Friendship 7 et les Leprechauns

En ce matin du 20 février 1962, Thomas Joseph O’Malley (1915-2009) qui dirige l’équipe de lancement de la General Dynamics, le constructeur de la fusée Atlas, se trouve dans le blockhaus situé à quelques dizaines de mètres du pas de tir 14, où John Glenn, dans sa capsule Friendship 7, attend le lancement (Mission Mercury-Atlas 6).

Thomas J. O’Malley (1915-2009), John H. Glenn (1921-2016) et Paul C.Donnelly  responsable des tests du vaisseau spatial sur le pas de tir. (1923-2014) – Crédit photo : NASA – 24 janvier 1962

T. J. O’Malley vérifie la check-list et annonce « T-18 secondes, allumage des moteurs » en appuyant sur le bouton noir * de sa console, démarrant ainsi la séquence de mise à feu de la fusée Atlas LV-3B 109-D.

En réponse, son supérieur, Byron MacNabb responsable des opérations du programme Atlas, assis dans le Centre de Contrôle Mercury dit alors : « May the wee ones be with you, Thomas« .

Il s’agit d’un vœu de bonne chance qui fait référence aux leprechauns, sortes de lutins du folklore Irlandais. « Que les petites créatures (leprechauns) soient avec vous Thomas ». (« Si jamais il se fait capturer, le leprechaun peut exaucer trois vœux en échange de sa libération. »)

 ← Byron MacNabb (1910-1997)

En entendant cela O’Malley fait le signe de croix et ajoute : « Que le bon Dieu nous accompagne tout au long du vol » (« Good Lord ride all the way »).

C’est après avoir entendu ces diverses invocations que Scott Carpenter prononce la phrase mythique : « Godspeed John Glenn« 

Anecdotes dans l’anecdote :

  • Thomas O’Malley fera monter le fameux bouton noir sur une plaque en bois, souvenir qu’il conservera précieusement toute sa vie.
  • T.J. O’Malley et Paul Donnelly étaient d’origine irlandaise, Byron MacNabb et John Glenn d’origine écossaise !

Le Leprechaun, créature féérique du folklore irlandais

Godspeed John Glenn

Le dernier astronaute encore en vie du mythique groupe 1, « Les Sept Premiers », nous a quittés à son tour ce jeudi 8 décembre, à pratiquement 95 ans et demi.

Un héros national entré dans la légende de la conquête de l’espace.

Son premier vol spatial, le premier vol orbital américain, a été une « catharsis nationale sans précédent » selon les termes de l’historien Walter McDougall.

Ce premier vol de John Glenn est le troisième vol spatial orbital après celui de Youri Gagarine le 12 avril 1961 et celui de Guerman Titov le 6 août 1961. A la différence des deux premiers qui s’éjectent en parachute (« détail » sur lequel les soviétiques ont menti), John Glenn revient sur Terre dans sa « capsule », il est donc en réalité le premier « astronaute orbital » selon la règle de la Fédération Internationale d’Astronautique qui stipule qu’un pilote doit atterrir dans son vaisseau spatial pour que le vol soit homologué !

Le titre choisi pour évoquer la disparition de John Glenn n’est pas très original c’est le moins que l’on puisse dire. Cette phrase très largement reprise ces deux derniers jours, contient les trois mots parmi les plus mémorables du programme Mercury, elle fut prononcée par Scott Carpenter, la doublure de Glenn pour cette mission, ce matin du 20 février 1962 quelques secondes avant la mise à feu de la fusée Atlas. Bons vœux que John Glenn n’a pas pu entendre, il les découvrira à l’issue du vol en écoutant les enregistrements des conversations.

La formule godspeed est issue du moyen anglais « god spede » (god = dieu – spede vient de speden = réussir)  qui signifie littéralement : « que Dieu fasse que tu réussisses » ou « que Dieu te vienne en aide » selon l’expression consacrée. En anglais moderne speed signifie vitesse.

