Wernher von Braun (1912-1977) a déclaré : « Au cours des trente dernières années il a fait plus, que n’importe qui, pour délivrer au public le message spatial, plus particulièrement à la jeune génération. On lui doit tout le mérite pour avoir fait naître la conscience de l’espace aux Etats-Unis, qui est la base fondatrice indispensable du programme spatial américain. »

Isaac Asimov (1920-1992) : « La situation est à la fois tragique et ironique, Willy a passé presque toute son existence dans le domaine des fusées. Il était le plus grand vulgarisateur au monde dans ce domaine, depuis son adolescence il avait le désir irrépressible de voir des êtres humains sur la Lune, et il est mort quatre semaines avant la première tentative … »

Olga Ley (1912-2001) son épouse confirma : « Le premier atterrissage sur la Lune était la consécration ultime de tous ses rêves. »

Walter Seager Sullivan (1918-1996) le « doyen » des journalistes scientifiques écrivit : « Willy Ley qui a contribué à ce que nous entrions dans l’ère des fusées, et qui fut le principal vulgarisateur de cette discipline, est décédé hier… Monsieur Ley a vécu, à juste un mois près, de la réalisation de sa prophétie… »

Fritz Lang (1890-1976) a déclaré :  « Willy a permis au rêve de devenir réalité. L’atterrissage sur la Lune est l’aboutissement de ses rêves, pour lui comme pour moi ce jour est le symbole de l’espoir, l’espoir que d’autres rêves nés dans l’esprit d’autres Hommes, de bons rêves pour un futur meilleur, deviendront peut-être réalité. »

Chesley Bonestell (1888-1986), déclara : « Willy Ley nous a quittés. Il a probablement, plus que quiconque, œuvré pour inculquer au public la conscience de l’espace et aider l’Homme à atteindre la Lune…”

Philip. E. Cleator (1908-1994) écrivit : “… D’une manière ou d’une autre, Ley faisait tellement partie de la scène astronautique, qu’il sera difficile de l’appréhender sans lui… Son nom continuera à vivre comme l’un des pionniers de cette fantastique entreprise qu’est le voyage vers une autre planète. »

Arthur Valentine Cleaver (1917-1977) prévoit des conséquences sur l’ère post-Apollo et la NASA, dont Willy Ley était consultant : “Avec la disparition de Willy Ley, l’humanité a perdu l’un de ses plus grands prosélytes en matière d’astronautique, à une époque où les besoins d’une meilleure compréhension des objectifs et des potentialités du voyage spatial s’avèrent cruciaux. »

Lester del Rey (Leonard Knapp) (1915-1993) : « Il était plus qu’un prophète sans honneur. Il ne subissait pas les événements il les influençait. C’est de loin grâce au travail de Willy, que l’antipathie du public envers les fusées, jusque là utilisées comme des armes de terreur, s’est transformée et a abouti au rêve du voyage spatial. Plus que n’importe qui, Ley fut un visionnaire qui a influencé l’opinion publique. Il a réussi grâce à ses articles à convertir des gens qui eux-mêmes ont pu convaincre une majorité de personnes que le programme spatial avait suffisamment de potentiel pour qu’on lui consacre beaucoup d’argent. Petit à petit il a su persuader les gens de tourner leurs yeux vers les vastes étendues de l’espace. Cela lui a pris 40 ans, et il a raté son rendez-vous de voir l’Homme sur la Lune, d’un mois… »

Un cratère sur la face cachée de la Lune a été baptisé en son honneur !