Le Top 100 des stars de l’aérospatial

Pour le centième anniversaire du premier vol piloté et motorisé de l’Histoire, par les frères Wright, le magazine Aviation Week & Space Technology a imaginé soumettre au vote une liste de 762 noms, compilée par des historiens spécialistes de l’aviation et de l’espace, l’institut américain d’aéronautique et d’astronautique, ainsi que le conseil international des sciences aéronautiques, qui englobe 32 sociétés aérospatiales dans le monde, pour élire le Top 100 des stars du monde aérospatial.

Une biographie succincte accompagne chacun des 762 noms qui sont répartis dans 15 catégories. Le vote réservé exclusivement aux professionnels du monde entier s’est déroulé du 1er février au 30 mars 2003. Le logiciel spécifique pour cette opération a été conçu par IBM et hébergé sur leurs serveurs. Plus d’un million de votes ont été comptabilisés, en provenance de 180 pays.

Le 18 juin 2003,  dans le cadre du Salon du Bourget, Aviation Week a organisé une cérémonie en la Salle Wagram à Paris, afin d’honorer ce Top 100 du secteur aérospatial.

Voici tout d’abord la liste des trois premiers de chacune des 15 catégories :

Les trois premiers de chaque catégorie. Entre parenthèses leur classement général.

Cette liste de 45 personnalités comprend quatre français, trois allemands, un russe, un brésilien, un suisse, un britannique, un italien… et 33 américains…

Lorsque l’on sait qu’en 2003 sur les dix plus grandes entreprises aérospatiales du monde on trouve 6 sociétés américaines, dont 5 aux 6 premières places (la quatrième est britannique), et que la première entreprise russe n’est qu’à la 17è place avec un chiffre d’affaire 34 fois inférieur au n°1 mondial, qui est américain, on « comprend » mieux la sous représentation de ce pays dans le sondage (5 sur 100 !). La septième entreprise aérospatiale du monde était alors française ! (Désormais l’Europe est en deuxième position avec Airbus !)

Voici le Top 100 : (en rouge les trois premiers de chaque catégorie)

  1. Wilbur and Orville Wright
  2. Wernher von Braun
  3. Robert Goddard
  4. Leonard de Vinci
  5. Glenn Curtiss
  6. Charles A. Lindbergh
  7. William L. « Billy » Mitchell
  8. Clarence L. « Kelly » Johnson
  9. Neil A. Armstrong
  10. Daniel Bernoulli
  11. Charles E. « Chuck » Yeager
  12. Otto Lilienthal
  13. Buzz Aldrin
  14. William Boeing
  15. Alan B. Shepard, Jr.
  16. Henry H. « Hap » Arnold
  17. Manfred von Richthofen
  18. Samuel P. Langley
  19. Igor I. Sikorsky
  20. Jules Verne (F)
  21. John K. Northrop
  22. Herb Kelleher
  23. Edward V. « Eddie » Rickenbacker
  24. Jacques-Etienne et Joseph-Michel Montgolfier (F)
  25. Ex-aequo Christopher Kraft / Antoine de Saint-Exupéry (F)
  26. Curtis LeMay
  27. Ernst Mach
  28. Juan Trippe
  29. Elbert « Burt » Rutan
  30. Theodore von Karman
  31. Alberto Santos-Dumont
  32. James Van Allen
  33. Alexander Graham Bell
  34. Ben Rich
  35. Alvin M. « Tex » Johnston
  36. Richard Branson
  37. Youri Gagarine
  38. Octave Chanute
  39. James « Jimmy » H. Doolittle
  40. Alexandre Gustave Eiffel (F)
  41. Robert « Bob » Crandall
  42. Equipage de Challenger – 51-L
  43. Louis Blériot (F)
  44. Donald Douglas
  45. Claire L. Chennault
  46. Will Rogers
  47. James A. Lovell, Jr.
  48. Robert « Bob » Hoover
  49. Ex-aequo Thomas H. Kelly / Clément Ader (F)
  50. Hugh Dryden
  51. Pierre-Georges Latécoère (F)
  52. Ex-aequo Marcel Bloch (Dassault) (F) / Roger Béteille (F)
  53. Virgil I. « Gus » Grissom
  54. Ferdinand von Zeppelin
  55. Jacqueline Auriol (F)
  56. Arthur C. Clarke
  57. Isoroku Yamamoto
  58. Daniel and Harry Guggenheim
  59. Anne Morrow Lindbergh
  60. Robert J. Collier
  61. Gregory « Pappy » Boyington
  62. Elmer Sperry
  63. James « Jimmy » Stewart
  64. Douglas « Wrong Way » Corrigan
  65. Konstantin Tsiolkovsky
  66. Ex-aequo Patricia « Patty » Wagstaff / Frank Whittle
  67. Ex-aequo Carl Sagan / Sergey Korolyov
  68. Albert Boyd
  69. René Leduc (F)
  70. John W. Young
  71. Gene Roddenberry
  72. Valentina Tereshkova
  73. Thomas E. Braniff
  74. Walter C. « Walt » Williams
  75. Jean Mermoz (F)
  76. Henri and Maurice Farman (F)
  77. Paul Poberezny
  78. Jean Bertin (F)
  79. Sally K. Ride
  80. Roland Garros (F)
  81. Osborne Reynolds
  82. Amelia Earhart
  83. Georges Guynemer (F)
  84. G. Wells
  85. Jean-Pierre Haigneré (F)
  86. Ex-aequo James S. McDonnell, Jr. / Robert Esnault-Pelterie (F)
  87. Ex-aequo Allan and Malcom Loughhead (Lockheed) / Marcel Bouilloux-Lafont (F)
  88. Richard Bong
  89. John H. Glenn, Jr.
  90. Ex-aequo James E. Webb / Freddie Laker
  91. Lawrence Sperry
  92. Douglas Bader
  93. Howard Hughes
  94. Willy Messerschmitt
  95. Louis Breguet (F)
  96. William A. Moffett
  97. William « Bull » Halsey
  98. George Mueller
  99. Henri Deutsch de la Meurthe (F)
  100. Boris Petrov

