Le scandale des timbres, ou des enveloppes événementielles (Event Cover), révélé par la presse, a considérablement terni, en son temps, l’image de la fantastique mission Apollo 15, du 26 juillet au 7 août 1971.
Dans cette première partie j’évoque l’affaire à travers la lorgnette des médias, une deuxième partie résumera l’affaire du point de vue des astronautes, qui ne furent pas les premiers à emporter « clandestinement » des objets dans l’espace.
Le problème dans le cas présent est que la presse a dévoilé l’affaire, et que le Congrès des Etats-Unis s’en est mêlé, obligeant la NASA à prendre des mesures drastiques.
Cela étant dit, ce genre de pratique mercantile, n’est pas très joli joli, il faut bien le reconnaître, et galvaude quelque peu la notion d’exploration telle que David Scott l’a évoqué lui-même, en posant les pieds sur la Lune : « Alors que je me tiens ici à Hadley, au beau milieu des merveilles de l’inconnu, je réalise qu’il existe en fait une vérité fondamentale quant à notre nature : explorer est pour l’Homme une nécessité … Et ce que nous faisons ici, c’est l’exploration dans toute sa quintessence »…
Essayer de profiter pécuniairement de la situation exceptionnelle dans laquelle se trouvaient les astronautes est une démarche qui reste difficilement excusable, même s’il s’agissait de financer les études supérieures de leurs enfants… L’argent que les familles auraient de toute manière dû dépenser pour la scolarité des enfants, aurait été utilisé à d’autres fins, entraînant bien un enrichissement personnel indu !
Pour rappeler succinctement les faits, avant d’y revenir plus précisément dans la deuxième partie : David Scott a emporté dans une poche de sa combinaison spatiale, 398 enveloppes (il y en avait 400 mais deux ont été abîmées avant leur conditionnement dans un emballage ignifuge) non autorisées par la NASA, en plus des 243 enveloppes dûment déclarées. 100 enveloppes, signées par les trois astronautes, et oblitérées sur le porte-avion de récupération furent ensuite vendues au prix de 21 000 dollars (130 000 en dollars constants) à une société spécialisée allemande, Hermann Ernst Sieger GmbH, qui devait attendre la fin du programme Apollo pour les mettre en vente.
A ce propos, le fondateur de la société, Hermann E. Sieger, né en 1902 et décédé en 1954 n’a rien à voir dans cette histoire, il s’agit de son fils, Hermann Walter Sieger (né en 1926) qui dirige alors l’entreprise familiale ! L’appât du gain aidant, ces enveloppes ont été mises en vente peu après la fin de la mission.
Ces enveloppes, que l’on appelle désormais « Enveloppes Sieger » (photo ci-dessus), furent vendues au prix unitaire de 1 500 USD (4 850 DM) rapportant ainsi la coquette somme de 150 000 USD (900 000 dollars en monnaie constante.)
Au vu des profits réalisés par la société Hermann E. Sieger, le public américain se posa des questions quant aux 298 enveloppes restantes, que les astronautes avaient encore en leur possession, si également vendues 1 500 dollars pièce, les astronautes pourraient réaliser un profit brut de 447 000 dollars. (soit 2,6 millions de dollars en monnaie constante) Un sacré pactole ! Choquant pour le contribuable américain !
John Leonard « Jack » Swigert, sera également une victime collatérale de cette affaire ! J’y reviendrai…
Voici quelques articles de journaux et communiqués de la NASA traduits tels quels.
Le 18 juin 1972, le Washington Sunday Star rapporte que « les services postaux américains sont passablement remontés après avoir appris que les astronautes d’ Apollo 15, David R. Scott, James B. Irwin, et Alfred M. Worden ont emporté sur la Lune 400 enveloppes timbrées et oblitérées qu’ils n’avaient pas déclaré, parmi leurs effets personnels. Un magazine philatélique allemand a révélé qu’Herman E. Sieger, un collectionneur de timbres avait vendu 100 enveloppes Apollo 15 au prix unitaire de 4 850 DM, ce qui correspond à un total de 150 350 USD au taux de change officiel en vigueur.
La NASA autorise ses astronautes à emporter des objets personnels dans l’espace pour la famille ou des amis mais en aucun cas pour en faire commerce. Les enveloppes « officielles » quant à elles, ont été commercialisées par l’US Postal Service. Des médailles commémoratives ont été emportées par des astronautes mais vendues par des organismes gouvernementaux.
La NASA a identifié l’intermédiaire entre les astronautes d’ Apollo 15 et le vendeur allemand, il s’agit d’un ami des astronautes, se trouvant en Allemagne. Les astronautes ayant conservé 20 enveloppes pour les donner à des amis et de la famille, le restant a été restitué à la NASA.
