En mai 1945, Wernher von Braun rédige un rapport pour ses nouveaux employeurs américains, dans lequel il fait le point sur l’avancée des travaux allemands en matière de missiles… Il ne manque pas d’évoquer la possibilité d’envoyer un satellite en orbite autour de la Terre.
Le 2 mai 1946, quelques onze ans avant Spoutnik 1, des chercheurs du projet RAND* publient leur premier rapport qui s’intitule « Preliminary Design of An Experimental World Circling Spaceship » (Conception préliminaire d’un vaisseau spatial orbital expérimental). Dans cette étude de 326 pages Robert Slater et ses collaborateurs envisagent la possibilité d’envoyer un satellite à l’aide d’un missile intercontinental. Satellites qui pourraient servir pour les télécommunications, l’observation météorologique, la recherche biomédicale en impesanteur… Ils commencent même à étudier des méthodes de transmission en temps réel des images… Cette étude reste à ce jour l’une des analyses les plus complètes sur la conception et l’utilisation des satellites artificiels.
Le physicien Louis Ridenour, qui deviendra le scientifique en chef de l’US Air Force, fait remarquer que même des images télé de mauvaise qualité pourraient avoir un grand intérêt militaire : « Les deux principaux types d’observations : repérer les points d’impacts des bombes, observer les conditions météorologiques au-dessus des territoires ennemis. »
Un autre physicien, David Griggs ajoute cette déclaration prophétique : « Bien que la boule de cristal soit encore un peu opaque, deux choses sont très claires :
1- On doit s’attendre à ce que les satellites équipés des instruments scientifiques adéquats deviennent les outils scientifiques les plus puissants du XXe siècle.
2- La mise en orbite d’un satellite par les Etats-Unis enflammerait l’imagination du monde, et aurait des répercussions mondiales comparables à l’explosion de la bombe atomique. »
Enfin, James Lipp, neuf mois plus tard, commentant le rapport auquel il a contribué, déclare : « Le pays qui réalisera les premières avancées significatives en matière de vol spatial sera de facto considéré comme le leader dans le domaine militaire et scientifique. Pour appréhender l’impact psychologique sur le monde, imaginons la consternation et l’admiration que nous ressentirions, nous américains, si nous découvrions soudainement qu’une autre nation a déjà mis en orbite un satellite ! »
* Le Projet RAND (Research ANd Development) est créé en 1945 à l’initiative du général Henry H. Arnold, chef d’état-major de l’US Air Force, qui commandite la société Douglas Aircraft Company pour effectuer des études sur les armes du futur, orienter les recherches à long terme et apporter de nouvelles idées stratégiques aux forces armées américaines. La société Douglas craignant des conflits d’intérêt avec ses activités commerciales se retire du projet en 1948 et le Projet RAND devient alors une institution indépendante à but non lucratif, la RAND Corporation, qui existe toujours aujourd’hui, a depuis, grandement diversifié son champ d’activité. Il s’agit d’un « think tank », un réservoir ou laboratoire d’idées, qui a notamment apporté de décisives contributions au programme spatial américain, surtout dans le domaine des satellites espions.