Le dernier membre de la Rocket Team de Wernher Von Braun employé par la NASA (Marshall Space Flight Center) est l’aérodynamicien Werner Dahm (1917-2008) qui a pris sa retraite en 2006 à l’âge de 89 ans !
L’avant dernier est Georg von Tiesenhausen (18 mai 1914) qui a pris sa retraite en décembre 1986 à 69 ans.
Ils ne font pas partie de l’équipe originelle puisque Werner Dahm n’arrive aux Etats-Unis qu’en 1947 et Georg von Tiesenhausen en 1953. Ce dernier est toujours en vie, il a 103 ans !
L’association sportive de Peenemünde (Sportverein Peenemünde) est créée le 30 mars 1940.
Le président et trésorier est un certain Panknin, et son adjoint n’est autre que Ludwig Roth (1909-1967) qui dirigeait le bureau Zukünftige Projekte (Projets futurs).
C’est un membre de la Rocket Team de Wernher Von Braun aux Etats-Unis. (Il arrive aux USA le 16 novembre 1945 à bord de l’Argentina qui a appareillé du Havre).
L’association sera dissoute en 1943 en raison d’un nombre insuffisant de membres. Ludwig Roth quitte l’équipe de Wernher Von Braun avant son transfert à la NASA, pour rejoindre le secteur privé, en l’occurence la Douglas Aircraft Co. et sa Missile and Space Division. Lorsqu’il décède d’un cancer, à 58 ans, il est directeur du programme Saturn-Apollo.
Anecdote dans l’anecdote : Ludwig Roth a eu 5 fils ; Diether, Volker, Werner, Axel, et Gerhard. Axel (1936-2008) après un diplôme d’ingénieur, travaille au Centre Spatial Marshall et finit sa carrière comme directeur associé du Centre (de 2001 à 2004). Volker quant à lui est directeur de projet chez Boeing et travaille notamment sur le projet d’avion orbital…
Un peu d’Histoire dans la Petite Histoire… Avant le début de la guerre, seuls les ressortissants allemands sont autorisés à travailler sur les bases militaires comme Peenemünde.
Une règle qui fut assouplie puis abandonnée au fur et à mesure de la mobilisation des travailleurs allemands.
Avec les énormes besoins en hommes pour le front de l’est, le régime national socialiste a de plus en plus recouru au travail forcé (Zwangsarbeit) pour assurer le fonctionnement de son économie.
De 1941 à 1945, 80 % des pertes de la Wehrmacht sont subies sur le front russe, sur les 50 millions de morts estimés de la seconde guerre mondiale dans les pays européens, environ 40 millions de personnes ont perdu la vie lors des deux dernières années de la guerre.
A l’été 1941, ce sont trois millions d’étrangers qui travaillent dans le Reich, principalement dans l’agriculture, dont 1,2 millions de prisonniers de guerre français et 700 000 civils polonais.
A l’été 1943 le nombre de travailleurs étrangers passe à 6,5 millions, pour atteindre les 7,6 millions en septembre 1944 (5,7 millions de civils et 1,9 millions de prisonniers de guerre).
Une personne sur quatre travaillant dans l’industrie ou l’agriculture allemande vient de l’étranger, dans certaines usines d’armement le taux est de 80%.
– A Peenemünde il y a d’abord eu la main d’œuvre civile normale sous contrat avec les militaires ou les sociétés civiles de construction qui les emploient, ainsi que les jeunes allemands obligés d’effectuer un service civil d’une durée de 6 mois, le Reichsarbeitsdienst (Männer – pour les hommes – (RAD instauré en 1935), qui précède un service militaire de deux ans. (Il existe également un Reichsarbeitdienst pour les femmes)
– A partir de fin 1939 les Kriegsgefangener (KG – prisonniers de guerre). La « mise au travail » des KG est, soit dit en passant, autorisée par la convention de Genève de 1929, à conditions qu’ils ne travaillent pas dans des secteurs liés à l’armement.
– Puis le 21 mars 1942, avec la nomination de Fritz Sauckel en tant que Generalbevollmächtigter für den Arbeitseinsatz (Plénipotentiaire général pour l’organisation du travail – ou de la main d’œuvre) le recours aux travailleurs forcés prend une nouvelle dimension.
On recherche tout d’abord des volontaires dans les pays occupés (peu nombreux – environ 200 000 en France), puis très vite les allemands usent de coercition.
Le gouvernement français met en place le STO (Service du Travail Obligatoire – Loi du 16 février 1943) d’une durée de deux ans. A l’automne 1944 ils sont 7,356 millions, civils étrangers et prisonniers de guerre réunis, à travailler en Allemagne.
Les travailleurs étrangers représentent alors plus de 20% de la force de travail allemande, dont plus d’un tiers dans les usines d’armement.