Parmis ces cent noms, 20 français (22 si l’on différencie les frères Montgolfier et Farman), le premier est à la vingtième place : Jules Verne. Le premier russe est à la 37è place. Cherchez l’erreur !

Que Wernher von Braun soit arrivé second sur 762 noms, et premier de la catégorie « concepteurs de fusées », n’est que justice, non seulement pour ses travaux, surtout à Peenemünde, fondamentaux pour la conquête de l’espace, mais également pour son prosélytisme. Grâce à ses très nombreuses conférences, ses articles dans Collier’s, les émissions avec Walt Disney, il a réussi à persuader les américains de la faisabilité du vol spatial, qui n’était alors que de la science-fiction…

Que Serguei Koroliov ex-aequo avec Carl Sagan n’arrive qu’à la 67è place est une flagrante injustice !  Même si Koroliov s’est indéniablement servi des travaux de von Braun et son équipe de Peenemünde, y compris de savants allemands déportés en Union-Soviétique après la deuxième guerre mondiale, il aurait dû figurer dans les 10 premiers, compte tenu de son influence sur le programme spatial soviétique.

Konstantin Tsiolkovski est troisième de sa catégorie mais 65è du classement général… Hermann Oberth brille par son absence ! Un autre illustre absent, Willy Ley !  Vladimir Tchelomeï et Valentin Glouchko auraient également dû figurer dans ce Top 100 ! Ainsi que Erich Warsitz…

Beaucoup de surprises dans ces résultats, à l’époque, pour moi en tout cas. Cela dit, je suis plus spatial qu’aéro !

Le classement des 11 astronautes présents dans la liste des 100 « finalistes » :

  1. Neil A. Armstrong
  2. Buzz Aldrin
  3. Alan B. Shepard, Jr.
  4. Youri Gagarine
  5. Equipage de Challenger (Mission 51-L)
  6. James A. Lovell, Jr.
  7. Virgil I. « Gus » Grissom
  8. John W. Young
  9. Valentina Tereshkova
  10. Sally K. Ride
  11. Jean-Pierre Haigneré

Le problème c’est que les astronautes ont été classés à la fois dans « Héros » et dans « Voyageurs de l’espace » !

Que vient donc faire Jean-Pierre Haigneré dans ce classement alors que par exemple Jean-Loup Chrétien est absent ?  Comment furent classés Walter Schirra et Alexei Leonov ?  Gagarine et Tereshkova ne furent en définitive que de simples passagers « facilement » interchangeables, héros certainement, compte tenu des risques encourus, mais ils n’ont jamais piloté leur capsule spatiale…   Si Neil Armstrong mérite amplement la première place au regard de sa carrière militaire, ses vols sur le X-15 etc., l’équipage de Challenger n’est classé qu’en raison de son sacrifice ultime… Dans ce cas, il aurait fallu mentionner également, Vladimir Komarov, Vladislav Volkov, Victor Patsaïev et Gueorgui Dobrovolski, également décédés lors du déroulement d’une mission spatiale (L’accident de la navette Columbia s’est produit le premier février 2003 après le début des votes) !

