Le 28 août 1943, les premiers 107 prisonniers en provenance du camp de concentration de Buchenwald, qui se trouve à quelque 80 km de là, arrivent dans les tunnels de la Wirtschaftlichen Forschungsgesellschaft mbH (Wifo), creusés dans la colline de Kohnstein, à 3 km de la ville de Nordhausen, dans le massif du Harz. C’est là que seront désormais assemblés les missiles V2, après le bombardement de Peenemünde.
Les sous-sols dans la colline de Kohnstein, constitués de gypse et d’anhydrite, étaient exploités depuis le XIX e siècle.
Ce camp de travail, d’abord annexe (Außenlager) du camp de Buchenwald, sera baptisé « Dora ».
Dora est un nom, et pas un acronyme, comme on peut le lire parfois. Il existait par exemple un autre Außenlager du camp de Buchenwald, du nom de « Laura », établi à Lehesten (90 km de Buchenwald- 144 km de Nordhausen), où l’on testait notamment les moteurs de la A4/V2.
Dora deviendra un camp de travail autonome, (Hauptlager) le 28 octobre 1944.
Les galeries souterraines de la « Société de recherche économique » servent depuis 1938, de dépôt de carburant, d’huiles et de lubrifiants pour la Wehrmacht. Pour ce faire, du 16 juillet 1936 à septembre 1937, deux tunnels parallèles reliés par douze tunnels transversaux avaient été creusés.
La Wifo accueille mal cette décision, car elle doit déplacer ses stocks et mettre à la disposition des SS et du Sonderausschusses A4 (Comité spécial A4 ) ses moyens de construction et infrastructures.
Des milliers de travailleurs forcés suivront, au cours des 19 mois d’existence de ce camp, et de ses camps annexes, notamment pour élargir et aménager les tunnels existants, et en creuser de nouveaux, dans des conditions innommables.
Les travaux sont dirigés par le docteur en géologie Walter Schriel (29 juin 1892 – 27 juin 1959).
En février 1945 par exemple, il y a 19 360 détenus à Dora et 22 714 dans les camps annexes.
Dès mars 1942, Hitler avait fixé comme objectif une production mensuelle de 3 000 missiles par mois. En avril 1943, Gerhard Degenkolp qui dirige le Sonderausschusses A4 fixera un objectif plus réaliste de 900 unités par mois, qui ne sera jamais atteint.
Le record s’établit en janvier 1945 avec 690 missiles produits.
Le 24 septembre 1943, est fondée la société à responsabilité limitée Mittelwerk GmbH.(Mittelwerk se traduit par usine du centre).
En décembre 1943, les machines de Peenemünde et de Wiener-Neustadt sont installées dans les tunnels dédiés, agrandis et aménagés. C’est alors, que la formation des travailleurs forcés qualifiés, et l’assemblage des V2, peuvent commencer.
Le site de Peenemünde a été bombardé pour la première fois dans la nuit du 17 au 18 août 1943, d’où ce transfert dans des galeries souterraines. Il en sera de même pour d’autres fabrications d’armes.
A compter de décembre 1943, et jusqu’à la fin de la guerre, la Werk I (Usine n°1) de Mittelwerk est la seule et unique usine de production en série du missile V2.
- Le 31 décembre 1943 : 3 missiles V2 sont assemblés
- Janvier 1944 : 50
- Février : 86
- Mars : 170
- Avril : 253
- Mai : 437
- Juin : 132
- Juillet : 86
- Août : 374
- Septembre : 629
- Octobre : 628
- Novembre : 662
- Décembre : 613
- Janvier 1945 : 690
- Février : 612
- Jusqu’au 18 mars : 362
Soit un total de 5 787.
Les mauvais chiffres de juin et juillet 1944 sont dus à de très nombreuses modifications techniques sur l’engin.
C’est ainsi que de septembre 1944 jusqu’à la fin de la guerre, ce sont 21 missiles V2 qui sont assemblés chaque jour à l’Usine du Centre. Un chiffre incroyable compte tenu de la situation économique de l’Allemagne, et de l’état des infrastructures, qui rend l’acheminement des pièces détachées problématique.
Le missile V2 est un engin extraordinairement sophistiqué, constitué de 20 000 composants, fabriqués par plus de 200 entreprises et fournisseurs. Au fil des mois, de plus en plus d’éléments seront construits par certaines de ces entreprises directement sur place…
Chaque missile est facturé 40 000 RM. A titre de comparaison, un chasseur Messerschmitt Bf 109 coûtait en 1941 : 85 970 RM, et un char « Tigre 1 » Panzerkampfwagen VI Tiger : 300 000 RM.
Précisons que l’assemblage proprement dit du missile V2 n’a concerné, à son maximum, qu’un tiers des détenus du camp de Dora.
En mai 1944, sur 17 000 détenus, quelque 5 000 travaillent sur la V2.
Au fur et à mesure de l’implantation de nouvelles productions d’armes, et l’afflux de nouveaux détenus, ce taux ne va cesser de baisser. En août 1944 la production du V2 concerne 16% des travailleurs forcés, et début 1945, 12 %. Il y avait en moyenne deux à trois travailleurs forcés pour un technicien allemand, les premiers mois le ratio était de 1 pour 1 (le temps de former les travailleurs).