– Début 1943 les internés des camps de concentration gérés par les SS. Dans le cadre de la SS-Wirtschafts-Verwaltungshauptamt (L’office central SS pour l’économie et l’administration) les camps de concentration fournissent désormais de la main d’œuvre pour l’économie, un ouvrier est facturé 4 RM par jour et un ouvrier qualifié 6 RM, en contrepartie les SS s’occupent de la gestion logistique (sic !), surveillance, hébergement, nourriture, vêtements…
Les travailleurs disponibles sont répartis dans les villes, les entreprises, en fonction de quotas.
Quelles sont les conditions de ces travailleurs à Peenemünde ?
1- Reichsarbeitdienst : les travailleurs sont payés selon leur qualification, effectuent des horaires de travail normaux soit 10 heures par jour, ont un jour de repos, ont droit à des jours de congés.
2- Les travailleurs étrangers volontaires (Arbeitsmigranten) sont payés, ont des horaires normaux de travail soit 10 h par jour, ont droit à des congés.
3- Les travailleurs étrangers requis : (Fremdarbeiter– Français du STO)
a- les ouvriers des pays occidentaux sont payés 40 à 60 RM par semaine selon leur qualification, travaillent 10 heures par jour, avec un jour de repos.
b- les ouvriers de l’est, plus particulièrement d’Union Soviétique et de Pologne (Ostarbeiter) étaient soumis à des taxes discriminatoires (sur leur salaire) qui ne leur laissaient plus que quelques RM par semaine.
4- Prisonniers de guerre : tous les travailleurs ne sont pas logés à la même enseigne, certains perçoivent des salaires, ils travaillent six jours sur 7, sont autorisés à recevoir du courrier deux fois par mois, des colis.
5- Internés des camps de concentration : conditions très variables selon leur origine ethnique, le motif de leur incarcération, leur qualification. Les plus qualifiés ayant bien évidemment le plus de privilèges. Les SS mettent en place des primes hebdomadaires (entre 50 pfennig et 2 RM) pour « booster » la productivité, et des rations alimentaires augmentées pour les travailleurs les plus efficaces… Certains sont autorisés à recevoir des colis.
Il y avait deux camps de concentration (KZ – Konzentrationslager ou KL) à Peenemünde. Il s’agit en réalité de deux KZ-Aussenlager rattachés au KZ de Ravensbrück qui était un camp de concentration pour femmes. (Aussenlager = camp subsidiaire dépendant administrativement d’un camp principal). Dans le cas présent, nous parlons de camps de travail.
– Le Karlshagen Aussenlager I a existé de mai 1943 à février 1945 dans la zone de la Luftwaffe, il comptait environ 1 200 personnes.
– Le Karlshagen Aussenlager II a existé du 17 juin 1943 au 13 octobre 1943. Les quelque 600 détenus étaient logés au sous-sol du Hall F1. Ces détenus furent transférés au KZ-Mittelbau-Dora le 13 octobre 1943.
Il y a eu à Peenemünde, des hollandais, des italiens, des français, des polonais, des russes, des ukrainiens… Polonais et russes étant de loin les plus nombreux.
– Il y avait un camp de prisonniers à Wolgast (à 9 km de Peenemünde), Tannenkamp exclusivement composé d’officiers russes et d’ingénieurs (environ 400 au total). Ils dessinaient des plans, travaillaient sur l’usinage des déflecteurs en graphite, dans les ateliers électriques ou mécaniques… Pour les remercier pour leur travail, les allemands leur ont organisé une fête de Noël, leur offrant même des bouteilles d’alcool. (Enfreignant par la même toutes les règles de l’OKW – Commandement de la Wehrmacht). L’un des officiers russes a décrit leurs conditions de travail comme bonnes…
– Le premier camp de travailleurs forcés à Peenemünde même était composé de 5 baraques et était situé au sud-ouest de Karlshagen Siedlung (le lotissement des savants, techniciens…) et au sud du camp militaire (VKN) qui était à l’origine un camp pour travailleurs (Arbeitlager Karlshagen).
En 1942 un deuxième camp composé d’une quarantaine de baraques en bois, dont une infirmerie et une cantine, est construit entre la mer et la ligne de chemin de fer, il s’agit du camp de Trassenheide (Barackenlager Trassenheide) du nom de la commune sur lequel il est édifié.
Ce camp comporte des miradors et une haute clôture électrifiée. Les polonais sont majoritaires parmi les quelques 4 000 détenus, dont plus d’une centaine furent retrouvés et interviewés par Martin Middlebrook dans le cadre de ses recherches pour son livre « The Peenemünde Raid » paru en 1982 et réédité en 2000, 2006 et 2014.
Ils racontent notamment qu’ils avaient créé un groupe de danse fréquenté par des filles russes et polonaises qui travaillaient dans les fermes environnantes. Bien qu’allant à l’encontre du règlement du camp, les allemands ont laissé faire… Tous ces travailleurs étaient principalement employés pour la construction. Un groupe de 300 hollandais n’est jamais revenu après sa permission de Noël…
Juste à côté du camp, il y avait un lupanar, ce qui n’était pas inhabituel pour les camps de travail, une partie était réservée aux allemands, l’autre aux étrangers… « Deux Reichsmarks permettaient de se payer une fille, une vodka et deux cigarettes. »
Près de 600 travailleurs forcés de Trassenheide furent tués lors du bombardement de la RAF du 18 août 1943.