Donald Slayton, le directeur de la gestion des vols des astronautes (Flight Crew Operations) au Centre des Vaisseaux Spatiaux Habités (Manned Spacecraft Center) a assuré à la presse qu’aucun membre de l’équipage n’avait tiré profit directement ou indirectement des enveloppes vendues. »
Le 11 juillet 1972, la NASA, par un communiqué officiel (NASA Release 72-140) déclare qu’elle va réprimander les astronautes d’ Apollo 15 pour avoir emporté 400 enveloppes non autorisées lors de leur mission qui s’est déroulée du 26 juin au 7 août 1971.
Le comportement des astronautes sera par ailleurs pris en considération lorsqu’il s’agira de procéder aux affectations des prochaines missions spatiales. Les astronautes David R. Scott, Alfred M. Worden, et James B. Irwin ont avoué avoir donné à un ami se trouvant en Allemagne 100 enveloppes. Ces enveloppes ont été vendues au prix unitaire de 1 500 USD.
L’enquête de la NASA a révélé qu’à un moment donné, les astronautes ont envisagé d’utiliser l’argent ainsi récolté pour un « fonds de placement » pour leurs enfants, mais se sont ravisés quelques temps plus tard lorsqu’ils ont pris conscience de l’inconvenance de cette transaction.
Le Dr Georges M. Low, l’administrateur adjoint de la NASA a déclaré à la presse : « Les astronautes sont sous une extrême pression dans les mois précédents un vol vers la Lune et leur manque de jugement doit être considéré dans cette perspective. Cela dit la NASA ne peut pas cautionner ce genre d’agissements. »
Le 13 juillet l’éditorial du Philadelphia Evening Bulletin rappelle que « le fait que les astronautes se soient ravisés, et n’aient pas voulu tirer profit de la vente de ces enveloppes non autorisées est tout à leur honneur. Mais reconnaître leur erreur de jugement n’efface en rien cette tentative de commercialisation dans une entreprise par ailleurs héroïque ».
Celui du Baltimore Sun est plus sévère : « Leurs actions, destinées à tirer un profit personnel de leur mission ne peuvent en aucun cas être excusées. Dès le début du programme spatial les astronautes sont instantanément devenus des célébrités et dans certains cas tout aussi rapidement millionnaires grâce à des contrats d’exclusivité, des investissements, des cautionnements. Nous ne sommes pas contre un peu de libre entreprise, mais le programme spatial, tel qu’envisagé par le défunt Président Kennedy était une noble activité d’exploration, et non pas d’exploitation. Si d’aventure on devait exploiter le programme spatial, les profits devraient être reversés au Trésor Public. »
Le 14 juillet le Chicago Tribune déplore : « Comme il est décevant de constater que l’Homme a déjà perverti la Lune avec sa pollution morale et spirituelle. Nous sommes moins impressionnés par la gravité du crime que par l’avilissement du marché des collectionneurs de timbres que cette affaire révèle. Si les amateurs de timbres avaient un peu plus de discernement, et si les revendeurs étaient moins cupides, la Lune n’aurait pas été contaminée si vite. »
Le 17 juillet le Detroit News regrette l’opprobre jeté sur la programme spatial : « Le trio n’a pas donné suite à son dessein mais le fait même de l’envisager est impardonnable. Le pays a dépensé des sommes considérables pour les former, les entraîner, et ils sont bien rémunérés. Personne ne remet en cause leur courage et leur compétence mais l’essence même de toute cette entreprise est désormais entachée, maintenant que la vérité a été révélée. La NASA devrait mettre fin au privilège des astronautes leur permettant d’emporter des objets personnels à moins qu’ils s’engagent à ne pas les utiliser à des fins commerciales par la suite. »
Le 21 juillet le Washington Evening Star and le Daily News rapportent que l’artiste belge Paul Van Hoeydonck qui a sculpté la statuette « Fallen Astronaut » (littéralement Astronaute Tombé) déposée sur la Lune par les astronautes d’ Apollo 15, avait vendu 950 répliques de la statue au prix unitaire de 750 dollars par l’intermédiaire de la Waddell Gallery de New-York. Un représentant de la NASA précise que les astronautes ont emporté cette statuette avec l’aval de la NASA mais que cette initiative était assortie d’un accord tacite avec l’artiste qui excluait toute commercialisation. Dans ce cas précis, les astronautes n’ont enfreint aucune règle de la NASA. »
Le 22 juillet un représentant de la NASA annonce que « les règles de vol de la mission Apollo 17 seront plus strictes à la suite de la commercialisation d’objets emportés lors des vols précédents. On parle même de supprimer le Personal Preference Kit des astronautes. »
Le 23 juillet Associated Press rapporte que « l’équipage d’ Apollo 15 avait été pressenti pour recevoir le trophée spatial Thomas D. White remis annuellement à celui ou ceux ayant contribué à l‘avancement de l’aérospatial américain. En raison de l’incident des enveloppes premier jour ils ne recevront pas cette distinction. Les trois astronautes ont été invités à la réunion annuelle de la Fédération Aéronautique Internationale à Paris en octobre pour recevoir des distinctions en compagnie de cosmonautes soviétiques. Le Dr James C. Fletcher a assuré que le maximum sera fait pour que les astronautes puissent honorer cette invitation. »
Le 24 juillet Associated Press rapporte une interview téléphonique avec James B. Irwin qui a déclaré que : « les membres de l’équipage d’ Apollo 15 ont pensé qu’ils faisaient pour le mieux pour leurs familles en emportant ces enveloppes timbrées sur la Lune. Leur décision de ne pas accepter leur part relative à la vente de ces objets est intervenue environ huit mois avant que l’incident ne soit révélé par la presse. Nous avons agit à la hâte sous une pression terrible mais cela n’excuse rien. La NASA devait nous réprimander ».