Et où est donc passé John Glenn ?

Dans ce classement des astronautes, John Young aurait dû arriver en seconde position au regard de sa carrière (six vols spatiaux, dont une mission sur la surface de la Lune et le premier vol de la navette spatiale) …

Peut-être eût-il fallu distinguer l’aéronautique de l’astronautique ?

Voici le prix décerné aux lauréats ou ayants droit :

Frank K. Ellis, un candidat astronaute hors du commun

Parmi les candidatures des astronautes du groupe 5, l’une est particulièrement remarquable, il s’agit de celle du capitaine de corvette (lieutenant-commander) Frank K. Ellis (1933-2016) de l’US Navy. Une candidature qui révèle une extraordinaire résilience…

Sur les 5 000 candidatures reçues par la NASA pour le recrutement de son cinquième groupe d’astronautes en 1966, seulement 351 répondaient aux critères de sélection ; au final 159 furent retenues. 44 candidats subiront l’ensemble des tests et ce sont finalement 19 astronautes qui composeront ce groupe 5.

Le 11 juillet 1962, à 29 ans, Frank K. Ellis est victime d’un effroyable accident aux commandes de son Grumman F-9 Cougar, alors qu’il se prépare à atterrir sur la base aéronavale de Point Mugu en Californie, la commande des gouvernes de profondeur ne répond plus, l’avion pique du nez, il va s’écraser… A 100 mètres d’altitude, il s’apprête à s’éjecter lorsqu’il aperçoit une zone résidentielle faisant partie de la base, et des personnes alentour, sur lesquelles son appareil va s’écraser, il manœuvre aussitôt pour les éviter, ce faisant il perd de précieuses secondes, l’avion continuant à perdre de l’altitude, Frank Ellis ne finit par s’éjecter qu’ à une hauteur d’environ 25 mètres, ce qui est beaucoup trop bas. Son parachute ne s’ouvre pas complètement, heureusement des eucalyptus viennent quelque peu amortir sa chute, ce qui lui sauve la vie, avant de tomber à demi-inconscient sur le sol.

Les secours arrivent très rapidement sur les lieux et constatent que sous la violence du choc sa jambe droite est entièrement sectionnée sous le genou, et que sa jambe gauche est cassée en trois endroits. Lorsque James Rubright de l’équipe de sauvetage saute de l’hélicoptère, il enlève aussitôt sa ceinture pour faire un garrot sur la jambe amputée, un geste qui lui sauve la vie.

Les médecins de l’hôpital St John ont peu d’espoir…

L’héroïque manœuvre pour éviter à son Cougar en perdition de s’écraser sur le lotissement a sauvé de nombreuses vies, mais l’a très gravement mutilé…

Contre toute attente, sa pugnacité et une excellente condition physique par ailleurs, lui permettent de survivre, hélas après trois semaines d’efforts acharnés pour sauver sa jambe gauche, les médecins doivent se résoudre à lui amputer celle-ci également…

Après l’amputation, les douleurs insoutenables, la fièvre, ont disparues et son état psychologique et physique sont en constante progression : « J’étais si reconnaissant d’être toujours en vie, j’aurais dû mourir dans ce crash ! »

En décembre il essaye ses nouvelles prothèses et n’a plus qu’un objectif : revoler avec la Navy. Passer le restant de sa vie à ne rien faire avec une pension d’invalidité, très peu pour lui… Il a perdu ses deux jambes, mais il veut retourner dans le ciel…

Il reçoit la Distinguished Flying Cross pour acte d’héroïsme après deux ans de convalescence.

Frank K. Ellis vient de recevoir sa Distinguished Flying Cross, à gauche son épouse Christine, à droite le vice-amiral Paul Stroop, commandant des forces aériennes navales de la flotte du Pacifique. 

Pour prouver qu’il peut revoler, il s’impose un entrainement sportif draconien, natation,  cyclisme, ski nautique, course d’obstacles etc… Et même un saut en parachute !

Frank K. Ellis se prépare pour une séance de ski-nautique.

A force de persévérance et de détermination les responsables de la Navy, pour le moins réticents, finirent par lui redonner une accréditation de vol temporaire, puis définitive, mais uniquement sur des appareils à double commandes et en présence d’un co-pilote qualifié.

Frank K. Ellis sortant de son McDonnell F3H Demon

Lorsque Frank Ellis entend à la radio que la NASA cherche des pilotes qualifiés ne mesurant pas plus d’1 m 82, il se dit qu’il est le seul pilote à pouvoir faire varier sa taille de 1 m 50 à 1 m 78… « Par ailleurs peut-être que la NASA utilisera une petite capsule, juste assez grande pour le plus petit pilote de la Navy… Je peux laisser mes jambes sur le pas de tir » ironisa-t-il lors d’une interview.

