Joseph Shea et Apollo 1

Joseph Shea

Le jeudi 26 janvier 1967 l’astronaute Walter Schirra discute avec Joseph Shea, le directeur du bureau en charge du développement du vaisseau spatial Apollo (Apollo Spacecraft Program Office).

Ils évoquent les divers problèmes liés au module de commande 012.

Depuis le 26 août 1966, date à laquelle il a été livré au Centre Spatial Kennedy, le CM a subit pas moins de 734 modifications !

Walter Schirra lui demande alors pourquoi il ne prendrait pas part au plugs-out* test, qui doit se dérouler le lendemain, avec les astronautes dans le vaisseau spatial. De là il aurait une perspective unique…

En réalité cette idée lui a été inspirée la veille par Virgil Grissom, Schirra était sa doublure pour cette mission, dont le décollage devait intervenir le 21 février).

C’est tout à fait faisable, car il y a de la place sur le sol de la cabine, à côté du commandant. Il faut juste que l’on puisse l’équiper d’un casque et d’un micro. Shea trouve l’idée excellente, même si peu orthodoxe. Il modifie donc la réservation de son vol retour pour Houston, prévu à l’origine le 27 en début d’après-midi.

Le lendemain matin, alors que Joseph Shea prend son petit déjeuner en compagnie des trois astronautes, les techniciens annoncent qu’il n’y a pas de connexion audio supplémentaire disponible pour une quatrième personne dans le module de commande. La seule manière de pourvoir Shea d’un set de communication est de passer par l’écoutille et d’annuler le test d’évacuation d’urgence !

Joseph Shea ne souhaite en aucune manière tronquer le test, et malgré l’insistance de Grissom, lui explique qu’il ne voit pas l’utilité de passer plusieurs heures dans le module de commande, s’il ne peut pas suivre les communications.

Aussi dit-il aux techniciens de laisser tomber. Il se retourne vers Grissom et lui promet : « Fais le test, je retourne à Houston, et je reviens lundi pour le refaire avec toi dans le simulateur ».

A l’origine, le plugs out test devait être effectué avec une seule des trois parties formant l’écoutille fermée, mais les astronautes avaient demandé en septembre 1966 qu’un test d’évacuation d’urgence soit ajouté au protocole !

Ainsi ce sont les trois parties de l’écoutille qui sont désormais scellées  (la partie intérieure, la partie extérieure qui est un constituant du bouclier ablatif, et la partie placée sur le BPC**).

Dans des conditions optimales, il faut pas moins de 90 secondes pour ouvrir le tout !

Vers 11:00 heure locale (EST) Joseph Shea et Rocco Petrone, le directeur des lancements, se rendent sur les lieux, le pas de tir 34, et remarquent qu’il y a encore des plaques de polyuréthane dans le CM. Les techniciens les utilisent pour protéger les câbles apparents lorsqu’ils doivent intervenir dans le vaisseau spatial.

N’ayant pas pu prendre place dans le CM, Shea n’a aucune raison de rester au Cap, aussi il appelle Benjamin Cate, le journaliste du magazine Time, pour lui annoncer que finalement il rentrera à Houston avec lui, comme prévu à l’origine. Ils prennent le vol National Airlines de 14:30 au départ de Melbourne.

Le test débute le 27 janvier à 7:55 heure locale (12:55 GMT).

Juste après le déjeuner, à 13:00 (18:00 GMT) les astronautes prennent place dans le vaisseau spatial juché sur la Saturn 1B qui n’est pas remplie d’ergols, pas plus que le vaisseau spatial, classant ce test comme non dangereux.

Le déroulement du test est interrompu à maintes reprises pour résoudre des problèmes techniques.

Une odeur dans le circuit de ventilation de la combinaison de Virgil Grissom, un micro bloqué en position ouvert, des problèmes récurrents de communication qui feront sortir Grissom de ses gonds : « Comment allons nous pouvoir aller sur la Lune, si on ne peut même pas se parler, alors que vous êtes à quelques pas d’ici ! »

Devant l’accumulation des problèmes techniques il est envisagé de reporter le test. Mais nous sommes vendredi et les astronautes veulent en finir.

Ils doivent par ailleurs rentrer à Houston le lendemain pour participer à un événement mondain, la fête organisée par Field Enterprises, le conglomérat de presse créé par Marshall Field, et le magazine Life !

Joseph Shea de retour à Houston arrive à son bureau à 17:30 CST, soit 18:30 EST (23:30 GMT) !!!

A 18:31:04, (23:31:04 GMT) à quelques 10 minutes avant la fin du compte à rebours, lors d’un énième arrêt, intervient la première annonce de l’équipage faisant état d’un incendie… 17 secondes plus tard un cri de douleur…. et le silence !  

L’autopsie révélera que les trois astronautes sont morts asphyxiés. La pression dans la capsule remplie d’une atmosphère à très haute teneur en oxygène a grimpé jusqu’à 29 psi (soit 1999,48 hPa) provoquant une fissure dans la coque du module de commande.

La pression dans la cabine au moment du compte à rebours simulé était de 16,7 psi (1151,42 hPa). La pression atmosphérique au niveau de la mer est égale à 14,7 psi (1 013,25 hPa).

Si Joseph Shea avait été présent dans le module de commande, aurait-il pu détecter l’incendie avant les astronautes, donner l’alerte, et le circonscrire avant qu’il ne se propage ?

Sachant qu’il s’est écoulé 10 longues secondes entre l’étincelle (fluctuation du voltage mesuré dans la capsule) et l’alerte au feu de l’équipage.

Le stress, et surtout le sentiment de culpabilité qu’éprouve Joseph Shea, lui vaudra une sévère dépression nerveuse. Il est écarté des opérations le 7 avril et envoyé au quartier général de la NASA comme adjoint de George Mueller, l’administrateur adjoint du Bureau des vols habités.

Réalisant que sa promotion n’est en réalité qu’une mise au placard, il démissionne et quitte la NASA deux mois plus tard.

Joe Shea regrettera toute sa vie de n’avoir pas été dans le module de commande avec les astronautes !

* Le « plugs out integrated test » consiste à tester le fonctionnement des systèmes du vaisseau spatial en mode autonome, lorsque tous les « ombilicaux » sont déconnectés.

** « Boost Protective Cover », c’est la coiffe, le bouclier, posé sur le module de commande, qui protège ce dernier au cas où le puissant moteur fusée, permettant d’extraire le module de commande et ses occupants dans l’éventualité d’une défaillance du lanceur au décollage, est activé. Le BPC fait partie intégrante du LES (Launch Escape System) ou système de sauvetage.

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