Un RTLS en guise de première mission pour la navette spatiale

Contrairement à tous les vaisseaux spatiaux habités précédents, la navette spatiale n’a jamais été testée sans astronautes à bord (à la différence des soviétiques). Pour ne pas commencer directement avec une mission orbitale, la NASA envisagea un temps (très court) de réaliser un RTLS lors du premier vol.

Le mode RTLS (pour Return To Launch Site – Retour au Site de Lancement) est l’une des quatre options permettant d’interrompre une mission lorsque la navette a décollé et qu’un incident rend la mise en orbite impossible. (Défaillance d’un des trois moteurs SSME (Space Shuttle Main Engine), fuite de carburant, fuite dans le système de refroidissement, dépressurisation de la cabine de pilotage etc.)

Le RTLS est possible, grosso-modo, entre 2 minutes et 4 minutes après le décollage. Avant, la navette n’a pas atteint une altitude suffisante et les SRB (Solid Rocket Booster – fusées d’appoint à combustible solide flanquées de part et d’autre du réservoir extérieur ne sont pas encore larguées (Une fois allumées on ne peut plus les arrêter.) ; après, la navette a pris trop de vitesse (+ de 7 000 km/h) et il ne reste plus assez de carburant pour effectuer le retournement et ralentir l’engin. (Point de non retour – Negative return)

Pour simplifier, une fois les SRB larguées (à T+2 min) vers 50 km d’altitude, la navette continue son ascension jusqu’à environ 120 km d’altitude, puis, l’engin de 500 tonnes, y compris son réservoir extérieur à moitié vide, doit faire un demi tour (à 180°) alors qu’il vole à pratiquement sept fois la vitesse du son, et diminuer sa vitesse grâce aux 3 moteurs SSME (RTLS à trois moteurs) tout en orientant le nez vers sa cible, la Floride. Ce faisant la navette vole en traversant les gaz à 2 700 °C éjectés par les moteurs. Ce qui n’a jamais pu être testé en soufflerie, seulement par ordinateur.

Lorsqu’il reste moins de 2% d’ergols dans le réservoir extérieur, les moteurs SSME sont coupés (MECO – Main Engine Cut Off), l’orbiter doit alors avoir un angle d’attaque de – 4° pour que le réservoir puisse être largué en toute sécurité. Il faut ensuite purger les centaines de kilogrammes de LO2 et LH2 encore présents dans les tuyaux d’admission du MPS (Main Propulsion System). A ce moment là, l’engin a un angle d’attaque de 10°. Il faut alors augmenter cet angle dans les couches plus denses de l’atmosphère. Dans certains cas l’orbiter devra même effectuer un virage en S plus ou moins long pour dissiper un excédent d’énergie cinétique avant de pouvoir atterrir.

La manœuvre en image (Crédit : Mark McCandlish – Traduction : Olivier Couderc)

Comme le précise avec humour, John Young, l’astronaute le plus capé de l’Histoire de la NASA : « Si toutes les manœuvres se déroulent parfaitement, tout ira bien, si tout ne se déroule pas comme prévu, cela ne se passera probablement pas très bien. »

Une telle mission aurait duré environ 25 minutes. Le RTLS a bien évidemment été réalisé, mais seulement en simulateur. « La première personne qui en réalisera un pourra vous dire si ça marche ou pas » remarqua ironiquement John Young qui a opposé une fin de non-recevoir à l’éventualité d’exécuter un RTLS en guise de première mission : « J’ai dit non. Je leur ai dit de ne pas jouer à la roulette russe, parce qu’il se pourrait bien que vous ayez une arme chargée entre les mains.»  En effet, compte tenu de tous les paramètres à maîtriser, même avec les 5 ordinateurs de la navette aux commandes, une telle manœuvre aurait eu bien peu de chance de succès…  Juste avant STS-1 John Young enfonce le clou : « Pour réussir un RTLS il faut une succession de miracles, entrecoupés d’interventions divines ».

La première mission de la navette spatiale sera bien orbitale, et sera qualifiée par les spécialistes comme le vol d’essai le plus audacieux de l’Histoire. En 30 ans d’exploitation de la navette spatiale aucun RTLS n’a jamais été effectué !