Lorsque la NASA retourna à la Navy les candidatures la concernant pour valider les présélections basées sur leur dossier militaire, le nom d’Ellis figurait sur la liste des 50 pilotes retenus. Après le passage par le chef des opérations navales, son nom n’apparaît plus… Lorsque l’amiral David MacDonald renverra la liste à la NASA accompagnée d’une lettre d’explication, il écrira que Frank Ellis n’est pas techniquement qualifié pour être astronaute, mais du point de vue de la motivation, de la formation, de l’entraînement, et de l’expérience, il était classé cinquième sur la liste.

Déçu et très en colère, il déclara que ne pas avoir de jambes ne diminuait en rien ses qualités de pilote, et que dans l’espace, en impesanteur, les jambes ne servent à rien !

Malgré toutes ses démarches Frank Ellis n’obtiendra jamais, non plus, sa certification solo…Il quitte la Navy le 31 octobre 1968 pour se consacrer à une carrière dans l’immobilier. Il est mort le 27 décembre 2016, laissant sa femme Christine, 4 enfants et 6 petits-enfants…

A ce jour aucun Homme handicapé n’est encore jamais allé dans l’espace !

Frank Ellis à bicyclette…

La famille Ellis circa 1964 : (De g. à d.) Debra Ann, David Alan, Daniel Andrew, Christine « Chris » son épouse, Dana Angela, et Frank. Tous les prénoms de ses enfants commencent par un D et le second par un A !

Frank K. Ellis a écrit un livre intitulé : « No Man Walks Alone ».

Etude comparative des programmes spatiaux soviétique et américain

Le Dr Charles S. Sheldon (1917-1981) était le chef de la division scientifique du service de recherche du Congrès, et une sommité sur le programme spatial soviétique.

Il est le premier à avoir compris que la dénomination Cosmos ne concernait pas un type de vaisseau spatial, ou un programme en particulier, mais est une appellation servant de couverture à d’innombrables types d’activités spatiales y compris les missions ratées.

L’une de ses études, Review of the Soviet Space Program with Comparative United States Data, (Etude du programme spatial soviétique avec des données comparatives des États-Unis), publié par le Congrès en 1967 retrace le développement du programme spatial soviétique avec une minutie et une acuité jamais atteinte dans un document rendu public.

Charles Sheldon a notamment participé à la rédaction du National Aeronautics and Space Act de 1958, qui a permis la création de la NASA et du Communications Satellite Act de 1962, qui a permis d’impliquer des sociétés privées pour la commercialisation des satellites de télécommunication.

Lors d’un discours au National Space Club à Washington D.C. en août 1970 il donne les informations suivantes :

« L’U.R.S.S. dépense 2% de son PNB pour l’espace et les Etats-Unis 0,5 %. En 1969 le PNB de l’Union soviétique est estimé à 420 milliards de dollars ; celui des Etats-Unis est de 931 milliards. Les lancements spatiaux soviétiques réussis furent au nombre de 44 en 1966, 74 en 1968, 70 en 1969, et jusqu’ici, 40 pour cette année. La part la plus importante de leur activité concerne la photo reconnaissance. Chaque année l’U.R.S.S. dépasse les Etats-Unis en ce qui concerne la masse totale des charges utiles envoyées dans l’espace, ce depuis les 83,5 kg du premier Spoutnik en 1957, sauf pour l’année 1969. La masse totale des charges utiles envoyées par l’U.R.S.S. s’élève à 2 millions de kg comparé à 1,9 millions de kg pour les Etats-Unis. »

En 1971, Charles Seldon affirme qu’environ 600 000 personnes travaillent pour le programme spatial soviétique. Entre 1957 et 1970, Vandenberg AFB est le site qui enregistre le plus grand nombre de lancements réussis, avec 311, vient ensuite Baïkonour avec 282, puis le Centre Spatial Kennedy avec 189, et Plesetsk avec 147.

Les missions militaires représentent environ les 2/3 des lancements pour les deux pays. Alors que les missions militaires sont en hausse en U.R.S.S., avec 28 missions en 1966 et 57 en 1970 elles sont en baisse aux Etats-Unis, avec 34 en 1966 et 16 en 1970.  

Bien que les deux nations soient en compétition, elles collaborent notamment pour la météorologie, la biologie spatiale, le géomagnétisme, et la mise au point de systèmes d’amarrages compatibles afin de faciliter l’assistance mutuelle en cas de problème, ou la conduite de projets communs.