Willy Ley ne croit pas aux missiles à ergols liquides en temps de guerre

A l’automne 1944, Willy Ley (1906-1969) fait cette déclaration surprenante à l’ingénieur en aéronautique spécialiste des moteurs fusées, Arthur Valentine « Val » Cleaver (1917-1977), alors en visite aux Etats-Unis, dans le cadre d’une mission diligentée par le Ministère de la Défense britannique :

« Les missiles à longue portée (300 km !) ne sont pas économiquement rentables ni techniquement faisables, dans la mesure où l’on doit utiliser des ergols liquides, et comment peut-on imaginer que l’on puisse manipuler des milliers de tonnes d’oxygène liquide en période de guerre ? »

Cleaver, qui savait que des V2 venaient d’être lancés sur Londres, mais qui ne pouvait pas encore le divulguer, écouta patiemment et lui dit : « Ecoute Willy, si j’étais toi, je n’en serais pas si sûr ! »

Comme le précisera Arthur C. Clarke (1917-2008) : « Willy Ley a tout simplement sous-estimé l’ingéniosité et la détermination de ses anciens compatriotes, et ce, en dépit du fait qu’il était présent au début des expériences sur les fusées, en ce lieu qu’ils avaient baptisé de manière si optimiste, Raketenflugplatz, dans la banlieue de Berlin. »

Le souvenir de Kurt Wahmke

Le Docteur en chimie Kurt Wahmke (1904-1934) trouve la mort à Kummersdorf le lundi 16 juillet 1934, avec deux de ses assistants, dans l’explosion d’un moteur fusée alimenté par un mélange de peroxyde d’hydrogène et d’alcool.

← Kurt Wahmke nait le 2 mars 1904 à Göttingen, de Albert Wahmke (1875-1961), inspecteur général de l’enseignement supérieur, et de Auguste Wahmke (née Korte – 1879-1971). C’est le deuxième enfant d’une fratrie qui en comptera cinq au total, trois garçons et deux filles. De 1923 à 1927 il étudie à l’Université Friedrich-Wilhelm de Berlin (actuellement Université Humboldt). Parmi ses professeurs, figurent des prix Nobel de chimie, comme Walther Nernst (1864-1941) ou de physique, comme Max Von Laue (1879-1960), ainsi que d’autres sommités dans leur domaine, comme le sociologue Alfred Vierkandt (1867-1953) ou le mathématicien Gábor Szegő (1895-1985) …

Il se passionne pour la photo et développe lui-même ses clichés dans son petit laboratoire.

D’octobre 1930 à septembre 1931 il est assistant enseignant au Lycée de Rößel en Prusse-Orientale (actuellement Reszel en Pologne), en mathématiques et sciences naturelles. Erwin Poschmann, un élève devenu professeur, se souvient : « Les cours de physique et de chimie de Wahmke étaient excellents, il savait captiver ses élèves… ce que j’ai essayé de faire à mon tour, plus tard, en tant qu’enseignant.  C’était également un des meilleurs profs de mathématiques du Lycée, il savait comment motiver ses élèves… Les difficiles exercices de constructions et les équations devenaient soudainement intéressants… »

Fin 1931, Kurt Wahmke commence ses recherches pratiques sur la propulsion liquide des fusées pour son doctorat, devenant ainsi le premier doctorant de la Zentralstelle für Heeresphysik und Heereschemie (Wa Prw Z)  (Service Central de l’armée pour la physique et la chimie) sous la direction du Dr Erich Schumann (1898-1985).

En septembre 1932 le banc d’essai n°2 du site de recherche Ouest de Kummersdorf est équipé avec de nouveaux instruments de mesure ultra modernes.

En 1933 il soutient sa thèse qui a pour intitulé : « Recherches sur l’écoulement des gaz à travers des buses cylindriques » (Untersuchungen über die Ausströmung von Gasen durch zylindrische Düsen) devant Erich Schumann et Arthur Wehnelt (1871-1944). Il obtient les félicitations. Sous le numéro « Wa Prw Z Drg 1/34 » sa thèse est remise au ministère de la Guerre et classée secret défense, exactement comme le sera celle de Wernher von Braun, qui obtiendra son doctorat l’année suivante.

A partir du mois de mars 1934 Kurt Wahmke effectue des recherches sur des carburants pré mélangés en utilisant un moteur construit par la société Heylandt à Berlin-Britz. Il commence ses expériences avec divers mélanges de peroxyde d’hydrogène et d’alcool contenus dans un réservoir en acier au-dessus du moteur, et injectés dans ce dernier.

Kurt Wahmke se marie le 19 mai 1934 avec Irmgard Borg à Witzenhausen, à 20 km au sud de Göttingen. Ils font un tour d’Allemagne en guise de voyage de noce.

En ce lundi 16 juillet 1934, le Dr Wahmke a mélangé du peroxyde d’hydrogène (H2O2) à 90% avec de l’alcool dans un récipient, afin de les envoyer par une valve unique dans la chambre de combustion du moteur. Bien conscient de l’extrême dangerosité de l’expérience il demande à ses assistants de quitter les lieux, ce qu’ils refusent de faire. L’allumage provoque instantanément une explosion qui tue Kurt Wahmke, Alvin Conrad, et Friedrich-Wilhelm Vollmeke sur le coup. Il s’agit du premier et du seul accident mortel dans l’histoire du développement des fusées à Kummersdorf-Ouest puis à Peenemünde.

Sous différentes appellations, Aurol, Auxiline ou Ingoline, le peroxyde d’hydrogène (+ eau + stabilisateur) prendra finalement le nom de code de T-Stoff en tant que comburant pour moteurs fusées lors de la 2e Guerre Mondiale.

Stèle en hommage aux disparus (qui n’existe plus). Crédit : http://www.raketenflugplatz-berlin.de

Le premier contrat de Wernher von Braun

Le premier contrat officiel de Wernher von Braun avec l’armée de terre allemande (Reichswehr) et plus particulièrement son service de développement et de production de nouvelles armes et munitions (Heereswaffenamt – HWA), un contrat à durée déterminée de 4 mois, porte la date du 27 novembre 1932.

Il est alors âgé de seulement 20 ans et 8 mois.

Le salaire est de 14 ReichsMark par jour de travail, ce qui n’est pas mal du tout. A titre de comparaison un kilogramme de pain coûtait à ce moment-là 0,37 RM. 

La description du poste : « Conception, recherche, et direction de la construction d’un moteur fusée à ergols liquides à Kummersdorf-Ouest ».