Apollo 10 ou les astronautes de la sagesse

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Eugene Cernan – Thomas Stafford – John Young (NASA – 1969)

Sur cette photo, l’équipage d’ Apollo 10 reproduit un symbole pictural d’origine oriental : les singes de la sagesse.

Il s’agit de trois singes dont le premier se couvre la bouche avec les mains, le deuxième les yeux, le dernier les oreilles.  « Je ne dis pas ce qu’il ne faut pas dire », « je ne vois pas ce qu’il ne faut pas voir », et « je n’entends pas ce qu’il ne faut pas entendre ».

Que l’on peut également interprêter à contrario par : ne pas se taire pour ne pas prendre de risque, ne pas se cacher les yeux devant les difficultés,  ne pas se boucher les oreilles pour ne pas savoir. Il n’est nullement question de s’isoler du monde qui nous entoure.

Ironiquement, c’est Eugene Cernan qui se couvre la bouche !  cf Un juron médiatisé

John Young ne veut pas qu’on le prenne pour une poule mouillée

Lors de la mission Gemini X, du 18 au 21 juillet 1966, dont John Young est le commandant, une expérience consistant à étudier les radiations ultraviolettes émises par les étoiles (expérience  S13 UV) doit être effectuée lors de la première EVA de Michael Collins.

Cette première sortie spatiale qui doit se faire de nuit, est ce que les américains appellent une « stand –up » EVA, qui comme son nom l’indique, consiste à se tenir debout dans le vaisseau spatial, sur le siège, l’astronaute n’ayant alors que le buste dans le vide de l’espace.

Maurer 70 mm

Collins muni de son appareil photo, un Maurer 70 mm pourvu d’une lentille UV,  doit viser le sud de la Voie Lactée et photographier une série d’étoiles, entre  Beta Crucis (Mimosa – la seconde plus brillante étoile de la constellation de la Croix du Sud) et Gamma Velorum (« Le Joyaux du ciel austral », dans la constellation des Voiles, à laquelle l’astronaute Virgil Grissom donnera le nom de Regor*).

Il prend 22 photos.  Après le lever de soleil, il doit également photographier 9 fois une mire constituée de 4 couleurs (rouge, bleu, jaune et gris), maintenue par une baguette d’un mètre de long, pour déterminer si une pellicule du commerce, enregistre fidèlement les couleurs dans l’espace. (Expérience MSC8)

Si la première expérience se déroule sans anicroche, la dernière est interrompue après la quatrième prise de vue, lorsque les deux astronautes présentent une irritation des yeux entraînant un larmoiement.

John Young : « Il y a une drôle d’odeur, ça irrite les yeux et les fait pleurer ».

Au départ les astronautes suspectent la solution antibuée appliquée sur la visière du casque, puis à cause de l’odeur, une fuite d’hydroxyde de lithium, qui sert à purifier l’air.

Ce sont finalement les ingénieurs au sol qui trouvent la solution : les astronautes ayant enclenché les deux systèmes de ventilation de leur combinaison spatiale, c’est ce double flux d’air qui provoque l’irritation des yeux, la désactivation de l’un d’eux résout le problème.

Sans se départir de son sens de l’humour  John Young  ajoute : « J’avais déjà les yeux qui pleuraient cette nuit, mais je n’ai rien osé dire, je ne voulais pas que l’on me prenne pour une poule mouillée. »

* cf : https://www.anecdotes-spatiales.com/dnoces-navi-et-regor/

Anecdote dans l’anecdote :  C’est le Dr Karl G. Henize qui est à l’origine de l’expérience S13 UV. Mathématicien et docteur en astronomie, il sera sélectionné comme astronaute scientifique en août 1967, groupe 6. Il ne fera qu’un vol spatial en 1985 (Challenger – Mission STS-51F – Spacelab 2 – du 29 juillet au 6 août 85). Il décède le 5 octobre 1993, à 6 400 mètres d’altitude, d’un œdème pulmonaire de haute altitude, alors qu’il tente l’ascension de l’Everest.