Les travailleurs qui furent envoyés ailleurs en Allemagne affirmeront plus tard qu’en comparaison « c’était pas si mal » à Peenemünde !
– Qu’en est-il des quelques 600 détenus du camp de concentration du Hall F1 (Usine de production en série de la A4) ?
Ces ouvriers qualifiés en provenance d’autres camps de concentration sont logés au sous-sol du Hall d’assemblage F1 (Fertigungshalle 1). Leur tâche est d’assembler les A4 dans les ateliers situés au niveau supérieur. Le Hall F1 est entouré par une clôture de fil de fer barbelé et surveillé par un détachement de la SS.
Le quota pour Peenemünde Est était de 2 500 travailleurs issus des camps de concentration qui devaient peu à peu remplacer les travailleurs requis et prisonniers de guerre pour plus de « confidentialité », car contrairement aux autres ils n’avaient peu ou prou de contacts avec l’extérieur.
Une des conséquences du premier raid aérien fut de sélectionner un site de substitution à Peenemünde pour continuer à délocaliser la production en série de la A4.
Le choix s’est porté sur les mines du Kohnstein dans le sud du massif du Hartz, où une usine souterraine fut construite, et une société privée Mittelwerk GmbH créée.
Ce sont des détenus du KZ Buchenwald, puis de Dora qui fut d’abord un aussenlager de Buchenwald pour devenir en 1944 un camp autonome, KZ Dora-Mittelbau, qui fournit la main d’oeuvre. Les autres sites, choisis avant le bombardement de la RAF, sont l’usine de Rax-Werk près de Wiener Neustadt qui est un Aussenlager du KZ Mauthausen, et les usines Zeppelin de Friedrichshafen en utilisant notamment des détenus du KZ Dachau.
De nombreux détenus du Hall F1 furent gravement blessés lors du raid aérien du 18 août 1943, et 18 perdirent la vie.
Ce camp de concentration « aménagé » dans le tout nouveau et ultra moderne Hall F1 n’existera que 4 mois, puisque les détenus seront transférés au KZ Dora le 13 octobre 1943, pour intégrer les chaines de production en série des V2 dans l’usine souterraine de Mittelwerk (Usine du centre).
Combien y avait-il de travailleurs forcés à Peenemünde ?
Les estimations varient pratiquement du simple au double selon les sources, de 6 000 à 10 000 ! C’est dire comment l’histoire de Peenemünde est bien documentée !
Combien de détenus sont morts à Peenemünde (hors bombardements) ?
C’est impossible à chiffrer. On a retrouvé dans les archives du crématorium de Greifswald 171 noms de détenus « crématisés » entre novembre 1943 et septembre 1944. En 1969 on a retrouvé une fosse commune à côté du cimetière de Peenemünde avec 56 corps…
Mise en perspective : Le travail forcé et la France
Le travail forcé est un système que la France appliqua également, notamment aux autochtones de ses colonies d’Afrique et d’extrême orient, pour réaliser les travaux publics mais également pour fournir une main d’œuvre presque gratuite aux entreprises des colonies. Là aussi, selon la formule consacrée les conditions de travail étaient généralement « inhumaines, entraînant une forte mortalité ». Ce n’est qu’en 1946 qu’une loi interdit le travail forcé en France, mais il faudra attendre le début des années 50 pour que sa mise en application soit effective !
Rappelons qu’entre le début de la guerre et la très rapide capitulation française en mai 1940 (l’armistice est signé officiellement le 22 juin), quelques 20 000 travailleurs indochinois, 20 000 marocains et algériens furent requis de force et déportés en France métropolitaine pour remplacer, dans les usines de guerre, la main d’œuvre mobilisée.
Les indochinois après avoir été tondus et vaccinés font le voyage vers la France dans les cales avec les animaux !
Souvenons-nous également que plus d’un million de prisonniers de guerre allemands ont été retenus en France de juin 1944 à décembre 1948 pour y travailler. Au plus fort ils représentaient une main d’œuvre de 740 000 hommes, soit 2,3% de la population active (…) Beaucoup ont été chargés de tâches dangereuses, comme le déminage, en contravention totale avec la Convention de Genève !
La peine de travaux forcés ne fut supprimée en France que sous la Cinquième République (Ordonnance du 4 juin 1960) pour être remplacée par la réclusion criminelle à perpétuité !
Les soviétiques ont également massivement utilisé de la main d’œuvre servile pour la construction de Baïkonour ! N’ont-ils pas déporté, en octobre 1946, des milliers de savants et techniciens allemands en URSS ? (Opération Osoaviakhim) Les soviétiques ont exploité plus de 3 millions de prisonniers de guerre allemands dans des conditions parfois atroces avec un taux de mortalité de 11,8%, un record ! (France : 3,6% – Grande-Bretagne : 0,5% – USA : 0,7%…). En 1950 plus de 50 000 n’étaient toujours pas rentrés de leur captivité !