En 1925, alors que Willy Ley (1906-1969) se balade à Berlin, dans la Friedrichstraße, il aperçoit dans la devanture d’une librairie le livre de Max Valier (1895-1930) A la conquête de l’espace (Der Vorstoss in den Weltenraum – R. Oldenbourg, München und Berlin, 1925), la couverture du livre représente un vaisseau spatial en route vers Saturne.
Ley qui était jusque-là beaucoup plus intéressé par la zoologie et la géologie, est passionné par ce qu’il découvre. En réalité, ce livre reprend les idées d’un certain Hermann Oberth (1894-1989), dont il n’avait jamais entendu parler, dans un ouvrage intitulé La fusée pour atteindre l’espace (Die Rakete zu den Planetenräumen – Oldenbourg, München und Berlin, 1923). Intrigué, Ley décide de l’acheter, le libraire lui propose également un autre livre sur le même sujet, celui du Dr. Walter Hohmann (1880-1945), L’accessibilité des coprs célestes (Die Erreichbarkeit der Himmelskörper – Verlag Oldenbourg, München 1925 – qui sera traduit par la NASA en 1960 – NASA Technical Translation – F44) qu’il prend également, ne lui laissant plus d’argent pour prendre le tram, c’est à pieds qu’il doit parcourir les 5 km qui le séparent de son domicile.
Lorsqu‘il en commence la lecture il est dépité, les deux ouvrages lui sont totalement abscons, « il y a des équations à toutes les pages » celles d’Oberth, brillant mathématicien, sont encore plus ardues que celles de Hohmann… « Le livre aurait tout aussi bien pu être écrit en caractères sumériens… »
Willy Ley s’accroche et étudie jusqu’à ce qu’il en saisisse le sens, (la même démarche sera effectuée par Wernher von Braun de six ans son cadet). A partir de ce moment, il considère que Max Valier est passé un peu à côté de son travail de vulgarisation. « Autant Oberth est trop hermétique, trop élitiste, autant Valier manque de bases scientifiques ».
A 19 ans, il va se fixer l’objectif d’y remédier, et c’est ainsi que Willy Ley commence sa brillante carrière de vulgarisateur scientifique, en traduisant les équations de Oberth en langage intelligible pour tout le monde, dans un opuscule de 68 pages Le Voyage dans l’espace (Die Fahrt ins Weltall – Hachmeister & Thal, 1926), dont la conclusion est la suivante :
« Lorsque la première fusée s’affranchira de l’atmosphère terrestre, l’humanité qui règne sur la Terre, à la fois physiquement et spirituellement, aura franchi un nouveau pas, dans une nouvelle ère… L ’è r e d e l a c o n q u ê t e d e l’ e s p a c e. »
Ce premier livre n’est pas un succès populaire, il n’en vendra que mille par an entre 1926 et 1932, bien moins que Valier… Mais la consécration suprême viendra lorsqu’ Oberth affirmera que le livre de Ley est bien supérieur à celui de Valier !
Valier et Ley se rencontrent et deviennent amis, Valier demande un jour à Ley de prendre contact avec un certain Johannes Winkler (1897-1947) de Breslau…
En juillet 1927 Valier et Winkler fondent la Verein für Raumschiffahrt (VfR), sans aucun doute la plus prestigieuse des associations consacrées au vol spatial.
Deux mois plus tard elle compte déjà 400 membres. Ley a sans doute quelque peu exagéré son rôle dans sa création, il a prétendu être l’un des co-fondateurs alors que son nom ne figure pas dans les statuts de l’association… Il ne deviendra vraiment actif qu’en 1928, car jusque-là il travaille sur un livre de 208 pages qui parait en 1927 et qui s’intitule : Le livre du dragon : discussions sur les lézards, les amphibiens et les dinosaures. ; (Das Drachenbuch: Plaudereien von Echsen, Lurchen und Vorweltsauriern – Leipzig: Thüringer Verlags-Anstalt H. Bartholomäus, 1927) dans lequel il évoque les mythes entourant certains animaux, ainsi que l’origine de certains animaux imaginaires. Il s’agit d’un livre à la fois éducatif et divertissant. Sa première passion étant la zoologie et les sciences naturelles.
Dès 1928 il s’investit de plus en plus au sein de la VfR, les années 1928 et 1929 marquent l’apogée de l’engouement de la population allemande pour les fusées, avec notamment le film de Fritz Lang (1890-1976) Frau Im Mond (La Femme sur la Lune) dont Oberth fut le consultant technique.
Valier avait été pressenti, mais il était de plus en plus considéré comme un cascadeur avec ses tests sur les voitures-fusées. D’abord des moteurs à propergols solides, puis à compter de décembre 1929, à ergols liquides. Le 17 mai 1930 il décède lors d’un test de moteur lorque ce dernier explose et qu’un éclat lui sectionne l’aorte. Il meurt dans les bras d’Arthur Rudolph (1906-1996)… Erich Wurm le président de l’antenne berlinoise de la VfR dira : « Valier est le premier martyr d’une nouvelle science ».
Oberth devait lancer une petite fusée à ergols liquides le jour de la première, mais le projet se solda par un cuisant échec et entraina son retour provisoire dans son pays natal, la Roumanie. Fritz Lang affirme que Ley fut également consultant pour son film, un rôle, que curieusement, Ley a toujours minimisé. Il s’occupera également de la publicité scientifique du film… Willy Ley et Fritz Lang deviendront de très bons amis.
En 1929 parait une deuxième édition de Die Fahrt ins Weltall, revue et augmentée avec, suprême consécration, une préface de Hermann Oberth. Ley ajoute notamment, un chapitre sur l’histoire des fusées à travers les âges, trente illustrations…
Au sein de la VfR, Ley qui est depuis le 1er novembre 1930 son vice président, tisse des relations internationales, notamment avec la France, l’URSS, l’Angleterre et les Etats-Unis, lesquelles lui permettront de quitter l’Allemagne en 1935… Ley avait des facilités pour les langues, il se débrouillait bien en anglais, français, italien et russe. Edward Pendray (1901-1987), co-fondateur de la American Interplanetary Society, et son épouse, passent trois jours à Berlin du 10 au 13 avril 1931. Pendray visite le Raketenflugplatz (Centre d’envol des fusées) de la VfR le dimanche 12 avril, et assiste à un test qui l’impressionne beaucoup…
Les difficultés économiques, le départ de Wernher von Braun, embauché par l’armée le 27 novembre 1932, l’arrivée au pouvoir d’Adof Hitler en 1933 et la mise sous séquestre de tous les travaux sur les fusées, les frasques de Rudolf Nebel, etc. sonne le glas de la VfR.
Lors des autodafés de mai et juin 1933, faisant suite aux « propositions contre l’esprit non allemand », les nazis brûlent notamment le livre préféré de science-fiction de Willy Ley ; Auf Zwei Planeten (Sur deux planètes), paru en 1897, du génial Kurd Lasswitz (1848-1910).
Adepte de l’internationalisation de la science et de la recherche scientifique, Ley ne pouvait que s’opposer aux nazis et leurs pseudo-sciences.
C’est ainsi que le trois février 1935, à 29 ans, il quitte l’Allemagne et entamera une nouvelle et fructueuse carrière aux Etats-Unis.
Avec Wernher von Braun, Willy Ley est assurément l’un des plus grands prosélytes de la conquête de l’espace, dont l’influence fut incommensurable.