Le 26 juillet, le Centre des Vaisseaux Spatiaux Habités (Manned Spacecraft Center) dans son communiqué 72-162 annonce que « David Scott est nommé Assistant Technique auprès du directeur du Apollo Spacecraft Program avec effet immédiat. Scott récemment réprimandé pour avoir emporté des enveloppes premier jour non-autorisées sur la Lune lors de la mission Apollo 15 succède à Ronald W. Kubicki, qui a été nommé Directeur du programme Module de Commande et de Service et du Module Lunaire. »
Le 28 juillet l’éditorial du Atlanta Journal Constitution déplore la nomination de David Scott à un emploi administratif pour avoir emporté des enveloppes non-autorisées sur la Lune : « Un coup terrible pour quelqu’un qui a volé si haut, mais c’est justifié. Scott est un homme brave, compétent, et suffisamment honnête pour reconnaître qu’il a mal agit, il sait de par sa probité qu’il mérite une sanction. »
Le 1er août le Washington Post rapporte que « les astronautes d’ Apollo 15 ont été exclu du corps des astronautes pour avoir ignoré les avertissements du directeur qui gère les affectations des astronautes, Donald K. Slayton, qui avait exhorté tous les astronautes à ne pas emporter d’objets sur la Lune à des fins commerciales, lors d’entretiens, et par le truchement de mémorandum. Des rappels avaient été faits récemment, notamment après la découverte que la société Franklin Mint avait fabriqué 130 000 pièces à partir de celles en argent emmenées sur la Lune par les astronautes d’Apollo 14, ils avaient fondu les pièces en argent pour les incorporer avec d’autres métaux. »
Le 3 août, le Comité du sénat pour l’aéronautique et les sciences spatiales s’est réuni à huis clos pour recueillir les témoignages du Dr James C. Fletcher, l’administrateur de la NASA, du Dr George M. Low, l’administrateur adjoint, et des trois astronautes d’ Apollo 15 au sujet de la vente des enveloppes premier jour, et des répliques de la statuette « Fallen Astronaut » déposée sur la Lune lors de la mission. Après l’entrevue le président du Comité, le sénateur Clinton P. Anderson (D – N. Mex.) a déclaré dans un communiqué : « Les témoignages des dirigeants de la NASA et des astronautes ont été francs et circonstanciés. Il est incontestable que les astronautes ont enfreint certaines dispositions du code de conduite des employés de la NASA, pour lesquelles ils ont été sanctionnés. La question de savoir s’ils ont violé la loi est actuellement examinée. Aucune décision finale n’a encore été arrêtée lors de cette réunion, il sera décidé ultérieurement si d’autres mesures doivent être prises. »
Le 12 août, l’éditorial du Chicago Daily News dénonce ce qui apparaît être une conspiration pour empêcher le public de connaître la vérité sur le mercantilisme des astronautes d’ Apollo 15. « Non seulement on a interdit au public et la presse d’assister à l’audition qui a duré 5 heures du comité mais un rideau de silence a été imposé après la session. Le journal rappelle que la NASA et le comité travaillent pour le public. Arrêtez les cachotteries et révélez les faits afin que le public puisse juger par lui-même. »
Le 25 août le Houston Chronicle rapporte que la division criminelle du ministère de la justice étudie le rapport fourni par la NASA et la retranscription de l’audition à huis-clos du comité sénatorial sur l’aéronautique et les sciences spatiales pour déterminer si les astronautes d’ Apollo 15 ont violé une loi fédérale en emportant des enveloppes premier jour non-autorisées sur la Lune.
