Avec Apollo 8, l’humanité prend conscience d’elle-même…
Depuis 1927, le magazine hebdomadaire américain Time, fondé en mars 1923, décerne son titre d’Homme de l’année (personnalité de l’année à partir de 1999) à une personne, un groupe, une idée, un objet, qui, pour le meilleur ou le pire, a eu la plus grande influence au cours de l’année écoulée.
Pour l’année 1968 la rédaction avait choisi de décerner son titre annuel, « au dissident », « au contestataire » : THE DISSENTER .
En effet, l’année 1968 est marquée par une série de mouvements sociaux de grande envergure, de révoltes, d’assassinats … Une année particulièrement troublée et sanglante…
[ Pour ce qui concerne les Etats-Unis :
Les pertes américaines au Viêt-Nam pour l’année 1968 s’élèvent à 16 592, l’année la plus meurtrière avec l’offensive du Têt (qui signifie Nouvel An lunaire) lancée dans la nuit du 30 au 31 janvier avec notamment l’attaque de l’ambassade des USA à Saïgon. 536,040 soldats américains sont désormais déployés au Viet-Nam, 50 000 de plus qu’en 1967.
Les pertes américaines et sud-vietnamiennes ont augmenté de 57% par rapport à l’année précédente.
Toute l’horreur de cette guerre est symbolisée par l’exécution sommaire de Nguyễn Văn Lém, un officier du Viet-Cong le 1er février 1968 par le général Nguyễn Ngọc Loan, en pleine rue, devant un cameraman de NBC et un photographe d’Associated Press, Eddie Adams, lequel recevra le prix Pullitzer pour son cliché qui fera le tour du monde…
Fin 1967, le président Lyndon B. Johnson et le général William Westmoreland, commandant en chef des forces américaines au Vietnam n’avaient-ils pas déclaré que la guerre serait gagnée d’ici deux ans maximum.
Les manifestations de protestation contre cette guerre deviennent quasi-quotidiennes dans toutes les grandes villes étudiantes américaines. La côte de popularité de Johnson est au plus bas, le 31 mars 1968 il annonce officiellement qu’il ne briguera pas l’investiture de son parti pour un second mandat.
L’assassinat du pasteur noir Martin Luther King, chantre du combat contre les inégalités raciales et sociales, le 4 avril, par James Earl Ray va provoquer de très violentes émeutes dans une centaine de villes des Etats-Unis qui feront 39 morts, des milliers de blessés et des dégâts matériels considérables. Rien que pour la ville de Washington D.C. le montant des dégâts s’élève à plus de 27 millions de dollars (195 millions en monnaie constante) pour 4 jours d’émeutes…
Le 5 juin, le sénateur démocrate de l’Etat de New York, Robert Kennedy, donné favori pour l’élection présidentielle de la fin d’année, qui vient de gagner les primaires de Californie, lui assurant pratiquement l’investiture de son parti, est atteint par trois balles tirées à bout portant par Sirhan Sirhan, un palestinien de 24 ans qui a immigré aux Etats-Unis à l’âge de douze ans avec ses parents. Il reproche à Robert Kennedy, qui décède le matin du 6 juin, son soutien à Israël.
Le 17 octobre 1968, les athlètes noirs américains Tommie Smith et John Carlos, respectivement médaille d’or et médaille de bronze de l’épreuve du 200 mètres lors des Jeux Olympiques de Mexico, baissent la tête et lèvent leur poing ganté de noir alors qu’ils sont sur le podium et que retentit l’hymne américain, pour afficher leur soutien aux Black Panthers, un mouvement révolutionnaire de libération afro-américaine créé le 15 octobre 1966… ]
Ce n’est pas la première fois que le magazine décerne ce titre à une entité, un collectif qui a marqué les annales.
En 1950 il est décerné à « The American fighting-man », le militaire américain impliqué dans la guerre de Corée.
En 1956 c’est un hommage au combattant Hongrois pour la liberté « The Hungarian freedom fighter », cette insurrection populaire (du 23 octobre au 10 novembre 1956) contre le régime communiste de Hongrie imposé au pays par l’URSS sera réprimée dans le sang par l’armée rouge, plus de 2 500 hongrois perdront la vie et quelque 13 000 seront blessés. Ces chiffres n’incluent pas les procès et condamnations à mort, ni les déportations en Union Soviétique qui ont suivi. En 1960 ce sont les scientifiques américains qui sont à l’honneur, puis en 1966 la génération du baby-boom, la génération des moins de 25 ans, « les héritiers ».
Après le retour sur Terre des astronautes d’Apollo 8, le 27 décembre 1968, le magazine Time décide, à la toute dernière minute, de modifier son choix. L’Homme de l’année 1968 ne sera plus « le contestataire », mais les astronautes William Anders, Frank Borman, James Lovell.
En 57 ans, depuis que l’Homme va dans l’espace (1961), il s‘agit des seuls voyageurs spatiaux jamais distingués. Il faut dire qu’ Apollo 8 a véritablement sauvé l’année 1968…