Le programme spatial soviétique était empreint de multiples contradictions, et d’une dichotomie entre le réel et la narration.
Tiraillés entre culte du secret et impératifs de la propagande, les soviétiques pratiquaient systématiquement la désinformation en dissimulant échecs et défaillances.
Il existait également une opposition entre Homme et machine, puisqu’il fallait en même temps exalter l’héroïsme des cosmonautes tout en affirmant l’infaillibilité des machines frappées du drapeau rouge arborant la faucille et le marteau, et du sigle CCCP (URSS en écriture cyrillique).
Le compte rendu de la mission Voskhod 2 qui s’est déroulée du 18 au 19 mars 1965, est à ce titre extrêmement révélateur. C’est au cours de ce vol spatial qu’a été réalisée la première sortie extra véhiculaire dans l’espace d’une durée de 12 minutes et 9 secondes.
Les deux cosmonautes Pavel Belyayev et Alexeï Leonov ont rencontré nombre de problèmes sérieux qui n’ont bien évidemment pas été révélés. Ils ont frôlé la catastrophe à plusieurs reprises. Ce sera d’ailleurs le dernier vol Voskhod, en réalité une capsule Vostok modifiée.
L’un de ces incidents a impliqué le système d’orientation automatique qui permet le bon positionnement de la capsule pour la rentrée dans l’atmosphère. Les cosmonautes réussissent difficilement à orienter manuellement la capsule. Ils atterriront à quelque 400 km de la zone prévue, dans deux mètres de neige, et passeront deux jours dans la nature avant de pouvoir être récupérés sans risque.
Les officiels s’interrogent ; que va-t-on révéler au public ?
Pour éviter tout impair, Belyayev et Leonov sont longuement « briefés » avant la conférence de presse. On les prépare à répondre « correctement » aux questions des journalistes à l’aide de simulations, de mises en situation… Plus d’une soixantaine de questions potentielles sont étudiées en détail !
Entre généralités, demi-vérités et mensonges la conférence de presse présente peu ou prou d’intérêt.
Une surprise toutefois, Pavel Belyayev, « Pasha », le commandant de la mission, « dévoile » un léger problème rencontré avec le système d’orientation automatique, mais il enchaîne aussitôt sur le fait que son compagnon et lui furent ravis que le système automatique ait connu une petite défaillance car cela leur a permis de piloter eux même le vaisseau spatial !
Une astuce qui permet de faire passer la faillibilité de la machine au second plan du récit, la panne devient un épiphénomène sans importance, sans gravité, et permet par la même de glorifier le cosmonaute !