Le 31 août, un communiqué de la NASA (MSC release 72-197) annonce « la réaffectation de l’astronaute Alfred M. Worden du bureau des astronautes au Airborne Science Office de la division des sciences spatiales du Centre de recherches Ames (Ames Research Center). Worden tirera profit de son expérience d’astronaute pour : développer et évaluer notamment des procédures pour le simulateur de la navette spatiale, effectuer des études sur les ressources de la Terre, et faire de l’astronomie à haute altitude en utilisant les avions de la NASA. »
Le 15 septembre le Comité du sénat pour l’aéronautique et les sciences spatiales, et la NASA, publient les dernières conclusions sur l’enquête diligentée pour faire la lumière sur la tentative d’enrichissement personnel des astronautes d’ Apollo 15.
Aucun nouvel élément n’a été apporté au dossier concernant la commercialisation des enveloppes et des répliques de la statuette « Fallen Astronaut ». Les astronautes ont été sanctionnés pour l’affaire des enveloppes. A l’heure actuelle rien ne permet d’affirmer que les astronautes ont, ou avaient, l’intention de tirer un quelconque profit de la vente de la sculpture.
Les ventes de répliques de la sculpture par l’artiste Paul Van Hoeydonck est en totale contradiction avec ce qui avait été convenu avec les astronautes. L’enquête du ministère de la justice pour déterminer s’il y a eu infraction à une loi fédérale est toujours en cours.
L’enquête a par ailleurs établi que plusieurs astronautes ont accepté des rémunérations pour signer des enveloppes premier jour.
La NASA poursuit son enquête sur cet incident spécifique et prendra les mesures qui s’imposent. Le comité a également exprimé des réserves quant aux procédures de la NASA susceptibles de permettre de tels incidents, ou de circonstances qui toléreraient de tels comportements.
L’enquête et les auditions ont révélé des failles dans les procédures administratives de la NASA, la communication, et les relations entre les services internes. Des mesures sont en cours pour remédier à ces défaillances, ce qui inclue une modification de la politique et des procédures relatives aux objets que les astronautes sont autorisés à emporter avec eux dans l’espace.
Désormais ils ne pourront pas emmener plus de 12 effets personnels par personne, dont le poids ne devra pas excéder 200 grammes. Ces objets devront être validés par l’administrateur de la NASA en personne. Des articles susceptibles de donner lieu à des transactions commerciales sont prohibés. La liste des objets emportés devra être rendue publique avant le 30e jour suivant la fin de la mission. Les prochains vols spatiaux comporteront des kits officiels du gouvernement, contenant notamment des objets à offrir aux chefs d’état étrangers. La vente des objets contenus dans ces kits est bien entendu formellement interdite.
Ce même jour un porte parole de la NASA (Public Affairs Officer) déclare en réponse à des interrogations concernant la vente d’autographes par des astronautes : « la NASA a déterminé que les autographes ont été signés alors que les astronautes n’étaient pas en service, ils ont pris sur leur temps libre, en conséquence ils n’ont commis aucune infraction au regard d’un détournement de bien ou de personnel appartenant au gouvernement. En revanche une infraction procédurale a eu lieu en ce sens que l’aval de la direction de la NASA n’a pas été demandée au préalable. Les employés de l’agence spatiale ont été personnellement admonestés pour cette infraction aux procédures de la NASA, et les faits ont été transmis au ministère de la justice. »
Le 18 septembre, le Washington Post rapporte que les 298 enveloppes timbrées détenues par les astronautes ont été confisquées.
Dans le NASA Activities en date du 15 novembre, le bulletin rapporte que David Scott s’est rendu à la conférence annuelle de la FAI (du 1er au 7 octobre 1972) à Paris au cours de laquelle on lui a remis la médaille d’or de la fédération, la plus haute distinction. Scott a également accepté le diplôme V. M. Komarov au nom de l’équipage d’ Apollo 15.
Et puis… Le 4 octobre Associated Press rapporte qu’ « un penny de l’année 1793 emmenée frauduleusement à bord de Gemini 7 en 1965 a été vendu pour la somme de 15 000 dollars (90 000 dollars en monnaie constante), alors que sa valeur numismatique ne dépasse pas 2 000 dollars. Un représentant de la NASA a précisé que la pièce de monnaie avait été dissimulée dans un kit médical par un médecin qui a quitté la NASA depuis quelques années. Aucune personne employée par la NASA n’a tiré profit de cette transaction. »
(A suivre)