Voici l’explication de Scott Carpenter sur sa remarque : « Les deux vols Mercury précédents ont été lancés par des Redstone, une petite fusée pas assez puissante pour donner à John la vitesse lui permettant de se propulser sur orbite. Ce dont il avait besoin, et ce que tout le monde attendait de l’Atlas, c’était de la vitesse. Je n’avais pas du tout prémédité cette phrase, elle est sortie comme ça. Il avait besoin de vitesse, il s’appelait John Glenn, c’était une sorte de salut à un ami, une supplique adressée à la puissance supérieure. Godspeed. »

Scott Carpenter et John Glenn

John Glenn et Guerman Titov débattent à la télé

Le dimanche 6 mai 1962, la chaîne de télévision NBC diffuse un numéro spécial de son émission hebdomadaire « The Nation’s Future » enregistrée le vendredi précédent, dont le thème est : les défis liés à l’espace (The Challenge of Outer Space).

Les invités, au nombre de deux, débattent dans un premier temps, puis sont soumis aux questions du public équitablement répartis entre les « pour » et les « contres ».

Ce soir là, il y avait exceptionnellement quatre invités : le Dr Hugh Dryden, administrateur adjoint de la NASA, John Glenn, le premier américain à avoir effectué une mission spatiale orbitale, (20 février 1962)… Mais également le soviétique Guerman Titov qui a effectué le deuxième vol orbital de l’Histoire (6 août 1961) et Anatoly Blagonravov, scientifique russe qui a représenté l’Union Soviétique lors des pourparlers de l’utilisation pacifique de l’espace qui se sont tenus aux nations unis.

Blagonravov a travaillé en étroite collaboration avec Hugh Dryden pour promouvoir la coopération internationale dans l’espace et sera déterminant pour la signature des accords qui ont mené à la mission conjointe Apollo Soyouz…

La délégation soviétique est aux Etats-Unis du 29 avril au 12 mai 1962, dans le cadre du troisième symposium international des sciences spatiales, qui se tient en même temps que la cinquième réunion plénière du Cospar (Committee on Space Research).

Le présentateur/médiateur de l’émission est le journaliste Edwin Newman. Il a fallu six mois de tractations à la coproductrice de l’émission, Lucy Jarvis, pour que les autorités soviétiques donnent leur accord.

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John Glenn, Gherman Titov, Lucy Jarvis, Edwin Newman

Pour l’anecdote, les russes ont refusé de participer à l’émission sans contrepartie financière, payable d’avance. La même somme a été proposée à Glenn et Dryden qui ont refusé.

Avec diplomatie mais fermeté John Glenn a évoqué la question de la fiabilité du programme spatial russe. Amorçant habilement la question en évoquant les problèmes rencontrés lors de sa mission il s’étonne que personne n’ait jamais entendu parler de ratés dans le programme spatial soviétique, alors que les américains n’ont jamais rien caché.

Titov a nié tout accident mortel lié au programme spatial habité. Ce à quoi Glenn a répondu que partager les problèmes rencontrés, même ceux qui ne sont pas des échecs complets, permettrait à chaque partie de tirer un bénéfice certain de l’expérience de l’autre.

Titov affirme que son vol s’est déroulé sans anicroche mais acquiesce sur le fait que les problèmes devraient être partagés.

Lorsqu’un journaliste du public lui demande combien il y a eu d’échecs, Titov répond qu’il y en a peut-être eu, mais que lui n’est concerné que par le vaisseau spatial et que pour savoir, il faudrait demander aux experts qui s’occupent des fusées… De toute évidence Titov n’était pas autorisé à révéler quoi que ce soit « d’intéressant ». 

John Glenn a su mettre en exergue, un point incontestable, le fait que les américains œuvrent au grand jour, alors que les soviétiques travaillent dans le plus grand secret.

En dépit des sourires et de l’humour de façade, personne n’a été dupe des subtiles manœuvres politiques sous-jacentes.

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John Glenn, Edwin Newman, Gherman Titov